Il avait toujours douté de la valeur de l’argent, ni la richesse ni la pauvreté ne l’avaient jamais beaucoup impressionné. Il avait cependant connu les deux. Pendant la guerre, il avait appris ce qu’était la famine. Et puis, il avait hérité d’un oncle et il avait dépensé tout son argent à Paris, en faisant la fête pendant quelques semaines de démesure.
Les cambriolages, c’était beaucoup plus de boulot, surtout que je devais penser à tout. Ça me prenait des heures et puis j’oubliais toujours quelque chose sur les lieux, alors il fallait que j’y retourne. C’est bien plus facile de laver les voitures ; tout ce qu’il faut, c’est de l’eau et un chiffon, et une brosse aussi. J’en ai qui sont au poil.
Il suffit qu’un ivrogne aborde quelqu’un dans la rue, lui dise en bluffant “la bourse ou la vie”, pour qu’on appelle ça attaque à main armée. En fait l’ivrogne a soixante-dix ans et il peut à peine tenir debout. L’autre s’affole, tend à l’ivrogne son porte-monnaie qui ne contient qu’un billet de dix florins et va porter plainte au commissariat. L’ivrogne avait probablement comme “arme” un petit canif, fermé qui plus est.
— Je croyais que le Japon était une démocratie, s’étonna le commissaire.
— C’est le nom qu’on donne au régime, mais aucun Japonais n’en connaît la signification. Il y a là-bas des règles qui ont des milliers d’années d’existence. On a changé le nom des règles mais pas les règles. C’est comme sous l’Empire ; simplement, maintenant on déclare que ces règles sont démocratiques, on les appelle même Karolin, en souvenir d’une princesse anorexique.
Au Japon, les examens d’entrée sont une sorte d’épreuve du feu ; il faut marcher pieds nus sur des charbons ardents. Il faut étudier jour et nuit, connaître les réponses à des milliers et des milliers de questions qui ne font même pas partie d’un programme. C’est véritablement un enfer. D’ailleurs, nous avons un nom pour désigner cette sorte de torture : Shiken Jigoku, l’enfer de l’examen.
Aux États-Unis, les gangsters se tirent dans les pattes. Jamais on ne verrait ça au Japon. De plus, aux États-Unis, les truands se spécialisent ; les yakusa sont dans toutes les combines. Par exemple, ils financent des spectacles artistiques, ils construisent des stades pour les sportifs, ils vont même parfois jusqu’à soutenir la candidature de certains hommes politiques et de certains policiers. On peut être yakusa et prêtre, ce n’est pas incompatible. Si le paradis existe dans le ciel japonais, il s’y trouve sûrement un yakusa.
Que savait-il des Japonais ? Il avait quelques images en tête. Celle d’un kamikaze piquant sur un porte-avions américain, dirigeant carrément son fragile appareil bourré d’explosifs sur le gigantesque bâtiment de guerre. Le pilote n’avait aucune chance de survivre. Il se représentait le visage d’un jeune homme, le front ceint d’une bande de coton blanc, découvrant ses dents en une grimace désespérée qui traduisait une détermination céleste autant qu’extasiée. Il connaissait même l’origine du mot kamikaze ; il l’avait lue dans un article. C’était le nom d’une tempête sacrée qui avait détruit la flotte coréenne et se dirigeait sur le Japon, prête à investir le pays. Il y avait de cela fort longtemps.
Si nous sommes policiers, ce n’est pas pour devenir des héros, tu sais. Nous sommes censés maintenir l’ordre.