Tous mes remerciements aux Editions du Seuil et à l'équipe Babelio qui, dans le cadre de la Masse critique, m'ont offert la découverte de cet auteur et de son premier roman. Un mois de décembre 2020 plein de surprises.
Grand Platinum belle carpe, un roman t'est dédié, tu es unique, presque irréelle, perdue dans un tremblement de terre, serais-tu comme un écho à la citation du poète Henry Michaux ? "Après la grande, la toute grande destruction à venir après l'appauvrissement partout, l'anéantissement, il restera toujours des mares".
Une jeune femme, Louise, a son agence de communication parisienne, la vie est on ne peut plus trépidante, toujours la course, Paris c'est ainsi, et en plus de ça il y a les caprices de son designer, pour ne plus parler de ceux de son amant, et cerise sur le gâteau, la cathédrale Notre-Dame est mise à feu, stupeur !
Si ce n'était que ça. Louise et son frère ont un héritage après la mort de leur père. Très original, c'est le moins qu'on puisse dire, la formidable collection de quelques magnifiques carpes impériales japonaises. Elles sont dispersées partout dans les plans d'eau de Paris.
Le sauvetage de ces carpes impériales est son premier souci. Espèces rares créées par l'homme, elles risquent d'être la proie d'un commerce cruel. "Les Koï étaient une mutation spontanée détournée par l'homme, un frémissement génétique dont il n'existaient pas de traces écrites... Créer un nouveau motif sur le dos d'une carpe, parvenir à le fixer, en faire une nouvelle lignée, était le rêve de tout éleveur, une promesse de gloire et de prospérité."
Le monde va vite et veut tout s'accaparer l'espace et le temps, et le temps c'est de l'argent. Mais la prestance des carpes c'est autre chose "hinkaku, ...cette façon d'évoluer avec grâce entre deux eaux, d'envahir l'espace de sa présence douce et altière. Comme le père de Louise et sa relation particulière à la ville :"il n'habitait pas à Paris, il habitait Paris."
La beauté existe, silencieuse comme une carpe, matière première à garder et à mettre en valeur par un regard qui s'y arrête la découvre et la protège. Mais le monde n'est pas drôle "On ne peut pas respecter un truc qu'on nous demande de protéger, c'est absurde. Personne ne respecte la faiblesse. Personne n'admire la fragilité. le fonds de commerce écolo, c'est le paradis perdu : on a tous un souvenir de pêche au bord de la rivière avec papa. Mais retrouver le paradis perdu, c'est un projet de vacances d'été, pas un projet politique. Et, de toute façon, personne ne veut se priver. Même pour éviter la fin du monde."
Une affirmation que je garde comme une question en suspens : ces métamorphoses assistées par l'homme qui en est fasciné, "l'exagération du présent", cette "super normalité aidée par l'homme... outrancière", peut-on les appeler progrès ? l'espoir d'un devenir ?
Le fil de l'histoire déchire le tissu pour le recoudre après, il est léger et le style froid, détaché, même sec je dirais, garde la nostalgie de ce qui n'aurait pas dû se passer. Il glisse rapidement comme pour empêcher le lecteur d'entrer dans l'histoire, dans les eaux où les carpes avec leur beauté artificielle se méfient maintenant et n'autorisent qu'un regard sur leur couleurs et un dialogue muet de connivence et de complicité.
Comme s'il ne voulait pas se mettre en concurrence avec la beauté des carpes, leurs couleurs somptueuses carnavalesques et leur mouvement rapide ondoyant et soyeux, le style se met en retrait, les moments de l'histoire aussi, et s'éloigne, à chaque page qui tourne, d'une trame, d'une profondeur, même de l'humour qui respecte l'interdiction mais fait la tête.
Louise a hérité d'un mensonge, pas entièrement coupable, il lui fait découvrir certains non-dits, il fait tomber quelques masques.
C'est de l'écriture, et la vérité est l'affaire des romans !