Citations sur La ligne (19)
Elle n'a rien à faire avec tous ces gens qui s'écharpent au sujet d'une ligne qu'on ne peut voir qu'en baissant le regard. Elle se répète à l'envie qu'elle n'est pas comme ces idiots dociles qui écoutent à présent le représentant de l'Etat, comme ils l'ont fait avec leurs parents, l'instituteur ou le curé, oscillant entre renoncement et soumission.
Elle observe l'enfant, cherche les traits de l'insouciance qui peu à peu s'effacent, et bientôt disparaîtront à jamais.
- Je serai toujours là pour te protéger.
Elle est comme ces volcans dont les entrailles palpitent, bouillonnent, poussent, chahutent jusqu'à se retrouver à l'étroit, avant de fracasser la croûte terrestre et jaillir de toute leur puissance destructrice.
Mais le rêve n'a jamais quitté les pages de papier glacé ni les documentaires télé, ne s'est jamais mû en passion furieuse, sans doute castré par cette petite voix intérieure qui n'a de cesse de piétiner les désirs et les promesses que l'on se fait à soi-même. Impossible. Impensable. Trop dur. Trop loin de l'idée que l'on se fait de soi-même, de celle que les autres se font de nous.
Fabriquer un ennemi, un bouc émissaire ou un simple responsable au malheur qui les touche. De quoi poursuivre sur la voie de la dignité tout en faisant porter à d’autres la responsabilité de ce qui se produit. Philippe a d’autant plus la conviction que cela va arriver, qu’il sait son frère en embuscade. Jacques écoute, laisse chacun épuiser ses arguments. L’occasion est trop belle pour qu’il la laisse passer.
Philippe vérifie l’heure sur son téléphone, rêve qu’ils en finissent au plus vite. Il parcourt l’assistance du regard, tente de deviner où passera la ligne de fracture. Le spectacle de cette assemblée à l’hostilité latente le révulse. Bientôt, deux camps se formeront, qui trouveront une raison de s’opposer à l’autre.
Tony fait mine de s'en contenter mais il n'est pas dupe. Elle sait qu'il n'est pas dupe. Elle sait aussi qu'il n'est pas surpris de ce qui arrive. Peut-être s'étonne-t-il que ça ait mis autant de temps à emporter leurs vies. (...) Au fond d'elle, elle redoute le moment où elle repensera à tout cela avec nostalgie.
Elle sait que par ici, il existe un dicton pour chaque chose. Une sorte de main courante rassurante qui donne une explication à tout et évite de vaciller.
Tout ceci lui semble maintenant si futile qu'elle en éprouve même une sorte de dégoût. De la vie, d'elle-même, de toutes ces illusions dont elle s'est bercée, convaincue que chacun de ses actes permettrait de consolider le fragile équilibre qui régnait jusque-là. Tout s'empilait à la perfection, et chacune de ses projections rencontrait un futur meilleur, qui sonnait juste. Méprise. Grave erreur d'appréciation.
Et puis il y a la mémoire diffuse de tout ce qui n'a pas été réellement dit, ou fait, qui vient se mêler au reste pour reconstituer une histoire de son enfance. Il sait que la vision qu'il en garde est sans doute éloignée de la réalité. Une histoire faite de certitudes et d'une multitude de questions auxquelles il ne cherche plus à répondre. Une histoire qui est devenue la sienne et qu'il n'essayera pas de changer.