Citations sur Le poisson dans l'eau (9)
Mais quelqu'un qui me connaît autant que moi-même, voire mieux, Patricia [l'épouse de Mario Vargas Llosa], n'est pas de cet avis. «L'obligation morale ne fut pas décisive, dit-elle. C'est l'aventure, l'espoir de vivre une expérience pleine d'excitation et de risque. D'écrire, dans la vie réelle, le grand roman.
Depuis lors, chaque fois qu'on m'a demandé pourquoi j'étais prêt à renoncer à ma vocation d'écrivain pour la politique, j'ai répondu pour une raison morale:«Pour une raison morale. Parce que les circonstances m'ont placé dans une situation de leader à un moment critique de la vie de mon pays. Parce qu'il m'a semblé qu'il y avait là une chance d'opérer, avec l'appui d'une majorité de Péruviens, les réformes libérales que dès le début des années soixante-dix je prônais dans mes articles et polémiques comme nécessaires pour sauver le Pérou.
Désormais dans le bain, lors de ces réunions tripartites je fis une découverte déprimante. La politique réelle, pas celle qu'on lit ou écrit, pense ou imagine - la seule que je connaissais -, mais celle qu'on vit au jour le jour, a peu à voir avec les idées, les valeurs et l'imagination, avec les visions téléologiques - cette société que nous voulions créer - et, pour le dire crûment, avec la générosité, la solidarité et l'idéalisme. Elle est faite presque exclusivement de manoeuvres, intrigues, conspirations, pactes, paranoïas, trahisons, calculs, pas mal de cynisme et toutes sortes de jonglerie.
Le Pérou n'est pas un mais plusieurs pays, coexistant dans la méfiance et l'ignorance réciproques, dans le ressentiment et les préjugés, dans un tourbillon de violences. Violences au pluriel: celle de la terreur politique et du trafic de drogue; celle de la délinquance commune qui, avec l'appauvrissement et l'effondrement de la légalité (limitée) rend chaque jour plus barbare la vie quotidienne; et naturellement la violence appelée structurelle: discrimination, manque d'égalités de chance, chômage et salaires de misère dont sont victimes de vastes secteurs de la population.
Je me rappelle aussi, et avec quelle tendresse, les bandes dessinées et les livres que je lisais dans une concentration et un oubli mystique, totalement plongé dans l'illusion (...)
(...) un roman réussi est une rude opération intellectuelle, un travail sur la langue et l'invention d'un ordre narratif, d'une organisation temporelle, de mouvements, d'information et de silences dont il dépend entièrement qu'une fiction soit vraie ou fausse, émouvante ou ridicule, sérieuse ou stupide...
Michel Leiris compara l'art d'écrire à la tauromachie, belle allégorie pour exprimer le risque que devrait être prêt à courir le poète et le prosateur à l'heure d'affronter la page blanche.
Cette nouvelle [Les caïds] préfigure bien ce que j'ai fait ensuite comme romancier: utiliser une expérience personnelle comme point de départ pour l'imaginaire; employer une forme qui feint le réalisme au moyen de précisions géographiques et urbaines; une objectivité obtenue à travers des dialogues et des descriptions d'un point de vue impersonnel, effaçant les traces de l'auteur et, enfin, une attitude critique d'une certaine problématique qui est le contexte ou l'horizon de l'anecdote.
Une mystérieuse association de l'histoire, l'invention littéraire. L’habileté technique, la connaissance scientifique, du savoir architectonique et plastique et, aussi, dans bien des cas, du hasard, avaient créé cette ville où se promener sur les ponts, les quais de la Seine, observer à certaines heures les gargouilles de Notre-Dame, se risquer à certaines placettes ou au dédale des ruelles lugubres du Marais, constituaient une émouvante aventure spirituelle et esthétique, comme de se plonger dans un grand livre.