Citations sur Le Locataire chimérique (31)
La solitude lui apparut dans toute son horreur. Personne pour s’occuper de lui, pour le dorloter, pour lui passer une main fraîche sur le front afin d’évaluer sa fièvre. Il était seul, absolument seul, comme s’il était en train de mourir. Si cela se produisait, au bout de combien de jours découvrirait-on son cadavre ? Dans une semaine ? dans un mois ? Qui pénétrerait le premier dans le sépulcre ? Les voisins, sans doute, ou le propriétaire. On ne se souciait pas de lui mais il en allait autrement pour le loyer. Même mort, on ne lui permettrait pas de jouir gratuitement de ce logement qui ne lui appartenait pas. Il tenta de réagir.
La jeune fille était vêtue d’un chandail vert qui faisait saillir les seins dont, à cause du soutien-gorge, ou de l’absence, on distinguait les pointes. La jupe bleu marine remontait bien au-dessus des genoux, par négligence non par calcul. Toujours est-il qu’une bonne partie de chair avant l’attache du bas était visible. Cette chair laiteuse de la cuisse, ombrée, mais d’une luminosité extraordinaire à côté des régions sombres du centre, hypnotisait Trelkovsky. Il eut du mal à s’en défaire pour remonter jusqu’au visage, qui était absolument banal. Des cheveux châtains, des yeux marron, une grande bouche badigeonnée de rouge à lèvres.
- Je vous défends de me toucher. Je ne suis pas Simone Choule !
La Mort, c'était la Terre. Issus d'elle, des bourgeons de vie tentaient de lui fausser compagnie. Ils pointaient vers l'espace. La Mort laissait faire, car elle était très friande de vie. Elle se contentait de surveiller son cheptel, et quand les bêtes étaient à point, elle les croquait comme des sucreries. Elle digérait lentement les aliments revenus dans son sein, heureuse et repue comme une grosse chatte.
La serveuse, une Bretonne râblée aux mollets rouges, s'approcha.
- Vous nous avez manqué, monsieur Trelkovsky, plaisanta-t-elle. La cuisine ne vous plaisait donc plus?
Il se força à sourire.
- J'ai essayé de me passer de nourriture, mais j'y renonce, c'est trop difficile!
Elle rit servilement, puis reprit instantanément un sérieux professionnel.
- Qu'est-ce que ce sera pour vous, monsieur Trelkovsky?
Scope et Simon étaient suspendus à ses lèvres. Il avala sa salive et annonça d'une seule traite:
- Une assiette de crudités, un steak pommes vapeur et un yaourt.
Il n'osait pas regarder les autres mais il les sentit sourire.
- À point, comme d'habitude, le steak?
- Oui...
Il aurait voulu le demander bien cuit mais il n'en avait pas trouvé le courage.
Il ne fallait pas penser, c'était trop dangereux.
Une scie qui va et vient. Trelkovsky n'avait jamais compris pourquoi on comparait le bruit des oiseaux à de la musique. Les oiseaux ne chantent pas, ils crient. Et le matin, ils crient en chœur. Trelkovsky éclata de rire : n'était-ce pas le comble de l'échec qu'on prît un cri pour un chant ?
Il décida de descendre faire une petite promenade dans le quartier, fardé et pomponné. Il lui faudrait supporter les quolibets des enfants et le mépris des passants, mais c'était à ce prix seulement qu'il conserverait un espoir de sauvegarder sa peau.
Trois jeunes gens tentaient d'accoster une femme devant lui. Elle jeta un mot bref et s'éloigna à grandes enjambées peu gracieuses. Il rirent très fort en s'envoyant de grandes claques dans le dos. La virilité aussi le dégoûtait. Il n'avait jamais apprécié cette façon de revendiquer son corps, son sexe et d'en être fier. Ils se vautraient comme des porcs dans leurs pantalons d'homme, mais ils restaient des porcs. Pourquoi se déguisaient-ils, quel besoin éprouvaient-ils de s'habiller puisque toutes leurs façons d'agir suaient le bas-ventre et les glandes qui y étaient accrochées ?
Personne pour s’occuper de lui, pour le dorloter, pour lui passer une main fraîche sur le front afin d’évaluer sa fièvre. Il était seul, absolument seul, comme s’il était en train de mourir. Si cela se produisait, au bout de combien de jours découvrirait-on son cadavre ? Dans une semaine ? Dans un mois ? Qui pénétrerait le premier dans le sépulcre ?
Les voisins, sans doute, ou le propriétaire. On ne se souciait pas de lui mais il en allait autrement pour le loyer. Même mort, on ne lui permettrait pas de jouir gratuitement de ce logement qui ne lui appartenait pas.