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Citations sur Myosotis (7)

« C’est facile pourtant. L’adage ne dit-il pas qu’on vit et meurt de son métier. Chacun de nous a un métier. Par lui il connait et la gloire et la déchéance. Ici, votre métier de chanteuse peut sauver Hung. Dans ce trou perdu de montagne et de jungle, aucune loi ne domine l’homme. Tout être humain est charitable quelque part. Si vous accomplissez leurs désirs, ils vous aideront à libérer votre mari.
- Ca signifie que je chanterai pour eux ? Ces geôliers, ces… » répliqua-t-elle, pensant aux paroles dont la Mamma du prisonnier martelait ses oreilles. Les geôliers battent quotidiennement les prisonniers. La réalité n’est jamais à l’image des discours dont les mandarins abreuvent le peuple.
Lâm ignora l’air dubitatif de Suong, n’accorda aucune attention à la révolte masquée de sa question. Tranquillement, il regardait le lointain :
« Je sais. C’est justement pourquoi vous devez chanter. »
Il se tut. Les rides se creusaient au bord de ses yeux, sur ses pommettes. Suong attendit, le regard fixé sur son visage. Un long moment passa. Lâm, lentement :
« J’ai tourné et retourné la question dans ma cervelle. Le ciel nous a offert dix ans à tournoyer sur les planches pour servir les foules. Pourquoi n’utiliserions-nous pas ce misérable talent pour nous sauver nous-mêmes ! Vous chanterez. Je ferai mon One man show. A nous deux, nous avons largement la capacité de leur servir quelques soirées. Il faut sortir Hung de là à n’importe quel prix. Ici, naturellement, ce n’est pas le paradis. Et ce n’est pas très loin de l’enfer. »
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-Qui commence ?
- M. Hung.
- Non. J’aime regarder avant de fumer. Essayez d’abord, Truc Son. Depuis toujours, c’est au poète d’ouvrir la voie. »
Truc Son s’allongea sur la natte. L’aubergiste lui servit la première pipe d’opium de sa vie. Il s’étrangla, toussa. Après chaque quinte de toux, il aspira toujours plus longuement la fumée. A partir de la moitié de la dose, il serra violemment la tige de la pipe entre ses dents. Ses yeux se diluèrent lentement comme s’il s’endormait dès qu’il lâchait la pipe. Ce sera au moins un merveilleux sommeil. Une partie de l’humanité se laisse séduire par cette fumée parce qu’elle aime rêver. Je la rejoindrai, il n’y a plus de place pour moi dans cette misérable existence, j’irai à la recherche des rêves. Hung sentit soudain se réveiller en lui les emballements de sa jeunesse. Je dois expérimenter la vie des rêves, c’est aussi une aventure. Les hommes ont découvert tous les continents de la planète, plus aucune terre inconnue ne les appelle. Ils exploreront les continents du rêve. Ces pensées ornèrent la cabane puante, effacèrent la sensation de la crasse qu’il avait éprouvée en traversant la forêt de filaos. Il sentit son cœur battre la chamade, le sang couler plus fort dans ses veines. Il revécut la curiosité, l’exaltation de son adolescence.
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L‘art exige trois conditions fondamentales : la liberté, l’oisiveté, le luxe. Ici, je ne vois aucune possibilité de réaliser une seule de ces trois conditions.
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Peu à peu, non seulement la nuit mais aussi en plein jour, la nostalgie des collines souleva dans l’âme du jeune homme un grand vent chargé de la senteur des fleurs de tétracéra, des herbes odorantes, des pétales de pâquerette écrasés, du parfum des moxas à l’absinthe, des boutons de basilic qu’il écrasait entre ses doigts. Même la puanteur des chèvres qui revenaient en se dandinant dans l’enclos après une journée torride lui manquait. Il commença à rêver du retour à la terre natale. Souvent, il voyait apparaître des collines ondulantes comme les vagues de la mer, des cols encaissés, où s’élançaient des camphriers, où rampaient des tiges d’herbes vert sombre. A la saison des fleurs, le mauve clair des fleurs de myrte se tissait au violet agressif des fleurs de mua comme si on les avait brodées sur les flancs des collines et des montagnes. Il revit les champs de poivriers verts où il se glissait avec Suong sous les piquets pour arracher les mauvaises herbes. A midi, dégoulinants de sueur, ils couraient vers le val, dans le vent qui rafraîchissait leur peau, allaient se baigner dans le ruisseau. Elle finissait toujours son bain avant lui. Pendant qu’il plongeait, s’ébattait dans l’eau, elle ramassait des herbes sèches, faisait griller des patates ou des maniocs. Aucun mets de cette abominable ville ne pourrait se comparer à la saveur merveilleuse des patates et des maniocs grillés. J’ai été si heureux ! Si seulement ces jours revenaient. O ! Maman, si seulement je pouvais revivre ce temps.
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"Bonheur, la célèbre chanteuse. Je ne m'attendais pas à vous avoir pour cliente aujourd'hui, dit-il avec chaleur et, se retournant vers sa femme : Dis, Lan, sais-tu qui est cette personnalité ? L'Edith Piaf de l'Indochine."
La femme regarde Suong, surprise :
"Excusez-moi, je ne vous ai pas reconnue. Vous êtes tellement éblouissante sur scène.
- Qui peut imaginer que vous êtes si simple dans le quotidien, continue le médecin avec un sourire espiègle, magnanime. Moi, j'approuve votre manière simple de vous habiller. La scène est une chose, la vie en est une autre. A chacune son visage. Il faut savoir les distinguer.
