Pianissimo féroce

L'ENFANCE

L'enfance,
Ca dessine des châteaux
Comme des p'tits-beurres qui donnent faim...
Ca s'accroupit comme une citrouille
Ou tourne dans le salon comme un ventilateur
En criant : "Un tire-bouchon n'ouvre pas d'huîtres !
Un tire-bouchon n'ouvre pas d'huîtres !"
Ca parle aux orties en les caressant tout doucement :
"Mais je ne parle pas aux ronces !"
Ca regarde des racines apparentes couvertes de mousse,
Comme d'énormes pattes d'oiseau,
Et remarque :
"Pas de corps de poule en haut ni de maison de sorcière !"

Et c'est la seule voix que j'ai envie d'écouter.

Ah j'ai bien travaillé
Pour vous
Je vous ai composé des vers
Des vers en apéro
Servis
Avant vos thrillers noirs
Costauds
Mais ne prenez pas trop
De vers
Gardez votre appétit
Précieux
Je vous ai apporté
Mes vers
Mes olives luisantes
Ou vertes
Attention aux noyaux
Quand même
Je vous dis bonne fête
Des mots !

Je suis dopée à la rime
Dans mon oeuvre-marathon
Et ce n'est pas qu'elle prime
Elle me donne le ton
Et me sort de la déprime
Quand je ronge mon croûton !

Je joue

La fête de la musique retentit
Ma flûte est à l'abri dans son étui
Je joue de ma promenade à six trous
Parmi les péniches et parmi les roues
La Tour Eiffel ne flotte pas dans le ciel
Voyant Paris pas plus grand qu'une miette
La Tour Eiffel est une mygale
Elle n'aime qu'elle -même ,
Elle se régale de cartes postales ,
Elle se régale de nos problèmes ,
De nos terrasses pleines de flemme !

LA COLERE

Le soleil n'est pas un doux pissenlit
Dans la grotte bleue en belle Italie
Le soleil est un grain de beauté noir
Des nuages ridés à la peau de poire !

Et la mer n'est pas un ciel renversé,
Une vérité donnant le vertige
Elle est juste un pot, un pot de peinture
Couleur vert pipi pour couvrir vos murs !

Et la nuit n'est pas la baie de myrtille
Aux yeux de velours, aux yeux qui pétillent
Elle est juste un trou qui n'a pas de goût
Sans aucune lueur, sans bruit ni frayeur.

Et moi, flottant sans me décider
Et moi, ne faisant que quelques broutilles
Je ne suis que la reine des lentilles
Vertes sans saucisses et non lardées !

QUAND VOS SOUVENIRS SONT VAGUES

Quand vos souvenirs sont vagues
Et vos idées aussi
Quant vos sentiments sont vagues
Et vos espoirs aussi
Quand vous avez horreur de la rigueur

Vagabond, vagabonde,
Aux temps de Rimbaud,
Etre porté par une vague,
Faire des bonds tant qu'on peut
Faire des vers sous un pont
Aimer des terrains vagues
C'était noble et beau...

Aux temps d'aujourd'hui
C'est un S.D.F.,
Une abréviation !
C'est une clocharde,
C'est comme une écharde,
Un corps étranger,
Quelque chose d'énervant !

Ce n'est que l'imagination malade
Qui a encore droit au vagabondage
Sinon ? Sinon c'est un délit !

Si c'était à recommencer
Je serais assurément botaniste
La flore , c'est de l'oxygène
Les plantes ne fument pas de cigares

Les arbres ne font pas de bruit
Ce sont des cordes que le vent anime
Les plantes ne papotent pas
Ne trompent pas par leurs paroles vaines

Les arbres ne se soûlent pas
Pourtant la flore est très souvent en fête
Les plantes dites vénéneuses
Possèdent chacune leur antidote !

Je serais bien dans une serre
Dans une orangerie comme un îlot
Un chêne ne s'en va jamais ,
Le chêne de ma vie et de ma mort !

Malgré cela , je suis pianiste
Hélas , je ne suis pas une main verte !
" L'amour est un oiseau rebelle "
Je joue Bizet sans être une Carmen ...

La ré mi fa la fa mi ré
Mi fa sol lalalala si la sol ...

Un nouveau carnet

Je ne reconnais plus mon Wiewowas
Un bain mousseux lui a volé sa crasse !
Un nouveau carnet , un doudou lavé ,
Dans lequel je n'ai pas encore pleuré .

En se baladant ruelle de Buci
George Sand aurait dit plutôt ceci :
" Un nouveau carnet , une pipe neuve ,
Un nouveau carnet doit faire ses preuves ! "

Un nouveau carnet , un doudou lavé ,
Sur lequel il faut tant baver ,
Qu'il faut encor tant chiffonner , sucer
Il ne suffit pas de le caresser !

Un nouveau carnet qu'il faut rendre gris
Car le mot le grise une fois écrit
Il perdra ses feuilles petit à petit
Comme un arbre , un saule , il aura pâti .

C'est la chanson en noir et blanc
De notre amour avare et rare .
Derrière un son , l'amour troublant
L'amour tremblant qu'un rien effare .

Sonate en do , nocturne en ré
C'était un amour emmuré
Scherzo en mi et valse en fa
Jamais posé sur un sofa

Maestoso de Casse-noisette
Jamais portant une nuisette
Menuet en la , prélude en sol
Jamais sous un grand parasol

La gigue en do , notre credo ,
L'amour frémit tel l'air en mi
L'amour halète d'impatience
L'amour ruisselle d'insouciance

Un amour rouge cramoisi
Etude en ré , mi-déclaré ,
Musette en la , mais jamais las
Fuguette en si , c'était ainsi .

Je suis une mordue

Je suis une mordue
De la poésie
Fondue dans vos mains
Dans vos mains si chaudes

Mes tons sont fondus
Pour une couleur neuve
Mes tons sont fondus
Pour une couleur fauve !

Moulez de moi une gargouille
Une gargouille de liberté
Sinon je m'unis à la brume
Et disparais à tout jamais !