Les Fantômes de la nuit : Des chauves-souris et des hommes

Comme à chaque fois, un rouge-gorge semble vouloir avoir le dernier mot, comme s’il devait assumer une transition immuable entre le monde des vivants diurnes aux couleurs chatoyantes et les fantômes de la nuit tout en nuances de gris.

Ainsi, plus il y a de biodiversité, et moins il y a de chances qu'une zoonose apparaisse. D'ailleurs, il suffit de lire les cartes présentant les zones d'émergences des zoonoses et de les comparer aux cartes des forêts tropicales puis de la biodiversité estimée : un rapide coup d’œil montre facilement que les forêts tropicales les mieux préservées et les plus riches en biodiversité sont inversement corrélées à l’émergence des maladies infectieuses d'origine animales sauvage. p210

Diverses hypothèses scientifiques suggèrent que les ultrasons aident les arbres à pousser, car ils y seraient sensibles. En découlent d'autres théories qui impliqueraient un rôle du chant des oiseaux dans cette histoire de croissance des plantes. p149

Ce phénomène de sélection de jeunes de tel ou tel sexe quand les pressions environnementales augmentent est peu documenté chez les chauve-souris, mais il a été démontré chez les primates, dont l'homme : en tant de guerre, les mères donnent plutôt naissance à des filles qu'à des garçons, pour assurer le renouvellement de la population. p100

Ce qui est probablement le plus incroyable chez les chiroptères, c'est que si nous ne donnions aucun indice de leur taille, les comportements sociaux qu'ils ont développés nous feraient penser à des mammifères très évolués et de grande dimension plutôt qu'à de petits mammifères volants de quelques grammes et dont le cerveau minuscule dépasse la capacité cognitive de beaucoup d'autres vivants. p98

Par ailleurs, en étudiant le murin de Bechstein dans les forêts bavaroises, Gerald Kerth a observé des comportements pouvant être assimilés à des échanges d'informations. Animaux hautement sociaux, on peut imaginer que les chauves-souris au gîte se transmettent des informations précieuses sur l'environnemt de la colonie. Chaque individu aurait donc, en plus de sa propre carte mentale, celle de l'ensemble de la colonie, qu'elles construisent collectivement, en open source ! Et tout cela embarqué dans quelques grammes rechargés chaque nuit d'une poignée de moustiques... Ces vivants sont fascinants !

Une autre école s'oppose totalement à celle-ci (celle d'un contrôle de recherche sur les maladies potentielles . Elle part du postulat qu'il faudrait considérer le cas du vivant avec humilité, car la vie qui s'est installée sur Terre depuis plus de quatre milliards d'années est inventive et a passé sont temps à s'adapter. Nous imaginer capables de contrer le développement des pandémies uniquement par une gestion des effets à l'aval de l'émergence est une utopie qu'il faut abandonner.

Sans exception chaque zoonose issue d'une chauve-souris a émergé dans un contexte anormal pour l'animal. A chaque fois, la population dont était issu l'agent pathogène était soumise à divers stress provoqués par l'homme, soit par la prédation directe (rappelons que de nombreuses espèces , essentiellement des roussettes de la famille des ptéropodidés, sont encore chassées de nos jours), soit par disparition de leur habitats entrainants une perte de territoire pourtant indispensable à la survie des colonies , soit à une mise en contact directe entre les colonies de chiroptères et les populations humaines. Parfois, les trois critères favorisant les émergences se
cumulaient sur une même population de chauves-souris.
Dans tous les cas, le stress au sein des mammifères était évident, avec un risque d'un affaiblissement de leur immunité, et les conséquences que l'on connait sur l'excrétion des agents pathogènes. C'est donc un dérèglement des conditions de vie de ces espèces qui est à l'origine des conditions favorable à l'apparition d'une zoonose provenant des chiroptères, et non ces derniers qui sont la cause de nos malheurs.

Je n'aime pas chercher un intérêt pour l'homme dans chaque vivant, ils ont tous leur place, sont le fruit de millions d'années d'évolution et ne doivent en aucun cas avoir une fonction purement utilitariste. Mais l'homme est ainsi fait, et la société occidentale moderne qu'il a construite à la tendance malheureuse de vouloir classer systématiquement les vivants selon trois catégories essentielles : les auxiliaires et utiles, les néfastes (autrement appelés ravageurs et nuisibles ; que nous sommes arrogants !) et les inexistants et les insignifiants, autrement dit ceux qui ne servent à rien et que l'on peut ignorer sciemment. Dans cette optique, la démonstration du rôle régulateur des chauves-souris envers les insectes défoliateurs ou piqueurs comme les moustiques est indéniable. De plus, les crottes, véritables concentrés en protéines animales issues des insectes, constituent l'engrais naturel le plus puissant qui existe.

L’imagination prend souvent une place importante pour la réussite d’une opération scientifique avec les chauves-souris arboricoles. Elle implique aussi des heures et des heures de prospection, dans le froid, la nuit, souvent seul, au calme. J’aime ces moments, qui servent aussi à l’ introspection.