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Maryla Laurent (Traducteur)
EAN : 9782882508669
336 pages
Noir sur blanc (01/02/2024)
4.1/5   66 notes
Résumé :
En septembre 1912, lorsqu’il arrive au sanatorium de Görbersdorf, dans les montagnes de Basse-Silésie, le jeune Wojnicz espère que le traitement et l’air pur stopperont la maladie funeste qu’on vient de lui diagnostiquer : tuberculosis. À la Pension pour Messieurs, Wojnicz intègre une société exclusivement masculine, des malades venus de toute l’Europe qui, jour après jour, discutent de la marche du monde et, surtout, de la « question de la femme ». Mais en arrière-... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Dans le dernier Tokarczuk nous sommes en pays mysogine, au début du siècle dernier en Basse- Silésie, dans « une pension pour messieurs », dont les pensionnaires sont des tuberculeux. le personnage principal est Mieczyslaw Wojnicz , un jeune aspirant ingénieur venu se faire soigner au sanatorium de Görbersdorf (aujourd'hui Sokolowsko, en Pologne), dans la chaîne des Sudètes, au coeur de la Basse-Silésie, alors germanophone.
Bien que le contexte rappelle fortement celui de la Montagne Magique de Thomas Mann, Tokarczuk ici joue sur une autre corde , celle du réalisme magique sur le support d'une prose enchanteresse.
Dès les premières pages, la femme de Wilhelm Opitz, sinistre propriétaire de la « pension pour messieurs » où loge Wojnicz, meurt. Celui-ci l'aperçoit , morte, étalée sur la table de la salle à manger, où elle lui avait porté le petit déjeuner, le matin même . Une mort mystérieuse qu'alimentent des ragots de tout genre. Suit alors à un quart du livre, la révélation de l'identité du narrateur, qui renforce l'atmosphère gothique de l'histoire, « Quant à nous, qui sommes des spectatrices assidues, nous considérons que le plus intéressant reste toujours dans l'ombre, là où prévaut l'invisible. ».Ce « nous » sont les « Empouses », sorte de vampires femelles, de succubes, qui, dans la Grèce antique, constituaient le ­cortège d'Hécate, l'infernale déesse. Ces créatures qui ne manquent pas d'humour « Nous, les empouses, nous aimons regarder les chaussures », resterons discrètes tout au long du récit, tout en cassant la noirceur d'un contexte trop masculin et empâté. Avec leur mode d'observation fantaisiste , regardant les hommes par en dessous la table, suivant le mouvement d'une chaussure, d'une main , et observant espiègles , des détails physiques et vestimentaires plus révélatrices sur un personnage que ses paroles ou son comportement, elles nous font sourire .
Quand à notre héros Wojnicz bien qu'élevé dans une ambiance mysogine ,orphelin de mère dès sa naissance, « Oncle Emil, d'ordinaire poli, avec de bonnes manières, retirait sa cuillère du potage pour l'agiter au-dessus de l'assiette : – La femme, le diable et le crapaud sont trois enfants d'un même lit. », il est loin d'être à l'aise dans son nouvel environnement . Il peine à retrouver ses repères sexuelles parmi cette faune de mâles désoeuvrés qui se soûlent d'une liqueur bizarre, voir « diabolique »😈, qui porte le nom de Schwärmerei ( un terme qui chez Kant et les philosophes du XVIIIe siècle, désigne le fanatisme à combattre par la science), en s'emportant sur La femme, quelque soit le sujet discuté , même si celui-ci ne la touche que superficiellement.

