1er juillet 1840
Le travailleur est récompensé par son labeur, et non par son employeur. Son zèle est le salaire qu'il s'accorde à lui-même. N'acceptons pas que nos mains perdent ne serait-ce qu'un iota de leur capacité en courant après une récompense médiocre; (p.163)
8 avril. Je veux parler de deux chênes robustes, qui, côte à côte,
Résistent à le tempête de l'hiver,
Et malgré vents et marées,
Croissent et font de la prairie la fierté,
Car tous deux sont forts.
Au-dessus, ils se touchent à peine mais
En remontant jusqu'à la source,
Emerveillés, vous découvrirez
Que leurs racines sont entremêlées
Inséparablement.
Lundi 9 nov. […] Si un invalide me raconte juste comment, en tant qu’homme, il a bougé sur son siège, comment il a regardé par la fenêtre tantôt au sud tantôt au nord, avant de contempler le feu, ce sera aussi intéressant que le récit d’un périple à travers le continent ou dans les prairies. Car je mesure la distance intérieure et non la distance extérieure. A l’intérieur du corps d’un homme, se trouve suffisamment d’espace et de paysage pour une biographie.
Nous accueillons notre prochain avec une sorte de respect craintif, comme s’il venait juste de débarquer sur Terre, mais notre vieille familiarité avec la lune et le soleil nous a préparés à cette relation.
13 nov. REGRET
Tirez de vos regrets tout ce que vous pourrez –n’étouffez pas votre chagrin, mais prenez-en soin et choyez-le jusqu’à ce qu’il en vienne à offrir un intérêt particulier et complet. Regretter profondément, c’est revivre. En agissant ainsi, vous serez surpris de retrouver une fois de plus toutes vos richesses.
C'est donc sous l'égide d'Emerson, qui lui-même tenait le sien depuis l'âge de dix-sept ans, que Thoreau entame la rédaction de ce journal qui allait devenir son-opus magnus- L'activité diariste était très en vogue chez les transcendantalistes américains, chez lesquels elle prenait un tour particulier. (...)
Car dans l'esprit des transcendantalistes, le journal n'est pas le registre des menus faits du quotidien mais bien la cristallisation des mouvements de la
pensée où convergent lectures, conversations, correspondance et méditations solitaires. (p.11/ préface de Th. Gillyboeuf)
A travers les feuilles d'un bon livre on pourra entendre un écho qui ressemble aux bruits des forêts.
8 juil. Les langues n’ont été créées
Que pour ennuyer l’oreille de pensées superficielles.
Quand montent des pensées plus profondes, les paroles brutales
Et dissonantes de la discorde sont étouffées et les sens semblent
Fort limités pour partager cette extase.
24 juin. SYMPATHIE
Sur le tard, hélas ! j’ai connu un brave garçon,
Dont les traits avaient été coulés dans le moule de la Vertu,
Comme si elle le destinait à être le jouet de la Beauté,
Avant d’en faire de sa forteresse l’instrument.
[…]
Il avançait comme la fine brume de l’été,
Qui nous dévoile de nouveaux paysages
Et fait sa révolution sans trompeter,
Sans que bruisse le vent dans les feuillages.
Je fus tellement pris au dépourvu
Que j’ai presque failli en oublier mes hommages ;
Et force m’est d’admettre désormais,
Que l’eussé-je moins aimé, je l’eus mieux aimé.
Chaque fois que nous nous retrouvions,
Un respect déférent entre nous s’interposait,
Si bien que nous semblions l’un à l’autre plus inaccessibles
Que lors de notre première rencontre.
De deux, nous devenions un, tant était grande la sympathie,
Bien empêchés d’entamer la moindre discussion ;
A quoi nous sert-il d’être à la sagesse aguerris
Si l’absence a tramé cette dualité ?
L’éternité n’offrira pas de seconde chance,
Il me faut suivre mon chemin en solitaire,
Me souvenant que nous nous sommes déjà rencontrés,
Et sachant ce plaisir rare définitivement disparu.
Samedi 22 juin. […] Certaines personnes portent en elles à la fois l’apparence et la réalité de la vertu, sans en être conscientes –et sont assez humbles pour l’apprécier chez autrui. Il est impossible de ne pas les aimer- c’est comme si leur charme était indépendant de leur personne, de sorte que vous n’avez pas l’impression qu’il a disparu lorsqu’elles s’absentent. Et dès qu’elles sont là, c’est comme une présence invisible qui veille sur vous.
Cette vertu que nous apprécions est autant la nôtre que celle d’autrui. Nous ne voyons bien que ce que nous possédons.