Relecture de cet album hier soir presque deux ans après le décès de lapinot. A l'époque, pas emballé plus que ça par la trame de l'album, je m'étais fendu d'un 4* tout de même de bon aloi. Et alors en relisant cet album, une évidence m'a soudain frappé : c'est qu'il est quasiment génial ! Ben oui, parcourir à nouveau ces pages avec l'idée précise de ce qui va clôturer le scénario offre un tout autre éclairage sur cet album.
Aussi, je me suis rendu compte par exemple, que jusqu'au quart de l'album,
Trondheim fait alterner à chaque planche un nouveau couple de personnage, ne s'étendant sur leur conversation que pour mieux passer à une autre. On trouve ainsi :
-planche 1 : Titi / serge
-planche 2 : Serge/ Céline
-planche 3 : Titi / Félix
-planche 4 : Félix / le lapin (mais pas lapinot)
-planche 5 : Richard / Lapinot
-planche 6 : Lapinot / Nadia
Et ensuite, les couples se refont jusqu'à la soirée chez Nadia, où cette logique de couple va se briser par le thème même de cette soirée (de rupture).
C'est marrant de constater avec quel sens rhétorique
Trondheim mène son intrigue droit dans le mur, nous prouvant par l'exemple l'inefficacité de la logique de couple dans laquelle finalement, chacun subie l'autre.
Autre chose. Dés la planche 4, le lapin dit à Félix :"dans la vraie vie, il n'y a pas de fin; rien n'est résolu". Comme si en somme, la fin annoncée du héros ne constituait pas la mort de l'auteur. Dès le début de l'album,
Trondheim nous prévient semblant nous dire :"attention, notre héros va mourir mais de ma seule volonté. Je suis tout-puissant face à lui, je peux le faire et le défaire. Même que si ça m'amuse, je pourrais aussi le refaire!".
Alors bien sûr, on se rend tous compte en première lecture que toutes les conversations tournent autour de la mort, qu'il va forcément se passer un drame, mais ce que révèle une deuxième lecture, c'est surtout la mécanique de cette machination, son "mode d'emploi" pour faire allusion à Perec.
Bref, il y a encore une multitude d'intérêts dans "la vie comme elle vient" mais plutôt que de développer, j'ai préféré mettre en relation cet opus avec les autres tomes de Lapinot, qui tous à leur façon, tissent une trame inextricable.
Trondheim envisage la bd en terme ludique, alors c'est souvent drôle bien sûr, comme si le comique était la première justification du jeu. Chaque tome de Lapinot explore un genre, tout média confondu. On passe de la comédie sentimentale au western, du polar scientifique façon début du siècle à la comédie de moeurs et de la science fiction à la contre façon sous forme d'hommage.
Mais il nous prouve aussi qu'un auteur peut envisager le drame en terme identique, en faisant jouer les destins de manière implacable, en se rapprochant de la tragédie grecque. Aussi, à la manière d'un metteur en scène de théâtre,
Trondheim dispose de ses acteurs de façon implacable, les suspendant à son jugement, forcément tragique.
Bref, énorme coup de coeur que cet album et bravo à l'auteur, décidemment à part.