Moi, j’ai touché la tête de mon père une seule fois. Il m’avait ordonné de m’appuyer dessus pour enjamber la rampe du bateau.
Quelqu'un m'a dit que les liens se tissent avec les rires,mais encore plus avec le partage,les frustrations du partage.
Et aussi, où une main tendue n’est plus un geste, mais un moment d’amour prolongé jusqu’au sommeil, jusqu’au réveil, jusqu’au quotidien.
Je ne cesserai jamais de livrer combat contre l'autisme, même si d'avance je le sais invincible.
D'avance, je suis vaincue, dénudée, vaine
Un dicton vietnamien dit: «Seuls ceux qui ont les cheveux long ont peur, car personne ne peut tirer les cheveux de celui qui en a pas.» Alors, j'essaie le plus possible de n'acquérir que des choses qui ne dépassent pas les limites de mon corps.
Grâce à l’exil, mes enfants n’ont jamais été des prolongements de moi, de mon histoire. Ils s’appellent Pascal et Henri et ne me ressemblent pas. Ils ont les cheveux clairs, la peau blanche et les cils touffus. Je n’ai pas éprouvé le sentiment naturel de la maternité auquel je m’attendais quand ils étaient accrochés à mes seins à trois heures du matin, au milieu de la nuit. L’instinct maternel m’est venu beaucoup plus tard, au fil des nuits blanches, des couches souillées, des sourires gratuits, des joies soudaines.
J'aimerais les mettre face à face pour les entendre faire la comparaison entre une cicatrice désirée et une cicatrice infligée, l'une payée, l'autre payante, l'une visible, l'autre impénétrable, l'une à fleur de peau, l'autre insondable, l'une dessinée, l'autre informe.
Mais nous étions tous au rendez-vous, parce qu'il réussissait à soulever le ciel pour nous laisser entrevoir un horizon, loin des trous béants remplis d'excréments accumulés par les deux mille personnes du camp. Sans son visage, nous n'aurions pas pu imaginer un horizon dépourvu d'odeurs nauséabondes, de mouches, de vers. Sans son visage, nous n'aurions pas pu imaginer qu'un jour nous ne mangerions plus de poissons avariés, lancés à même le sol chaque fin d'après-midi à l'heure de la distribution des vivres. Sans son visage, nous aurions certainement perdu le désir de tendre la main pour rattraper nos rêves.
Ce sont mes enfants qui m'ont enseigné le verbe "aimer", qui l'ont défini. Si j'avais su ce qu'était aimer, je n'aurais pas eu d'enfants, car une fois qu'on aime on aime pour toujours.
Si une marque d'affection peut parfois être comprise comme une offense, peut-être que le geste d'aimer n'est pas universel : il doit aussi être traduit d'une langue à l'autre, il doit être appris.