Bref une fois encore Tokarczuk nous entraîne dans son univers fantastique, dans une histoire en contrée inconnue où les femmes sont quasiment absentes, mais étrangement, continuellement présentes à travers les conversations des hommes qui semblent les connaître mieux que quiconque 😁, « Peu importe le sujet initial de leurs débats, ils finissent par parler…des femmes. » J'ai adoré ses captations cinématographiques des détails des personnages, dirigeant sa caméra de bas en haut , ses perspectives d'une nature quasi surnaturel , ses phrases inquiétantes dit avec un naturel tout aussi inquiétant. L'ensemble suscitant un suspens éloquent qui va crescendo, toujours accompagné de piques explicites à son pays , “Son père ne croyait pas que la Pologne retrouverait un jour son indépendance. Pourquoi est-ce que cela arriverait ? Seul ce qui est grand est puissant….”. Un livre intéressant, où l'auteure a choisi le négatif du féminisme radicale poussé à l'extrême à travers les conversations sans queue ni tête des machos pour souligner encore plus fort l'évolution de la place de la femme dans nos sociétés modernes.
Une lecture qui m'a cependant mise légèrement mal à l'aise avec cette compagnie de bonhommes mysogines à la sexualité douteuse, aux propos ambigus , mangeurs de “rubans blancs”😖, agrémentée de la présence de chaises avec des sangles aux accoudoirs et aux pieds qui semblent faire partie du mobilier local, et autres détails glauques . Mais ayant lu d'autres livres d'elle, tout ceci faisant partie de son univers , mon malaise s'est finalement estompé grâce à son écriture grandiose 😊et l'arrivée d'une surprise totale qui se dévoile vers la fin.
C'est une très grande écrivaine , ce dernier roman le prouve encore une fois. Si vous l'aimez, à ne pas manquer !

« Ne sont immortelles que les choses soit minuscules, soit immenses, répond-elle avec prudence. Les atomes sont immortels, les galaxies sont immortelles. Tout le mystère est là. La portée de la mort se trouve particulièrement définie, autant que celle d'une onde radio. »
“Quand une personne juge qu'elle est devenue parfaite, qu'elle s'est accomplie, elle devrait se tuer.”

Un grand merci aux éditions Noir sur Blanc et NetGalley France pour l'envoie de ce livre.
#Lebanquetdesempouses #NetGalleyFrance





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De l'identité.

Savez-vous ce qu'est une Empouse ? Vous donnez votre langue au chat ? Car dans ce livre il sera fortement question d'ingestion d'organes, vous allez être étonnés.
Les Empouses sont des créatures spectrales, issues de la déesse Hécate, qu'on devine et qu'on peut voir dans certaines conditions. Vous allez faire leur connaissance, ce sont les narratrices du livre, et qui sait, peut-être vous attacherez-vous à elles !
Olga Tokarczuk, Nobel de littérature en 2018, nous embarque dans un nouveau livre-monde, aussi envoutant qu'étrange et donc, puisque c'est le sous-titre, épouvantablement naturopathique
Si vous acceptez l'invitation, vous ferez un voyage improbable entre l'humidité moussue des sous-bois et les sommets maudits de Basse-Silésie. On y parle l'allemand, c'est important pour le récit.
Mais tout commence par le village thermal de Görbersdorf (Sokolowsko, dans la Pologne contemporaine) où les narratrices nous entrainent pour une cure un peu spéciale même si, au départ, le sanatorium est avant tout destiné aux tuberculeux.
Nous sommes à la fin de l'année 1912.
Disons-le tout net : Olga Tokarczuk reprend le schéma de la Montagne Magique de Thomas Mann. Nous allons rencontrer plus intimement une demi-douzaine de curistes, le docteur Sempeiweiss,Opitz le tenancier de la pension pour hommes, l'infirmière Sydonia, une jeune femme à large chapeau etc.
Puis, pffff, tout s'évaporera ou volera en éclat… et nous nous éloignerons radicalement de l'oeuvre de Thomas Mann.
Notre héros, c'est ce pauvre Mieczyslaw Wojnicz, polonais originaire de Lwów (l'actuelle Lviv ukrainienne) étudiant en ingénierie des adductions d'eau…
Le voilà obligé d'habiter la fameuse Pension pour Hommes au lieu des prestigieuses villas du sanatorium rouge brique (qui existent encore!) et surtout de co-habiter avec cinq hommes bavards dont le point commun est la dérive misogyne. Leur savants débats finissent immanquablement par d'horribles diatribes qui, en fait, appartiennent pour de vrai à des hommes célèbres (malicieuse Olga!) : Saint Augustin, Kerouac, Freud,Nietzche, Sartre, Shopenhauer, Swift, Yeats etc.
Et donc les femmes sont des attardées de l'évolution, au psychisme fragile et délicat, attirées par l'invraisemblable et les motifs de tapisserie, ravagées par leur utérus etc., la liste de leurs élucubrations est longues et malheureusement classiques.
Voila le décor planté, il commence à faire froid, c'est l'automne, la brume se répand et se disperse…
Les soins thermaux sont féroces: douches glacées, enveloppements humides etc.
Mais tout est plus ou moins humides et vaporeux et l'on s'ennuie ferme.
Jusqu'à ce de sordides évènements viennent bousculer les certitudes friables de notre cher Mieczyslaw. Une liqueur de psylocibes (champignons hallucinogènes dont la cueillette est interdite en France) brouille les discours et les perceptions, notre héros trouve des tuntshi ( fabriquées en mousse, bois et pierre, elles reproduisent le corps féminin et servent à assouvir les besoins sexuels des charbonniers) et tout devient flou et évanescent. Une autre histoire commence…

