Je commence par recopier 2 paragraphes de wikipedia, qui, par l'excellence de leur analyse, ne méritent pas d'être paraphrasés :
"L'aspect visionnaire de cette oeuvre a marqué les esprits. de fait Tocqueville a prédit plusieurs événements qui se sont réalisés au fil du temps. Ainsi de la question de l'abolition de l'esclavage qui allait déchirer les États-Unis au cours de la Guerre de Sécession (1861-65); de la disparition des nations indiennes (« Je crois que la race indienne de l'Amérique du Nord est condamnée à périr, et je ne puis m'empêcher de penser que le jour où les Européens se seront établis sur les bords de l'océan Pacifique, elle aura cessé d'exister »1); de l'émergence des États-Unis et de la Russie comme super-puissances2, menant à une bipolarisation (situation que le monde connaîtrait sous le nom de guerre froide), du rôle croissant de l'administration dans la vie des citoyens, comme conséquence de l'exigence d'égalité de ceux-ci, ou bien encore du renoncement des citoyens à leur liberté au profit d'une plus grande égalité, comme cela eut lieu au xxe siècle dans les sociétés totalitaires. Plus discutable peut être sa prédiction de la violence entre les partis politiques et du jugement des sages par les ignorants.
De fait la démocratie américaine comportait, selon Tocqueville, des faiblesses potentielles : le despotisme populaire, la tyrannie de la majorité, l'absence de la liberté intellectuelle, faiblesses conduisant à la dégradation de l'administration et occasionnant la chute de la politique bénéfique, de l'éducation et des belles-lettres. Notons que si
de la démocratie en Amérique fut rapidement reconnue comme une oeuvre majeure par nombre de commentateurs, elle fut aussi critiquée pour certaines lacunes : ainsi de la quasi absence de la mention de la pauvreté dans les grandes villes (même si l'on peut faire valoir que dans les années 1830, au moment où Tocqueville rédigeait son livre, la pauvreté n'était pas aussi répandue ni aussi critique qu'elle le devint plus tard dans les villes américaines), et d'une façon plus générale de l'impasse faite par l'auteur sur la question sociale."
Pour ma part, j'ajouterai que la qualité et le défaut simultanés de la démarche de Tocqueville résident dans son côté très "intuitif" : il énonce des enchaînements qui ne sont logiques que pour lui-même. Cela lui permet une très grande fluidité, certaines fulgurances visionnaires, mais se paye par quelques aberrations totales.
Il fonctionne beaucoup par a priori. Un tel livre devrait donc être normalement imbuvable. Et pourtant, il a une telle acuité d'observation, sans doute poussée par une volonté de neutralité où on reconnaît la figure de l'honnête homme en proie à de sincères interrogations, qu'on lui pardonne tant sa démarche apparaît, finalement, très originale voire rafraîchissante à un chercheur du XXIème siècle.
D'autant que l'on a rarement l'occasion de revenir 200 ans en arrière, pour y lire la photo d'un pays de la plume d'un homme qui nous parait incroyablement contemporain dans ses réflexions (sur la justice ou la décentralisation, par exemple).
La seule chose réellement choquante en 2020 est la quantité de jugements à l'emporte-pièce portés sur le peuple, sur les "sauvages", sur les motivations des hommes... Cela nous montre que le politiquement correct et l'auto-censure qu'elle induit, souvent critiqués, peuvent avoir du bon, puisqu'ils nous épargnent, au moins sur les sujets identifiés comme sensibles, de telles bavures.
D'une manière générale, la manière dont Tocqueville établit un pont entre l'Antiquité, la pensée des Lumières, et ce que va devenir la philosophie économique et politique, est très fertile en idées pour son lecteur de 2020.