A cette époque, je considérais que ce qui était moche dehors l'était aussi dedans, mais surtout je craignais que ce ne soit infecté, fétide, pestilentiel, que la laideur soit une maladie contagieuse, capable de contaminer même les chiens.
Les femmes de sa famille lui avaient appris que, quand le coeur battait pour un garçon, il existait un moyen ancestral de savoir si c'était le bon. Il fallait vider une coquille de noix et la remplir de gros sel. La déposer sur l'appui de fenêtre et la laisser toute une nuit. Si le lendemain matin elle était intacte, alors l'amour serait solide et durable.
[...] il faut connaître le mal, [...], pour pouvoir l'éviter.
Je connaissais bien l'éclat de ses yeux gris bleus
Ma grand-mère avait tout compris. J'étais une mauvaise graine, une malacarne. Cela n'était pas pour me déplaire, parce que tout le monde dans le quartier avait un surnom qui se transmettait de père en fils. Ceux qui n'en possédaient pas faisaient profil bas car, aux yeux des autres, cela signifiait que les membres de leur famille ne s'étaient pas distingués ni en bien ni en mal. Or, comme disait toujours mon père, mieux vaut être méprisé, que méconnu.
Toi, t'as le sang froid, comme les lézards, dit-elle avec un filet de voix. Comme les poulpes, même. T'es une mauvaise graine, ça oui, une mala carne, répéta-t-elle pour elle-même.
Ce n'était peut-être pas des autres qu'il fallait me protéger, mais de mes propres rêves.
Je gagnais à la hâte la mer lisse et brillante.
La laideur et la douleur étaient partout autour de moi. Je les retrouvais dans les recommandations des voisines : "ne t'approche pas de la mer quand elle est agitée, sinon elle va t'avaler." "Mange tes légumes sinon tu auras le scorbut et tu mourras" ; de mamie Antonietta : "fais ta prière du soir ou tu iras en enfer". "Ne dis pas de mensonges, sinon tu resteras naine"; de ma mère ; "si tu as de mauvaises pensées, Jésus te coupera la langue avant que tu t'en serves pour dire des cochonneries".
— C’est comme ça, Mari’, si tu lances un caillou à la mer tu le vois pas. Mais tous ensemble, au fond, regarde comme ils sont beaux, regarde comme ils brillent. Nous aussi, Mari’, on est comme les cailloux dans la mer. On brille que quand on est les uns avec les autres.