Les identités des protagonistes sont complexes à tout point de vue : culturellement, linguistiquement, socialement, sexuellement et le décor de la cure n'est qu'un prétexte pour déconstruire tout cela et détruire les shémes de domination.
Olga Tokarczuck va s'en donner à coeur joie et, c'est là la vraie magie du livre, va célébrer les identités multiples, un Moi « fait de strates nombreuses…comme un récif de corail, comme le mycélium dont la véritable existence se trouve sous terre ».
Nous irons de surprises en surprise avec un final d'anthologie.

Car Messieurs, Chers lecteurs, méfiez-vous : les Empouses vengeresses sont funestes aux hommes non déconstruits qu'elles charment et dévorent avec avidité lors de leur grand banquet automnal. Pour en finir avec la domination.

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Dans un recoin du monde macère une faune interlope. A l'abri du vent, sur les hauteurs de la Silésie, au sud-ouest de la Pologne, bacilles de Koch, syntaxe allemande, mousses, discours pontifiants et coutumes culinaires étranges se partagent une petite station thermale que fréquentent des tuberculeux plein d'espoir. Selon les préceptes du docteur Brehmer, on y prend des douches froides, on y fait de revigorantes balades en altitude avant de se reposer de longues heures dans des chaises longues.

« Les pensionnaires du sanatorium, quand on les voit sur le cours, semblent de taille plus haute, plus propres sur eux, avec des chemises plus blanches. Ils font penser à de la volaille bien nourrie, y compris lorsqu'ils sont aussi malades que les autres. Les femmes portent des jabots vénitiens, c'est-à-dire sur la poitrine un bouillonnement de batiste ou de soie qui donne l'impression d'avoir jailli à l'instant de la robe cintrée. Les têtes des hommes sortent de cols raides, elles sont comme apportées sur un plateau pour le thé de l'après-midi. »

Tout cela aurait un petit air de déjà vu sans cette malheureuse comparaison avicole, ces têtes mâles offertes, nouveaux Jean-Baptiste à la décollation tout juste prête pour le goûter, ce décalage que l'on peut croire imperceptible mais qui finit par raconter une toute autre histoire émergeant de ces montagnes assurément magiques.

C'est en fait une question de point de vue. Et pour ce roman, il nous faudra adopter celui des Empouses. « Spectres de la déesse Hécate », elles sont partout, au ras du sol, serpentant sans doute avec la brume grise, se faufilant dans les interstices, manifestant leur prédilection pour les chaussures habillant des pieds nerveux ou alanguis, ces mâles extrémités des dignes et respectables curistes hébergés à la Pension pour Messieurs que tient Wihelm Opitz. Silencieuses, attentives, elles se rappellent à nous au fil du récit. Cette histoire, c'est la leur. Ecoutons-la.

Elles ont choisi comme héros Miecysław Wojnicz, étudiant en ingénierie des adductions d'eau à qui ses poumons malades valent un séjour prolongé dans ce village de Sokołowsko. C'est un héros frêle et incertain, poli et effaré qui a déjà vécu bien des terreurs minuscules. Elevé par un père trop vite veuf dont la rigueur virile n'autorise pas l'expression de la moindre émotion, Miecysław se conforme aussi bien qu'il le peut aux attentes conçues pour lui. Reste que sa faible constitution et sa sensiblerie ont déjà beaucoup déçu. Et le voilà désormais quasi agonisant, obligé de prendre les eaux en compagnie d'autres souffreteux avant que commence enfin sa vie d'homme, de vrai.

