Dusty a abandonné ses études de médecine et trouvé un boulot de groom de nuit, le poste le plus bas dans la hiérarchie hôtelière, à l'hôtel Manton, parce qu'après la mort prématurée de sa mère idolâtrée, son père a perdu son travail de professeur pour avoir signé une pétition pour la liberté d'expression. Devenu quelqu'un qui ne fait rien dont on doit s'occuper, il est à la charge de son fils. Dusty est donc accablé de soucis et de factures, il vit avec son père et son abstinence sexuelle lui a volé toute vitalité. Seul son salaire correct grâce aux généreux pourboires de la clientèle nocturne lui permet d'accepter cette situation qu'il pense transitoire.
L'hôtel Manton est un établissement respectable de bon niveau, géré avec rigueur. le personnel trié sur le volet est prié de ne rien gaspiller, ni les voyages en ascenseurs, ni eau ni électricité, ni savonnettes ni serviettes car ce sont ces détails qui font la différence entre profits ou pertes. Surtout, le personnel doit être irréprochable avec les clientes. Tout manquement à ces règles entraîne le renvoi, d'ailleurs la direction utilise des « leurres » féminins pour tester la résistance de ses salariés à la séduction ou à toute autre tentation. Pour Dusty, la rigidité du règlement ne pose aucun problème ; il compose également avec l'hostilité du réceptionniste de nuit, petit cadre volontiers teigneux. Pourtant, une cliente va faire glisser progressivement ce brave garçon courageux vers la délinquance, la corruption, sa volonté brusquement brisée par une apparition. Mais pour l'auteur : « Nothing is at it seems ».
Aux yeux de Dusty, Marcia Hillis n'est pas une femme, elle est toutes les femmes. Son visage a 20 ans mais sans la vacuité qui va le plus souvent avec cet âge ; son corps à la maturité compacte a 30 ans mais sans la mollesse des corps trentenaires ; ses cheveux ont 60 ans en raison de leur couleur grise, mais il s'agit d'un gris doux et soyeux et non pas raide, mort, craquant. Tous les éléments sont en place pour donner naissance à un grand roman noir construit comme une montre suisse, sans un micron de jeu.
Jim Thompson entraîne le lecteur dans les tréfonds de l'âme humaine, là où n'existent ni espoir, ni avenir, ni rédemption, ni retour possible à la normalité, ni issue même de secours.
Dusty est marqué du sceau de l'échec social le plus noir, de la déception sans fin, il souffre d'un excès de lucidité qui lui interdit toute espérance raisonnable, il se trouve broyé dans un engrenage dont il ne contrôle aucun rouage. Dans un passé proche, il était étudiant, et si on lui avait permis de continuer, si on lui avait donné le peu à quoi il avait droit, il n'aurait peut-être pas eu à recourir au crime pour essayer de l'obtenir. Peut-être. Ou pas.
Merci à
François Guérif d'avoir ressuscité
Jim Thompson, négligé de son vivant, en lui offrant de nouvelles traductions à la hauteur de son talent. Paru en 1954 aux Etats-Unis, Une jolie poupée est sorti, inédit, en 2017 chez Rivages/noir et entre dans la sélection « le Rivages des libraires ». Les libraires ont vraiment bon goût et sont d'excellents conseillers !