La circulation était à l'image de ce qui se passait dans ce pays : personne ne respectait le Code de la route de peur de céder la priorité à son prochain. Une preuve de faiblesse dans une ville où on jouait à celui ou celle qui exhibait la bagnole la plus chère, la plus puissante. Un concours de bites perpétuel. Il y régnait un chaos que seuls les habitués savaient négocier. Les novices, eux, y laissaient souvent des ailes froissées ou en ressortaient avec des rétroviseurs qui pendouillaient piteusement, arrachés par des camionneurs dédaigneux, perchés dans leurs cabines. Pourtant plusieurs voitures de flics étaient postées en permanence à la sortie des carrefours. Leurs occupants, plus concentrés sur leur smartphones que sur le bordel quotidien ambiant, semblaient avoir d'autres chats à fouetter.
C'était la première fois que les deux fillettes riaient sans crainte, sans que leur joie ne fût interrompue par la menace du chien aux yeux étranges ni celle du grand dégueulasse.
En Algérie, hormis sa jeunesse, le temps est la denrée la plus abondante et la plus inutile.
- L'homme a besoin de sentiment d'appartenance car la croyance sans la pratique isole le fidèle.
- Même au risque d'entrer dans la mosquée cinq fois par jour par simple automatisme, comme pour pointer à l'usine céleste ?
La ville de Béchar ressemblait à toutes les autres villes moyennes d'Algérie : un centre-ville plus ou moins organisé et des quartiers périphériques composés de maisons sans charme, dont la plupart étaient coiffées de piliers porteurs s'achevant sur un épi de ferraille à béton. La couleur brique et le gris dominaient largement dans ce pays où la peinture semblait avoir séché dans les pots. Chantier permanent.
La ville d'Oran avait durement accusé l'arrivée de centaines de milliers d'exilés ruraux fuyant la misère et le terrorisme.
- Les deux militaires incriminés ont été envoyés en stage dans le désert pour quelque mois, histoire d'enseigner le Code la route aux caravaniers et dresser des PV aux dromadaires en excès de vitesse. Je m'en suis personnellement occupé, conclut Kémal sans forfanterie.
Ils se tenaient, terrés en silence au fond de la remise qui sentait le gasoil et le cambouis. Ils se serraient les uns contre les autres, partageant la peur, les yeux grands ouverts dans l'obscurité. Le vieux venait juste de passer avec sa longue tige de bambou. Il avait fouetté l'air, écorchant au passage quelques cuisses décharnées, frôlé des épaules hâves et éraflé des joues creuses. Il ne fallait pas pleurer.
Aujourd'hui, la baisse des revenus pétroliers du pays qui importait la presque totalité de ses denrées alimentaires, faisait craindre le pire pour l’avenir.
Ce pays était décidément dans l'incapacité de gérer une succession présidentielle avec la raison et la sérénité qu'imposait la démocratie.