Dans la pension pour Messieurs où il réside, il croisera différents individus parmi lesquels Thilo von Hahn, étudiant des Beaux-arts, spécialiste en paysage. Malgré son souffle court vite teinté de sang, malgré ses manières étranges, il faudra écouter attentivement ce jeune homme parler à Miecysław de tableau et de regard. Selon lui, la manière dont on voit habituellement le paysage transforme les lignes en éléments attendus mais il existe « une autre manière de regarder, une manière globale, totale, entière, absolue » qui rappelle assez les premiers mots des Empouses d'ailleurs, à l'incipit du roman : « La vue est obstruée par les volutes de vapeur échappées de la locomotive et qui serpentent à présent sur le quai. Il faut regarder à travers elles pour tout voir, se laisser aveugler par la brume grise, le temps que le regard se fasse acéré et omnivoyant du passé, du présent et du futur. »

Nous sommes à l'aube du 20e siècle, les premières automobiles font leur apparition avec la psychanalyse, les idéologies cimentent les existences et les nationalismes s'ébaubissent de leurs prétentions mutuelles. A table, devant un verre, et bien plus, de la locale Schwärmerei, liquide sombre au goût « vraiment particulier, sucré et amer à la fois (…) [avec] une vague saveur forestière de lichens ou de bois oublié en cave ou peut-être de pommes légèrement moisies », les curistes discutent, pérorent, ordonnent de leurs mots définitifs un monde qui, selon eux, en a bien besoin.

Dans un pêle-mêle vertigineux d'inquiétude et de thèses sur lesquelles on s'arcboute de toute son impuissance, s'accumulent croyances et systèmes : les grands mythes de la Grèce antique, Aristote, Platon, Aristophane et Plotin pour August August, phtisique spécialiste en langues anciennes et en chair fraiche ; le cours de l'histoire et la manière dont il conduit l'humanité vers une civilisation toujours plus pure de toutes les systèmes primaires polythéistes antérieurs selon l'honorable et malade Longin Lukas, professeur au collège de Königsberg ; de mystérieuses légendes locales qui expliquent l'absence quasi parfaite des femmes de ce roman. On parlera démonologie, femmes, religion. Infériorité du sexe faible, paganisme, recettes de cuisine et même matriarcat. Comme une menace insensée et folle, naturellement. Il faut compter aussi avec Sainte Emérencie, Sainte Anne et la Vierge tenant un enfant malingre, trinité de femmes représentées sur une icône cachée dans l'église orthodoxe du village. Avec la jeune femme au large chapeau qui ne dira jamais rien. Quelques macarons et le docteur Semperweiß, le bien nommé.

Le banquet des Empouses, est un livre magique, vous l'aurez compris. Parce qu'il mêle des histoires invraisemblables à des atmosphères étonnantes, parce qu'il campe des caractères typés et en révèle les failles, parce qu'il se paie des sacrifices humains avec une jubilation qui n'est même pas cruelle.

Mais aussi parce qu'il invite dans ses pages un nombre de lectures antérieures sidérant. Dans la description de Miecysław jouant avec les pions de son échiquier, j'ai retrouvé le narrateur enfant d'une Histoire d'amour et de ténèbres lorsqu'il bâtit des mondes sur le tapis du trop triste appartement où il vit avec ses parents. Les questions de paysage et de manière de regarder la réalité sont celles que traite Descola dans Les formes du visible. Emilie Hache n'est pas loin des péroraisons de Longin Lukas sur le matriarcat, le paganisme et la place d'un dieu transcendant. le sacrifice d'Abraham que traite Marie Balmary dans le sacrifice interdit a une place importante dans cette histoire. J'ai même retrouvé l'apithérapie, le fait de se soigner par les abeilles, qui m'avait été expliquée dans Les abeilles grises.

Comme si toutes mes lectures récentes s'étaient agrégées dans ce livre pour participer au magma de connaissances et de représentations qui composent l'étrange liqueur dont s'abreuvent les personnages. Comme si, avec la même fausse assurance, je communiais aux rodomontades, fière de mes savoirs, inconsciente de leur enracinement profond dans une dynamique de brume et de lichen, de mycélium et d'altérité aussi continue que mystérieuse.