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Quant aux magnolias jaunes, dans sa province natale, on racontait partout la légende de leur origine. Il était une fois, une jeune fille belle, bien élevée, qui perdit sa vertu par amour pour un prince élégant, chevaleresque. Ils s’étaient juré fidélité devant les monts et les mers. Mais les parents du jeune homme le forcèrent à épouser une princesse, fille d’une famille riche et puissante ». Rejeton d’une famille célèbre et honorée, il dut sacrifier l’amour à la piété. Le jour du mariage, la jeune fille trahie se pendit à un vôi au bord d’une mare. On l’enterra au pied de l’arbre. L’arbre se dessécha, dépérit, mourut. La mare devint une mare hantée. Elle attirait les beaux jeunes hommes de la province. Ils venaient s’y baigner, s’y noyer. Les habitants du village, de la région consacrèrent une demi-lune pour combler la mare. La mare devint une tombe. Un arbre en jaillit, dont les fleurs aux pétales d’or embaumaient d’un pénétrant parfum. On les baptisa magnolias jaunes. L’impitoyable et terrifiant parfum attirait les hommes comme le pollen attire les abeilles. Surtout la nuit ou à l’heure du Cheval, vers midi. Celui qui s’y laissait prendre tournoyait sans fin autour de l’arbre, incapable de se souvenir du chemin du retour, comme de la limaille autour d’un aimant. Sa famille devait alors venir en foule armée de fouets imbibés d’urine, cravacher l’arbre pour libérer l’homme, le ramener à la maison. Il fallait ensuite lier solidement l’homme ensorcelé au pied d’un aréquier, ceindre son front d’une couronne de tiges de mûrier. Sans cette précaution, la nuit même, il revenait au pied de l’arbre, errait autour jusqu’à l’aube. Son sang se tarissait, son esprit s’égarait, il mourait en moins de trois jours. Les hommes mûrs, les jeunes gens de la région, assoiffés de désir, furent décimés. Le mandarin fit creuser des tranchées autour de la mare. On entassa des épines de févier, on les brûla, on planta des pals dans les cendres ? Alors, les hommes cessèrent de rôder alentour. Les habitants fuyaient le parfum des magnolias jaunes comme s’ils avaient le diable aux trousses. Les mois, les années passèrent. L’arbre se flétrissait, renaissait, se multipliait. Il devint une forêt. Les Français conquirent notre pays. Lubriques, ils tombèrent immédiatement amoureux du parfum ensorcelant de cette fleur. Ne respectant aucune superstition, ils plantèrent l’arbre dans leurs villas, leurs bâtiments administratifs. Depuis, la fleur reçut un autre nom : magnolia français. Petit, Lâm avait entendu mainte fois cette légende. Aujourd’hui, elle réveillait en lui de terrifiants échos.
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- Lâm, mon père a vécu toute sa vie paisible et oisive sous la protection de ma mère. Ce n’était qu’un étudiant en littérature, il n’avait même pas réussi ses examens. Il passait sa vie à déclamer les poèmes de Li Po, To Fou, à commenter la Complainte de la femme du guerrier, ou Le Pavillon de la grue d’or. Pourtant, chaque fois qu’il recevait des amis littéraires, ma mère ordonnait aux domestiques de préparer cinq à sept plateaux pour le banquet, elle laissait même tomber son commerce pour lui tenir compagnie.
- Ils appartiennent à un autre temps. Ils vivent avec leur époque. Auriez-vous oublié l’adage ? A chaque tronçon de fleuve ses propres eaux.
- Je comprends. Ma mère était une femme solide comme le bois de cyprès ou de pin, alors que ma femme est faite d’un bois plus tendre. C’est une variété de plante grimpante. »
Lâm rit :
- Pourquoi l’obligez-vous alors à tirer une si lourde charge ?
- Elle est néanmoins une femme vietnamienne. Nous avons la chance d’être nés sur une terre où la femme est prête à consentir avec générosité à de grands sacrifices. Suong est capable de supporter comme ma mère une partie de la charge.
- Vous parlez fort bien, Hung. Mais autrefois, avez-vous vu les amis littéraires de votre père se moquer de votre mère, la mépriser ?
- Mes compagnons de beuverie ne font que des éloges de Suong. Aucun n’oserait…
- Vous vous trompez. Voici ma deuxième question. Autrefois, votre père festoyait-il avec ses amis dans la grande salle en laissant votre mère manger dans la cuisine avec les domestiques comme le font Suong et An ? Pendant que vos ivrognes d’amis font ripaille jusqu’à la nausée à l’étage, ils mangent les restes de vos festins.
- …
- Vous ne le savez pas ou n’osez-vous pas le savoir ? Vous utilisez l’alcool pour vous boucher les yeux et les oreilles, pour vivre dans l’inconscience. C’est la plus lâche des conduites à laquelle nous autres, les hommes, avons recours depuis toujours. Vous dites que vos amis couvrent Suong d’éloges. Cela ne m’étonne pas. Quel homme ne flatterait-il pas la femme de son hôte quand cela lui permet de boire et de festoyer à l’œil, sans avoir à bouger le petit doigt de leur paresseuse carcasse pourrie ? Mais après les flatteries, lequel de vos amis e-t-il pointé le doigt sur le visage de Suong pour déclarer : sans le musicien Hoang Hung, vous seriez à jamais une paysanne anonyme dans un trou perdu des montagnes, il est juste que vous le serviez avec dévouement et cela suffit à peine à payer une partie de votre dette de reconnaissance envers celui qui vous a recréée. Qui a dit ces paroles et pas qu’une fois.
- Qui ? Je n’y ai pas fait attention.
- Vous le savez. Essayez de vous rappeler.
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