Citations sur Journal, tome 1 : Octobre 1837 - Décembre 1840 (48)
28 fév. Après la mort d’un ami, nous devrions considérer que les Parques nous ont confié la charge d’une double vie. Dorénavant, pour le monde, il nous incombe de réaliser aussi, au cours de notre propre existence, les promesses de vie de notre ami.
Le courage ne participe pas tant de l’action volontaire que d’une tranquillité saine et confiante. Son épanouissement est complet lorsqu’un homme reste chez lui, à forger de multiples alliances.
15 sept. L’entrain de la jeunesse est inexplicable. –Vous pouvez jeter des bâtons ou de la boue dans le courant, cela ne fera qu’en élever le niveau. Vous pouvez l’endiguer, mais pas l’assécher, car vous ne pouvez atteindre sa source. Si vous stoppez tel ou tel cours, il ne tardera pas à glouglouter à nouveau là où vous l’attendez le moins, et à emporter tous ses barrages. La jeunesse s’accroche au bonheur comme à un droit inaliénable.
4 août. Tout ce que la sagesse passée ou présente a révélé d’elle-même au monde, est un mensonge manifeste jusqu’à ce que cela vienne s’exprimer près de moi.
3 mars. Trois mille ans et le monde a si peu changé ! L’Iliade ressemble à un son naturel qui s’est répercuté jusqu’à notre époque. Tout ce qu’elle contient est encore on ne peut plus frais dans la mémoire des hommes –mais était plus enfantin chez le poète.
6 janv. Nous devrions contempler le cycle des saisons qui revient immanquablement, éternellement, avec la même sérénité joyeuse qu’un enfant attendant l’arrivée de l’été. Comme le printemps reprend vie depuis tant d’années divines, nous devrions sortir pour admirer et embellir à nouveau notre Eden, sans jamais nous lasser.
En fin de compte, notre Âge d’Or devrait être un âge pastoral. Nous désirerions alors être des hommes simples dans l’ignorance, et non des hommes accomplis dans la sagesse. Nous voudrions de bons paysans plutôt que de grands héros.
Nous luttons pour prolonger nos instants de confort et de loisir –comme s’il s’agissait vraiment là de la vie et non d’une stagnation de l’existence. La vie est un courant, et non une eau stagnante, elle ne peut se permettre de répéter une certaine médiocrité passée, au risque de sacrifier ainsi une possible future abondance.
Toutes nos vies pourraient être agréables si elles étaient suffisamment libres –mais des relations médiocres et des préjugés s’interposent pour nous fermer le ciel, et nous ne voyons jamais d’homme aussi simple et aussi net qu’une girouette sur un clocher.
Quelques mots de plus ou de moins échangés avec mon ami ou avec toute l’humanité, quelle importance ? –ils continueront d’être mes amis malgré eux. Qu’ils se tiennent à distance s’ils le peuvent. Comme si la plus exceptionnelle des distances pouvait me spolier de tout bénéfice ou de toute sympathie véritable. Non, quand de tels intérêts sont en jeu, temps, distance et différends retombent à leurs vraies places.