Un livre magique, malicieux, insolent et érudit. Une oeuvre littéraire dense, propice aux analyses, échos et interprétations. Un renversement espiègle, cul par-dessus tête, jamais arrêté, jamais féroce, délicieusement vivant.
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En 1912 , Mieczyslaw Wojnicz , jeune homme polonais , arrive à Görbersdorf , en Silésie, pour soigner sa tuberculose .
Cette ville est connue pour son sanatorium et de nombreux curistes y séjournent.

Wojnicz est hébergé dans une pension tenue par Monsieur Opitz.
Elle n'est occupée que par des hommes, plutôt d'un certain âge en dehors d'un jeune homme, Thilo dont la maladie est à un stade avancée. C'est le seul avec qui se lie notre jeune héros.

Les journées s'écoulent paisiblement au rythme des soins, des promenades et des temps de repos en chaise longue .

Seules les soirées à la pension sont animées, les débats entre ces messieurs d'origine, de religion et d' opinions bien différentes fusent , accentués par la consommation d'une liqueur locale appelée Schwärmerei .

On discute politique, culture, religion , philosophie et souvent des femmes, qui ont toutes un caractère faible et un cerveau plus petit que l'homme, c'est une évidence.

Notre jeune ami se sent plutôt étranger à ces soirées mais apprécie également la boisson qui entraine un état au delà de l'ivresse avec un effet hallucinogène pour lui.

Il évolue entre son passé avec une enfance auprès d'un père exigeant, l'absence de sa mère défunte et une nourrice qui est la seule personne à lui avoir apporté de l'affection et un futur incertain lié d'une part à sa maladie et d'autre part à une malformation qui le confine à une fragilité qu'il ne sait pas contourner et le rend pusillanime .

Règne une nostalgie dans sa langueur qui va de paire avec sa maladie , le spleen des jeunes romantiques...

Il sent autour de lui des présences étranges qui se manifestent la nuit dans le grenier ou lors de ses balades dans les bois.

Alors, venons-en aux fameuses Empouses , spectres ou démons de la mythologie grecque , filles de la déesse Hécate .

Ce sont elles qui décrivent les personnages par leur apparence vestimentaire en commençant par les chaussures ... On les imagine comme des animalcules grouillant dans le sol plus que comme des esprits éthérés .
On les entend en choeur ponctuant le récit de leurs remarques .
"Nous, les empouses, nous les observons d'en bas, comme toujours, par en dessous; nous les voyons comme de gigantesques colonnes au sommet desquelles se trouve un petit appendice qui parle : la tête. Leurs pieds écrasent de façon mécanique le sous-bois, brisent les petites plantes, déchirent les mousses, piétinent les corps minuscules des insectes qui n'ont pas eu le temps de fuir le cataclysme annoncé par les vibrations. Sous la canopée, le mycélium tremble encore un moment après leur passage, cette vaste texture maternelle diffuse l'information de la présence d'intrus et de la direction où porte leurs pas ."
Où sont les femmes d'ailleurs dans ce récit ?
La découverte du corps de la femme d'Opitz morte alors qu'il vient d'arriver, perturbe puis obsède Woljnicz, comme il recherche à travers ses balades "la femme au chapeau" , une apparition plus qu'une présence .

Dans cette petite ville thermale de Görsberdorf, Wolnicz est alerté par un des pensionnaires de la survenue annuelle d'un meurtre d'un homme jeune , une sorte de rituel dont l'existence est cachée et les auteurs sont inconnus .

D'un rythme assez lent, le récit s'accélère en toute fin du roman .
Les monstres apparaissent mais ne sont pas forcément ceux que l'on imagine et l'épilogue prend une tournure étonnante même si certains indices peuvent orienter.

Cette langueur, allais-je dire , en pensant à l'état de notre jeune homme, cette lenteur donc, est largement compensée par la peinture ciselée que fait Olga Tokarczuk de cette société d'hommes misogynes où la femme est absente physiquement mais toujours proche dans les esprits .
L'écriture est magnifique et j'ai pris beaucoup de plaisir aux descriptions, tant des hommes que de la nature .

