Les larmes ruisselaient sur les joues du jeune homme, chaudes et puissantes, débordement d'un cœur en peine qui perdait pied, cristaux d'amour qui se liquéfiaient.
Les navires disparaissaient souvent en mer pour de longues périodes, mais si le phare qui les avait vus partir continuait d'éclairer l'horizon, alors un jour il retrouveraient le chemin du port.
Il le saisit contre lui, le serra sur sa poitrine et lui chuchota à l'oreille quelques mots : quand on s'aime, on ne se quitte jamais vraiment.
Après tout, quitte à rencontre la mort, autant essayer de l'empoisonner avec les douleurs des autres, lui filer une overdose de peine, de larmes et de désespoir, dont elle ne se remettrait pas.
L'amour se construit avant tout avec bienveillance et douceur dans le respect de l'autre.
Il était parvenu à chérir son épouse, lui avait prêté de douces attentions, il s’était toujours inquiété de ses besoins, lui avait évité les tâches rebutantes de la ferme. De temps à autre, il avait posé un baiser dans son cou, l’avait félicité aussi souvent qu’il le pouvait, lui avait crié son amour… il n’était donc pas un homme sans émotions, sans sentiments. Pourtant, il lui semblait en regardant en arrière que son cœur manquait de place pour chérir et sa femme et sa fille.
Veuf depuis bientôt quinze ans, aucun esprit féminin ne venait plus arrondir les angles vifs de son caractère de vieil endurci. Certes, Anne, la cuisinière et femme de ménage, rôdait dans la maison, mais jamais elle ne se serait permis la moindre incartade dans la vie du fermier. Surtout depuis qu’elle avait tenté de le séduire ; un jour où le soleil chauffait les prairies et les corps, elle avait déboutonné son chemisier, lui ouvrant son cœur en battant des cils. Il avait tout de suite remarqué la manœuvre, et d’un ton sec l’avait remise à sa place sans vergogne. Le verbe assassin, il lui avait lancé qu’il cultivait les céréales et qu’il n’envisageait pas de se reconvertir dans la vache laitière. Blessée, elle avait vite réajusté sa blouse, et s’était précipitée dans la grange pour y verser quelques larmes.
Elle connaissait l’amour sans faille que portait son patron à sa veuve, mais, amoureuse en secret, elle espérait le sortir de sa tristesse.