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Critique de CeCedille


Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse critique

Sous le titre « La montagne », les éditions « Atelier de l'agneau » ont eu l'idée de réunir dans leur collection Litté-nature, deux textes célébrant la randonnée, à une époque où ni le terme ni l'envie n'existaient. Au XIXème siècle encore, on préférait les routes et les chemins balisés aux excursions périlleuses et solitaires par monts et par vaux.
Le premier texte, inédit en français, et présenté aussi dans sa version anglaise, est de Henri David Thoreau. C'est un court récit, en 27 pages, de l'ascension du Mont Wachusett. Fasciné par « la ligne brumeuse que dessine les montagnes à l'horizon », Thoreau décide d'en faire l'ascension avec un compagnon, depuis la ville de Concord, qu'il quitte le 19 juillet 1842. Sous le haut patronage de Homère, Virgile, Humboldt, Samuel Johnson, il laisse « d'heureuses vallées...non sans craindre que dès lors il n'y ait plus pour nous de pays enchanté ». de fait la marche est courte : les marcheurs traversent Acton, Stow, Bolton, Lancaster and Sterling, et arrivent à West Sterling au coucher de soleil. Ils dorment à l'auberge locale et atteignent le jour suivant le sommet . 54 kilomètres parcourus en deux jours de marche : honorable randonnée, dépourvue de caractère sportif. le but est autre, comme on peut l'imaginer chez l'auteur, naturaliste et poète. Il s'agit de jouir du paysage, du contraste entre les vallées verdoyantes, consacrées à la culture du houblon, les contreforts forestiers et sommet dépouillé . C'est l'été. Il fait chaud. Sur le chemin, on botanise, goutant le frais parfum de la « swamp pink ». On patauge pieds nus dans les rigoles. On cueille des framboises, favorisées par « l'air raréfié des sommets » - à quelques centaine de mètres d'altitude! -. On célèbre la nature comme un culte. Bref , on est philosophe et poète plus que géographe.

Géographe en revanche reste Elisée Reclus, dont le texte, (11 pages extraites de l' « Histoire d'une montagne ») est présentée à la suite de celui de Thoreau. le narrateur est « triste, déprimé, las de la vie ». Plutôt que de mourir, il fuit la ville vers la montagne, pour se régénérer et retrouver le goût de vivre au contact de la nature et de la sombre beauté des sommets. Il rencontre un berger, qui l'accompagne dans sa découverte de ce milieu nouveau qu'il découvre, avec l'amitié. Ce qui ne l'empêche pas d'instruire doctement son nouvel ami des merveilles des sciences de la terre : « je lui expliquais aussi bien des choses qu'il ne comprenais pas et que même il n'avait jamais désiré comprendre ». Cette ascension, minutieusement décrite ne peut être située sur une carte. Elle est le modèle de découverte d'une montagne symbolique, mère de tous les montages, à l'usage des écoles. Car ce texte initialement publié chez Hetzel, puis chez Hachette, était destiné à une collection pour l'édification de la jeunesse et les distributions de prix. Élisée Reclus mêle l'étude scientifique à la réflexion morale et politique sur le progrès et le bonheur, dans le grand style IIIème République, entre Jean Henri Fabre -l'Homère des insectes- et « le tour de la France par deux enfants ». le texte, orné de belles descriptions et de plaisants récits, a de quoi susciter la nostalgie de l'encre violette et de la plume Sergent-Major , et reste une inépuisable source de dictées pour le certificat d'étude.

« Qu'une petite vapeur s'élève, qu'une brume imperceptible se forme à l'horizon, ou seulement que le soleil, en s'inclinant, laisse gagner l'ombre, et ce montagnes si belles, ces neiges, ces glaciers, ces pyramides, s'évanouissent par degrés ou même en un clin d'oeil. On les contemplerait dans leur splendeur. et voici qu'elles ont disparu du ciel; elles ne sont plus qu'un rêve, un souvenir incertain. »

On peut préférer, sur le même thème, le récit d'un autre poète, Pétrarque, à l'assaut du Mont Ventoux en compagnie de son frère, un livre de Saint Augustin dans sa poche, admirable allégorie de la vie de l'esprit, qui élève plus encore que la difficile ascension. René Daumal aurait pu figurer en exergue lorsqu'il écrit dans « le Mont Analogue » : « On monte, on voit. On redescend, on ne voit plus ; mais on a vu. Il y a un art de se diriger dans les basses régions, par le souvenir de ce qu'on a vu lorsqu'on était plus haut. Quand on ne peut plus voir, on peut encore du moins savoir. »

Les admirateurs de Thoreau seront heureux de lire son texte inédit en français. Il apprécieront l'élégance de la traduction, surtout dans les passages de poésie versifiée. Ils regretteront en revanche que l'éditeur n'aie pas eu l'idée de mettre les deux versions anglaise et française en regard, pour la commodité de lecture. Une présentation et quelques notes n'auraient pas été inutiles à l'usage du lecteur ignorant des références littéraires de Thoreau. A l'appui de l'idée affichée par la collection de défendre la nature à travers la littérature, un zeste de culture n'aurait pu qu'ajouter à la saveur du recueil.
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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