Le sous-titre de ce livre est : roman d'épouvante naturopathique , je ne sais pas où voulait en venir exactement l'auteure mais en découvrant les soins infligés aux malades phtisiques, on peut frémir ou sourire ....
"la faiblesse se soigne au champagne , l'insomnie au cognac avec du lait avant de se mettre au lit "
À lire en écoutant les Nocturnes de Chopin .

Avec un grand merci à NetGalley et aux Éditions Noir sur Blanc

#Lebanquetdesempouses #NetGalleyFrance
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Mieczyslaw Wojnicz retenez bien ce nom car c'est celui que vous allez devoir reconnaitre et lire à de nombreuses reprises lorsque vous allez tomber dans le banquet des Empouses.

Dans ce livre, on découvre la Silésie, une région Polonaise malmenée par l'histoire car elle a été envahie à de nombreuses reprises. L'histoire d'un petit village qui est connu pour son sanatorium car nous sommes au début du siècle et la tuberculose / phtisie fait des ravages.

Des curistes logent dans une pension pour messieurs en attendant qu'une place se libère au sanatorium principal. En attendant, c'est la femme de l'aubergiste qui libère une place en se suicidant.

Tout les clients / Gast, en Allemand, se retrouvent seuls. Et cela devrait leur plaire car quelques soient les sujets de conversation, tout finit autour des femmes et ceci pour déplorer leur absence d'âme et autres gentillesses. Car ces messieurs sont bien supérieurs mais leur supériorité consiste à rabaisser les autres…

En attendant parmi ces différents clients, il y a un catholique rigoriste, mais qui n'hésite pas à côtoyer des prostitués. Il y a un policier qui est en service mais que tout le monde a identifié. Également un professeur de latin / grec. Un jeune homme homosexuel et peintre. Et il y a Mieczyslaw Wojnicz.
C'est lui que l'on suit dans ce livre. Il nous partage ses découvertes et ses souvenirs. Et ils sont loin d'être heureux ses souvenirs. Sa mère est morte en couche. Et c'est de la faute de sa mère s'il a un caractère faible… Et oui car en mourant, elle a abandonné son fils… Bref… le père pour réparer cet abandon va essayer de rendre son fils fort…

Je ne vais pas plus loin car il ne faut pas spoiler ce livre.

Olga Tokarczuk livre encore une fois une narration qui est hors du commun. Elle montre à quel point la normalité et les normes peuvent être tyranniques.

Son livre, ancré dans le fantastique et les croyances populaires, ne plaira pas à tous ceux et toutes celles qui n'aiment que le rationnel. Mais si vous êtes prêts à vous embarquer dans cette aventure, beaucoup plus simple et courte que les livres de Jakob, alors foncez.

Je note les phrases suivantes qui m'ont beaucoup plu. Et qui me font pardonner certaines incohérences de l'histoire comme le médecin à qui va se confier Mieczyslaw Wojnicz alors que ce médecin est fort peu sympathique pendant toute la première partie du livre va devenir philosophique en un clin d'oeil me laisse pensive.

Dans tous les cas, c'est un livre duquel j'aimerais échanger avec d'autres pour clarifier certains points…

"Le sentiment d'infériorité influe sur l'ensemble de notre existence, plus particulièrement sur notre manière de penser. Vous le saviez ? Puisque nous ne sommes pas sûrs de nous, nous inventons un système très stable, rigide, capable de nous maintenir debout. Il simplifie ce que nous jugeons être des complications inutiles. Or, penser blanc ou noir, recourir à des antithèses basiques est la plus grande des simplifications. Vous comprenez ce que je veux dire ? Notre esprit se constitue un ensemble d'oppositions strictes – blanc-noir, jour-nuit, haut-bas, hommes-femmes et ce sont elles qui déterminent l'ensemble de notre perception. Il n'y a aucun entre-deux. le monde ainsi perçu est manifestement plus simple.

Il est aisé de circuler entre ces pôles, facile d'établir des règles de conduite et surtout, commode de juger autrui en se réservant volontiers pour soi-même le luxe du flou. Pareil mode de pensée protège de toute incertitude. Tchac, tchac ! et tout est clair les choses sont comme ceci ou comme cela, il n'y a pas de troisième possibilité. le nombre d'or ou le veau d'or ! … Cela nous protège de la réalité, qui se compose d'une multitude de nuances très subtiles. Celui qui pense que le monde n'est qu'un ensemble d'oppositions strictes est malade. Je sais de quoi je parle. C'est un dysfonctionnement majeur…

Et comment est le monde ? Flou, trouble, vacillant, tantôt comme si, tantôt comme ça cela dépend du point de vue."

