L'avenir, par définition, n'a point d'image. L'histoire lui donne les moyens d'être pensé.
L’homme moderne est l’esclave de la modernité : il n’est point de progrès qui ne tourne à sa plus complète servitude. Le confort nous enchaîne. La liberté de la presse et les moyens trop puissants dont elle dispose nous assassinent de clameurs imprimées, nous percent de nouvelles à sensations. La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique, exploite l’arbre, le roc, le monument et confond sur les pages que vomissent les machines, l’assassin, la victime, le héros, le centenaire du jour et l’enfant martyr.
Il y a aussi la tyrannie des horaires.
Tout ceci nous vise au cerveau. Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n’entreront ; dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétitions, de nouveauté et de crédulité. C’est là qu’à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d’hommes libres.
L'homme qui a un emploi, l'homme qui gagne sa vie et qui peut consacrer une heure par jour à la lecture, qu'il la fasse chez lui, ou dans le tramway, ou dans le métro, cette heure est dévorée par les affaires criminelles, les niaiseries incohérentes, les ragots et les faits moins divers, dont le pêle-mêle et l'abondance semblent faits pour ahurir et simplifier grossièrement les esprits. Notre homme est perdu pour le livre... Ceci est fatal et nous n'y pouvons rien.
Tout ceci a pour conséquences une diminution réelle de la culture; et, en second lieu, une diminution réelle de la véritable liberté de l'esprit, car cette liberté exige au contraire un détachement, un refus de toutes ces sensations incohérentes ou violentes que nous recevons de la vie moderne, à chaque instant.
Si l'Etat est fort, il nous écrase. S'il est faible nous périssons.
La boussole, la poudre, l'imprimerie, ont changé l'allure du monde. les chinois qui les ont trouvées, ne s'aperçurent donc pas qu'ils tenaient les moyens de troubler indéfiniment le repos de la terre.
Il faut être infiniment sot ou infiniment ignorant pour oser avoir un avis sur la plupart des problèmes que la politique pose.
ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est inutilisable.
Un monde transformé par l'esprit n'offre plus à l'esprit les même perspectives et les mêmes directions que jadis. il lui impose des problèmes entièrement nouveaux, des énigmes innombrables.
toute politique se fonde sur l'indifférence de la plupart des intéressés, sans laquelle il n' y a point de politique possible.
L'amour existe d'autant plus que son objet imaginé existe moins