1275 âmes / Pottsville, 1280 habitants

C’est vrai que ça peut paraître maboul, mais j’y peux rien. En principe, c’est aux gros bonnets, aux puissants que je devrais serrer la vis. Mais j’ai pas le droit d’y toucher, alors faut que je me rattrape en tapant deux fois plus fort sur les Noirs, sur la pauvre racaille de Blancs, et sur ceux qui, comme toi, ont mis leur cervelle à la place de ce que je pense parce qu’ils ne savaient pas quoi en faire là où elle était.

Ce qui fait que j’ai réfléchi, j’ai réfléchi tant que j’ai pu et, finalement, j’ai pris le taureau par les cornes. Et j’ai décidé que je ne savais foutre pas ce que je pourrais bien faire.

S’ils sont plus forts que toi, change de camp

Pendant qu'on dort et qu'on mange, on ne se ronge pas les sangs pour les problèmes qu'on ne peut pas régler.

Après le repas, je raccompagne Georges à la gare. Les échanges restent aussi cordiaux, mais avec quelque chose de contraint (...) le mauvais côté du whiskey, vous voyez ? - Le mauvais côté de beaucoup de choses. Non pas le fait de le savourer, mais le fait de ne plus y trouver de plaisir ; le contrecoup quand vous revient à la bouche ce vieux goût de pisse d'âne que vous connaissez bien et que vous avez envie de cracher au visage de tous ceux qui vous entourent.
Et vous vous demandez, bon sang, quelle idée j'ai eu de faire des amabilités à ce type-là ? je parie qu'il me prend pour un idiot fini.

- Comme dit le poète, on ne peut pas reprocher au pot de terre d'avoir l'air penché si c'est la main du potier qui a dérapé. Alors, dîtes-moi lequel est le pire, celui qui conchie le bouton de porte ou celui qui tire la sonnette, et je vous dirai qui est penché et qui l'a fait pencher.
- Mais... supposez que ce soit la même personne qui fasse l'un puis l'autre ?
- C'est peu probable (...) je peux vous dire qu'en général, on se partage ce genre de tâches secondaires.

Il ne peut pas y avoir d'enfer individuel, parce qu'il n'y a pas de péchés individuels ; ils sont tous collectifs. Georges, nous partageons tous les péchés des autres, et ils partagent tous les nôtres.

Lequel d'entre nous tous exerce pleinement son libre-arbitre ? Il y a tellement de contraintes qui pèsent sur nous : notre physique, notre mental, nos antécédents ; tout cela nous façonne d'une certaine manière, nous conditionne à jouer un certain rôle dans la vie, et croyez-moi, Georges, il vaut mieux le jouer, ce rôle, - appelez ça comme vous voudrez- sinon le chaos tombera du ciel pour nous écraser. On a intérêt à faire ce qu'on nous a destinés à faire, sinon c'est à nous qu'on le fera.

Quatre de ses filles sont enceintes - toutes celles qui sont en âge de l'être. Et Henry Clay ne laisse personne leur demander comment ça leur est arrivé ; parce que c'est du ressort de sa propre responsabilité ; seul le père de famille peut veiller sur la moralité de ses enfants, et rien ne l'oblige à tolérer qu'un tiers se mêle de ces questions-là.
Bien entendu, tout le monde a une idée assez précise de l'identité du géniteur.Mais, étant donné les circonstances, il n'y a aucun moyen de le prouver, ert comme Henry Clay est du genre soupe au lait, personne n'aborde vraiment le sujet.

Ce Henry Clay, c'est vraiment un cas, ce qu'on appelle un juriste de basse-cour, chez nous, dans le Sud. Il connaît tous les privilèges qui lui sont accordés, - et peut-être trois ou quatre millions d'autres, par dessus le marché -, mais il n'a pas tellement conscience de ses obligations. Jamais un seul de ses quatorze gamins n'a été scolarisé, parce que forcer les enfants à aller à l'école, c'est s'ingérer dans les droits constitutionnels du citoyen.