Ces phrases résument notre monde actuel, basé sur la communication et les jugements à l'emporte pièce.

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critiques presse (7)
LeDevoir
24 avril 2024
Olga Tokarczuk offre une fascinante relecture féministe et surnaturelle de «La montagne magique» de Thomas Mann.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Bibliobs
24 avril 2024
Un étrange mix de fable historique et de polar métaphysique, autant qu’un affectueux et satirique pied de nez à Thomas Mann et à Kafka.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaCroix
12 avril 2024
En nous transportant dans une station thermale d'Europe centrale, au début du XXe siècle, Olga Tokarczuk, Prix Nobel de littérature, tresse une histoire fantastique et tient habilement un propos très contemporain.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
21 février 2024
Dans ce magnifique roman, l’art d’écrire reste un art de décrire qui se raréfie un peu dans la littérature contemporaine. Il le porte ici avec un bonheur extrême, à contretemps.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LesEchos
13 février 2024
Conte noir féministe déguisé en roman nostalgique, « Le Banquet des Empouses » est un régal.
Lire la critique sur le site : LesEchos
LeSoir
02 février 2024
Une pension inquiétante rassemble des curistes, tous des hommes, dans le roman d'Olga Tokarczuk, « Le banquet des Empouses ».
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeMonde
02 février 2024
La Prix Nobel de littérature 2018 livre une superbe version féministe et fantastique de « La Montagne magique », de Thomas Mann.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Peu après, une chaussure gauche y apparaît. Marron, d’un cuir qui a connu des temps meilleurs, elle est aussitôt rejointe par une autre, la droite. Celle-là semble encore plus fatiguée : elle a le bout râpé et sa tige montre des mouchetures décolorées. Les deux chaussures demeurent un instant indécises, mais la gauche finit par avancer. Son mouvement découvre brièvement une chaussette en coton noir sous la jambe du pantalon. Le noir se répète avec les pans ouverts du manteau en loden, car la journée est chaude. Une main fluette, blême, exsangue porte une valise en cuir marron dont le poids fait gonfler les veines du bras qui remontent jusqu’à leur origine dans les profondeurs de la manche. Sous le manteau, par intermittence, apparaît une veste en flanelle de piètre qualité, froissée au cours du long voyage. Rognures du monde, des petits points clairs d’une vague saleté la parsèment. Le col blanc de la chemise, de ceux que l’on fixe par de minuscules boutons, a dû être changé tout à fait récemment car sa blancheur est plus affirmée que celle de la chemise et contraste avec le teint terreux du visage. Les yeux clairs, aux cils et aux sourcils pâles, ont quelque chose de maladif. Sur le fond du ciel intensément rouge au couchant, dans ces montagnes mélancoliques, la silhouette dans son ensemble donne l’impression inquiétante d’arriver de l’au-delà.
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Dans le monde idéal de Lukas, tout a sa place, et il est plus particulièrement sensible à la place dévolue aux femmes. Selon lui, ce sont elles qui, en raison de leur biologie débridée, leur proximité inquiétante avec la nature, sont l’élément qui déstabilise l’ordre social. Oui, elles devraient être totalement confinées dans la sphère privée, de manière qu’elles ne soient plus une menace pour l’ordre du monde.
Quand il marche dans la rue, Longin Lukas est dérangé par les chapeaux des femmes, il renâcle alors, irrité par cette esthétique ostentatoire qu’il compare à l’exhibition des organes sexuels chez les chimpanzés ou d’autres singes. Au café, il est dérangé par leur jacasserie aiguë. Ces endroits devraient leur être interdits.
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Le sentiment d'infériorité influe sur l'ensemble de notre existence, plus particulièrement sur notre manière de penser. Vous le saviez ? Puisque nous ne sommes pas sûrs de nous, nous inventons un système très stable, rigide, capable de nous maintenir debout. Il simplifie ce que nous jugeons être des complications inutiles. Or, penser blanc ou noir, recourir à des antithèses basiques est la plus grande des simplifications. Vous comprenez ce que je veux dire ? Notre esprit se constitue un ensemble d'oppositions strictes – blanc-noir, jour-nuit, haut-bas, hommes-femmes et ce sont elles qui déterminent l'ensemble de notre perception. Il n'y a aucun entre-deux. le monde ainsi perçu est manifestement plus simple.

