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Critique de Michel69004


De l'identité.

Savez-vous ce qu'est une Empouse ? Vous donnez votre langue au chat ? Car dans ce livre il sera fortement question d'ingestion d'organes, vous allez être étonnés.
Les Empouses sont des créatures spectrales, issues de la déesse Hécate, qu'on devine et qu'on peut voir dans certaines conditions. Vous allez faire leur connaissance, ce sont les narratrices du livre, et qui sait, peut-être vous attacherez-vous à elles !
Olga Tokarczuk, Nobel de littérature en 2018, nous embarque dans un nouveau livre-monde, aussi envoutant qu'étrange et donc, puisque c'est le sous-titre, épouvantablement naturopathique
Si vous acceptez l'invitation, vous ferez un voyage improbable entre l'humidité moussue des sous-bois et les sommets maudits de Basse-Silésie. On y parle l'allemand, c'est important pour le récit.
Mais tout commence par le village thermal de Görbersdorf (Sokolowsko, dans la Pologne contemporaine) où les narratrices nous entrainent pour une cure un peu spéciale même si, au départ, le sanatorium est avant tout destiné aux tuberculeux.
Nous sommes à la fin de l'année 1912.
Disons-le tout net : Olga Tokarczuk reprend le schéma de la Montagne Magique de Thomas Mann. Nous allons rencontrer plus intimement une demi-douzaine de curistes, le docteur Sempeiweiss,Opitz le tenancier de la pension pour hommes, l'infirmière Sydonia, une jeune femme à large chapeau etc.
Puis, pffff, tout s'évaporera ou volera en éclat… et nous nous éloignerons radicalement de l'oeuvre de Thomas Mann.
Notre héros, c'est ce pauvre Mieczyslaw Wojnicz, polonais originaire de Lwów (l'actuelle Lviv ukrainienne) étudiant en ingénierie des adductions d'eau…
Le voilà obligé d'habiter la fameuse Pension pour Hommes au lieu des prestigieuses villas du sanatorium rouge brique (qui existent encore!) et surtout de co-habiter avec cinq hommes bavards dont le point commun est la dérive misogyne. Leur savants débats finissent immanquablement par d'horribles diatribes qui, en fait, appartiennent pour de vrai à des hommes célèbres (malicieuse Olga!) : Saint Augustin, Kerouac, Freud,Nietzche, Sartre, Shopenhauer, Swift, Yeats etc.
Et donc les femmes sont des attardées de l'évolution, au psychisme fragile et délicat, attirées par l'invraisemblable et les motifs de tapisserie, ravagées par leur utérus etc., la liste de leurs élucubrations est longues et malheureusement classiques.
Voila le décor planté, il commence à faire froid, c'est l'automne, la brume se répand et se disperse…
Les soins thermaux sont féroces: douches glacées, enveloppements humides etc.
Mais tout est plus ou moins humides et vaporeux et l'on s'ennuie ferme.
Jusqu'à ce de sordides évènements viennent bousculer les certitudes friables de notre cher Mieczyslaw. Une liqueur de psylocibes (champignons hallucinogènes dont la cueillette est interdite en France) brouille les discours et les perceptions, notre héros trouve des tuntshi ( fabriquées en mousse, bois et pierre, elles reproduisent le corps féminin et servent à assouvir les besoins sexuels des charbonniers) et tout devient flou et évanescent. Une autre histoire commence…

Les identités des protagonistes sont complexes à tout point de vue : culturellement, linguistiquement, socialement, sexuellement et le décor de la cure n'est qu'un prétexte pour déconstruire tout cela et détruire les shémes de domination.
Olga Tokarczuck va s'en donner à coeur joie et, c'est là la vraie magie du livre, va célébrer les identités multiples, un Moi « fait de strates nombreuses…comme un récif de corail, comme le mycélium dont la véritable existence se trouve sous terre ».
Nous irons de surprises en surprise avec un final d'anthologie.

Car Messieurs, Chers lecteurs, méfiez-vous : les Empouses vengeresses sont funestes aux hommes non déconstruits qu'elles charment et dévorent avec avidité lors de leur grand banquet automnal. Pour en finir avec la domination.

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