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Critique de Lucilou


Il y a des livres qu'on découvre complètement par hasard, dans une librairie dans laquelle on n'avait pas prévu de pénétrer, sur un compte instagram qui en fait l'éloge; des livres qu'on décide alors de lire et dont on se demande comment on a pu s'en passer jusque là. Ce fut pour moi le cas des Inconsolés qui vient de me transpercer.

Dans ce roman bouleversant, Minh Tran Huy met en scène une histoire d'amour sublime, violente et destructrice entre Lise et Louis.
Ils ont vingt ans et se rencontrent à la terrasse d'un café non loin de l'école où ils étudient. Tandis que Lise évoque son admiration pour Edith Wharton et "Le Temps de l'innocence", Louis la dévore des yeux. C'est un coup de foudre, comme il n'en existe que chez Shakespeare, Truffaut et les romans. Un coup de foudre impitoyable entre ces deux êtres que tout sépare.

Lui, qui à la beauté blonde d'un archange est issu de la grande bourgeoisie parisienne. Il a grandi dans un somptueux hôtel particulier niché au coeur de Paris. le monde est à ses pieds et le jeune homme se rêve déjà loup de la finance.
Elle est franco-vietnamienne et issue d'un milieu beaucoup plus modeste. Discrète, effacée, tourmentée et sensible à l'extrême, elle ne sait même pas qu'elle est jolie et se jette à corps perdu dans la littérature et le cinéma.
Leur amour, intense, fulgurant, violent, sera de ceux dont on pense qu'il durera toujours et qui fera un mal de chien quand il volera en éclats. Un mal à en crever, à en tuer.
C'est qu'il est des choses auxquelles même l'amour ne résiste pas et qu'expérimentent Louis et Lise: les différences infranchissables de classes sociales et de caractères, les tourments intimes, les déchirures et les mensonges du passé. Toutes ces douleurs rythment d'abord tout doucement puis de plus en plus violemment la passion des deux amants de sa mélodie lancinante, entêtante, hypnotique jusqu'à l'excès. Jusqu'au drame.

Ainsi le roman conte l'apothéose et les derniers feux d'une flamboyante passion amoureuse mais il le fait sans mièvrerie. de surcroît, il va au delà en auscultant d'autres thèmes puissants et douloureux tels que le déracinement, les blessures de l'enfance qui forgent l'adulte autant que ses bonheurs, l'insouciance de la jeunesse, le poids des origines qu'il dissèque à la lumière de la façon d'être et d'aimer son compagnon/sa compagne. Certes, cela confère au roman quelque chose de très cérébral, impression accentuée par les mille et une référence artistiques et culturelles qui émaillent le texte… Et en même temps… Et pourtant...

Et pourtant "Les Inconsolés" reste également un roman d'une intensité poignante, d'une sensualité à fleur de page et d'une poésie parfois cruelle mais très belle aussi. La langue de Minh Tran Huy est un plaisir, un chant incantatoire, une psalmodie envoutante qui se dévore mais qui se murmure aussi très bien.

La force de ce roman réside aussi dans sa forme et sa construction qui lui insuffle sa beauté troublante et son originalité.
Il y a cette construction à deux voix qui se répondent mais qui ne s'écoutent pas. Lise est notre première conteuse mais l'identité de cet "autre" mystérieux et inquiétant ne se révélera qu'à la fin de l'histoire, quand on commence à étouffer comme l'épine et la rose sous l'étreinte du lierre.
Il y a ce premier chapitre au clair de lune, doux, diaphane mais mortifère. Glauque même.
Il y a cette parure de conte cruel et gothique où les étoiles soudain deviennent glaciales, sanglantes; où les fées se démasquent pour montrer leur visage-serpent.
Il y le ver dans le fruit, le poison dans la passion, l'obscurité dans la lumière. Et cette atmosphère lourde, pesante et capiteuse de thriller.
Il y a Paris et le Viet Nam, les légendes et la cruauté de l'histoire du second et les pièges de la première.
Il y a cette vision enténébrée et fiévreuse de l'amour et de la passion qui ressemble tant au cinéma de François Truffaut: Lise et Louis, ce sont un peu Mathilde et Bernard de "La Femme d'à côté" ou Louis Mahé et Marion de la sirène du Mississipi", ces amants qui ne cessent de se blesser et de se tuer parce que s'aimer "est à la fois une joie et une souffrance", que c'est "ni moi sans toi, ni toi sans moi".

"Les Inconsolés " est une lecture inquiétante mais surtout incandescente, l'exquise douleur des sombres amours mises en mots.
Etouffant mais sublime comme les films de François Truffaut dont j'ai ressorti ce soir les dvd, poussée par Minh Tran Huy. Et ce sera bien.

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