Il est aisé de circuler entre ces pôles, facile d'établir des règles de conduite et surtout, commode de juger autrui en se réservant volontiers pour soi-même le luxe du flou. Pareil mode de pensée protège de toute incertitude. Tchac, tchac ! et tout est clair les choses sont comme ceci ou comme cela, il n'y a pas de troisième possibilité. le nombre d'or ou le veau d'or ! … Cela nous protège de la réalité, qui se compose d'une multitude de nuances très subtiles. Celui qui pense que le monde n'est qu'un ensemble d'oppositions strictes est malade. Je sais de quoi je parle. C'est un dysfonctionnement majeur…

Et comment est le monde ? Flou, trouble, vacillant, tantôt comme si, tantôt comme ça cela dépend du point de vue.
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Quand il se promène sur le cours, il donne l’impression de se frayer un passage, avec les pieds comme retenus, qui semblent avoir à surmonter une résistance inopinée de l’air. Ainsi se meuvent les personnes qui, pour être nées avec un manque d’assurance, à force d’un travail soutenu, ne se sont pas moins forgé la certitude d’être exceptionnelles et d’une immense valeur.
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La vue est obstruée par les volutes de vapeur échappées de la locomotive et qui serpentent à présent sur le quai. Il faut regarder à travers elles pour tout voir, se laisser aveugler par la brume grise, le temps que le regard se fasse acéré et omni voyant du passé, du présent et du futur. Nous apercevons alors les dalles du quai, autant de carrés entre lesquels subsistent de petites plantes frêles, un espace qui veut à tout prix préserver l’ordre et la symétrie. Peu après, une chaussure gauche y apparaît. Marron, d’un cuir qui a connu des temps meilleurs, elle est aussitôt rejointe par une autre, la droite. Celle-là semble encore plus fatiguée : elle a le bout râpé et sa tige montre des mouchetures décolorées. Les deux chaussures demeurent un instant indécises, mais la gauche finit par avancer. Son mouvement découvre brièvement une chaussette en coton noir sous la jambe du pantalon. Le noir se répète avec les pans ouverts du manteau en loden, car la journée est chaude. Une main fluette, blême, exsangue porte une valise en cuir marron dont le poids fait gonfler les veines du bras qui remontent jusqu’à leur origine dans les profondeurs de la manche.
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Vidéo de Olga Tokarczuk
Avec Catherine Cusset, Lydie Salvayre, Grégory le Floch & Jakuta Alikavazovic Animé par Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la NRF
Quatre critiques de la Nouvelle Revue Française, la prestigieuse revue littéraire de Gallimard, discutent ensemble de livres récemment parus. Libres de les avoir aimés ou pas aimés, ces écrivains, que vous connaissez à travers leurs livres, se retrouvent sur la scène de la Maison de la Poésie pour partager avec vous une expérience de lecteurs, leurs enthousiasmes ou leurs réserves, mais aussi un point de vue sur la littérature d'aujourd'hui. Comment un livre rencontre-t-il son époque ? Dans quelle histoire littéraire s'inscrit-il ? Cette lecture les a-t-elle transformés ? Ont-ils été touchés, convaincus par le style et les partis pris esthétiques de l'auteur ? Et vous ?
Au cours de cette soirée il devrait être question de Triste tigre de Neige Sinno (P.O.L.) ; American Mother de Colum McCann (Belfond), le murmure de Christian Bobin (Gallimard) ; le banquet des Empouses de Olga Tokarczuk (Noir sur Blanc).
À lire – Catherine Cusset, La définition du bonheur, Gallimard, 2021. Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, le Seuil, 2024. Grégory le Floch, Éloge de la plage, Payot et Rivages, 2023. Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous, Coll. « Ma nuit au musée », Stock 2021.
Lumière par Valérie Allouche Son par Adrien Vicherat Direction technique par Guillaume Parra Captation par Claire Jarlan
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Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

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Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

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