A mesure qu'ils avançaient, le paysage devenait plus sec et plus aride. Ils virent bientôt apparaître l'aloès hérissé d'épines, l'agave en forme de candélabre et le figuier de Barbarie aux raquettes velues.
« Le désert nous montre la face de Dieu faite paysage, et la tête du serpent est son symbole animal. » (p. 91)
La pauvreté de la population catholique, dans laquelle il baignait depuis son enfance, lui était devenue plus proche par son mariage avec Esther. Il sentait - comme tous les Anglicans - la haine muette qui montait de ce prolétariat rural vers l'oppresseur anglais. La modeste sécurité dont il jouissait, grâce à la pension qu'il recevait du gouvernement, le coupait du petit peuple révolté par l'obligation de payer la "dîme". Les curés catholiques - issus presque tous des milieux les plus pauvres - ne vivaient que des dons volontaires des fidèles. Ils connaissaient la valeur de cette indépendance matérielle vis-à-vis d'un pouvoir exécré par le peuple, et demeuraient opposés - quoi qu'il leur en coûtât - à toute aide officielle.
Eléazar avait parfois un élan de solidarité et de tendresse vers ces frères séparés, et il rêvait alors à une conversion au catholicisme.
Le serpent peut être de deux sortes. Il est venimeux ou constricteur. S'il est venimeux, il tue d'un baiser. S'il est constricteur, il tue d'une étreinte. Le premier n'est qu'une bouche, le second n'est qu'un bras. Mais c'est toujours par un geste d'amour qu'il tue. (p.101)
L'enfant pasteur voyait déferler, venant de l'ouest océan, une immense vague de brume douce et argentée. Il savait que l'après-midi serait sombre et que personne ne troublerait sa solitude. Il n'avait pas peur, mais il se sentait glisser dans un abîme de mélancolie. Une durée indéterminée s'écoula. Puis la cloche lointaine du village d'Athenry égrena une musique argentine et endeuillée, déchiquetée par la brise marine.
En entrant dans le sérieux impur de la vie, l’adolescent congédie pour toujours son ange gardien et, au fond de lui-même, il ne s’en consolera jamais tout à fait.
C'était cela, l'océan, un espace où le temps n'existe pas. (p.68)
Irlandais de sang et pasteur protestant. A coup sûr ces deux aspects de sa personnalité se combattaient jusqu'au fond de son coeur et faisaient de lui un homme hybride, une sorte de métis religieux.
Le désert est un vide peuplé de regards.
Le serpent peut être de deux sortes. Il est venimeux ou constricteur. S'il est venimeux, il tue d'un baiser. S'il est constricteur, il tue d'une étreinte. Le premier n'est qu'une bouche, le second n'est qu'un bras. Mais c'est toujours par un geste d'amour qu'il tue.
- Voilà le signe d'une bien profonde perversion, murmure Eléazar.
- L'inversion maligne est sa vocation, reprit l'Indien. À l'origine, il brillait au ciel, comme la plus parfaite des créatures du Grand Esprit. Il rayonnait comme le prince des enfants de Dieu.
- C'était le plus beau des anges, le Lucifer, le Porte-Lumière, approuva le pasteur.
- Son orgueil l'a perdu. Il s'est cru l'égal du Grand Esprit. Les soldats de Dieu se sont rués sur lui. Ils lui ont arraché ses ailes, ses bras, ses jambes, son sexe. Ils en ont fait une colonne de cuir terminée par un masque, le serpent. Ils l'ont jeté à terre.
- C'était l'ange-tronc. Car il est tombé dans les branches d'un arbre, un pommier, et là, Porte-Lumière a enseigné sa sagesse ténébreuse au premier couple humain, Adam et Eve, poursuivit Eléazar.
- Oui, mais il y a sa tête, reprit l'Indien, parfaite, fascinante, par-delà toute beauté et toute laideur. C'est comme le désert que tu as découvert ici et qui se situe par-delà toute beauté et toute laideur dans sa perfection. Le désert nous montre la face de Dieu faite paysage, et la tête du serpent est son symbole animal.