Citations sur Ru (190)
Petite, je croyais que la guerre et la paix étaient deux antonymes. Et pourtant, j'ai vécu dans la paix pendant que le Vietnam était en feu, et j'ai eu connaissance de la guerre seulement après que le Vietnam eut rangé ses armes. Je crois que la paix et la guerre sont en fait des amies et qu'elles se moquent de nous . Elles nous traitent en ennemies quand cela leur plaît, comme ça leur convient, sans se soucier de la définition ou du rôle que nous leur donnons. Il ne faut donc pas se fier à l'apparence de l'une ou de l'autre pour choisir la direction de notre regard.
J'aime les hommes de la même manière, sans désirer qu'ils deviennent miens. Ainsi, je leur suis une parmi d'autres, sans rôle à jouer, sans exister. Je n'ai pas besoin de leur présence parce que les gens absents ne me manquent pas. Ils sont toujours remplacés ou remplaçables. (p. 157)
Il n'avait pas vieilli avant de mourir.
Il avait arrêté le temps en continuant à s'amuser, à vivre jusqu'à la fin avec la légèreté des jeunes adultes.
P102
Il est aussi de ces enfants qu'il faut aimer de loin, sans les toucher, sans les embrasser, sans leur sourire parce que chacun de leurs sens serait violenté tour à tour par l'odeur de notre peau, par l'intensité de notre voix, par la texture de nos cheveux, par le bruit de notre coeur. Il ne m'appellera probablement jamais "maman" avec amour, même s'il peut prononcer le mot "poire" avec toute la rondeur et la sensualité du son "oi".
Ru est composé de très courts récits liés un peu comme dans une ritournelle: la première phrase du chapitre reprend le plus souvent l’idée qui terminait le chapitre précédent, permettant ainsi de faire le pont entre tous les événements que la narratrice a connus: sa naissance au Vietnam pendant la guerre, la fuite avec les boat people, son accueil dans une petite ville du Québec, ses études, ses liens familiaux, son enfant autiste, etc. La vie de l'auteure est bourrée de gens charmants, singuliers, de situations difficiles ou saugrenues vécues avec un bonheur égal, et elle sait jouer à merveille avec les sentiments du lecteur...
A la seule vue de ces cicatrices, nos racines tropicales, transplantées dans des terres recouvertes de neige, ont émergé à nouveau. En une seule seconde, nous avons pu constater notre ambivalence, notre état hybride : moitié ci, moitié ça, rien du tout et tout en même temps.
Une main tendue n est plus un geste mais un moment d'amour, prolongé jusqu'au sommeil, jusqu'au réveil, jusqu'au quotidien.
Je n’ai pas crié ni pleuré quand on m’a annoncé que mon fils Henri était emprisonné dans son monde, quand on m’a confirmé qu’il est de ces enfants qui ne nous entendent pas, qui ne nous parlent pas, même s’ils ne sont ni sourds ni muets. Il est aussi de ces enfants qu’il faut aimer de loin, sans les toucher, sans les embrasser, sans leur sourire parce que chacun de leur sens serait violenté tout à tour par l’odeur de notre peau, par l’intensité de notre voix, par la texture de nos cheveux, par le bruit de notre coeur. Il ne m’appellera probablement jamais « maman » avec amour, même s’il peut prononcer le mot « poire » avec toute la rondeur et la sensualité du son oi. Il ne comprendra jamais pourquoi j’ai pleuré quand il m’a souri pour la première fois. Il ne saura pas que, grâce à lui, chaque étincelle de joie est devenue une bénédiction et que je ne cesserai jamais de livrer combat contre l’autisme, même si d’avance je le sais invincible. D’avance, je suis vaincue, dénudée, vaine.
Alors, il n'est peut-être pas nécessaire que ma mère soit ma reine, c'est déjà beaucoup qu'elle soit uniquement ma mère, même si mes rares baisers sur ses joues sont moins majestueux.
"Ma première enseignante au Canada nous a accompagnés, les sept plus jeunes vietnamiens du groupe, pour traverser le pont qui nous emmenait vers notre présent. Elle veillait sur notre transplantation avec la délicatesse d'une mère envers son nouveau-né prématuré. Nous étions hypnotisés par le balancement lent et rassurant de ses hanches rondes et de ses fesses bombées, pleines. Telle une maman cane, elle marchait devant nous, nous invitant à la suivre jusqu'à ce havre où nous redeviendrions des enfants, de simples enfants, entourés de couleurs, de dessins, de futilités".