Et dehors un air limpide, dehors une lumière insolite qui s'était déposée en embuscade par-delà la pluie. Des nuits claires où il faisait jour tout le temps et où le jour de la nuit atteindrait bientôt l'apogée de sa clarté, ces nuits quasi remplies de joues chaudes et tranquilles.
Et si le serpent me voit ?
Le serpent voit et n'en finit pas de voir.
Une forêt d'angéliques recouvrait entièrement le versant. Bien que la vallon baignât en ce moment à moitié dans l'ombre, les plantes prospéraient dans le soleil du soir et la terre humide. Et si on n'était qu'au tout début de l'été, les angéliques adoptaient déjà des formes raffinées, d'une grâce austère dans leur déluge de vie. Elles appartenaient à Hallstein, toutes sans exception : nul autre que lui, après avoir secoué les tiges, avait éparpillé les graines et piétiné le sol pour qu'elles y pénètrent. C'était il y a deux ans. Celles de l'année dernière ne formaient pour l'instant que de grandes feuilles ramifiées.
Lové à leur pied, le serpent avait assisté à leur croissance : il les avait vues éclore puis faner. Moi aussi il m'a vu, un nombre incalculable de fois, au bout du compte. Qu'est-ce que je sais de lui ?
« Des choses inouïes se produisaient avant qu’on les ait pensées. » (p. 223)
- Assieds-toi, dit-il.
Elle s'assit.
Ils laissèrent l'averse chaude les laver de l'extérieur, les ébouriffer un peu, mais uniquement à l'extérieur : les cheveux, les jours, leurs vêtements fins collés à la peau - à l'intérieur, en revanche, on était forcément florissant.
Florissant ? Pourquoi ? Aucune idée. Aucune envie de savoir, aucune envie de demander. Rester là, assis côte à côte, et partager mille et un souvenirs minuscules. Rester là, impassibles.
- Alors comme ça tu peux appeler la pluie, Hallstein.
Il ne répondit pas. Ne dit pas ça, formulait-il le souhait. C'était beaucoup trop étrange à ses yeux, beaucoup trop solennel pour le dire.
L'air bruissait du chuintement de la pluie. Il était là, assis par terre, nu et minuscule, sachant pertinemment qu'il devait céder et rentrer : bientôt, il ferait de toute façon trop froid. Il entendait des soupirs dans les arbres, des soupirs dans le sol, il voyait les mignonnes limaces se rétrécir au fur et à mesure que la pluie leur tambourinait le dos. Il humait le parfum de Sissel et il était heureux de participer à une espèce de jeu silencieux.
« Où que nous allions nous sommes une nuisance. Voilà ce que nous sommes. » (p. 258)
« Je crois que personne n’arrivera à dormir cette nuit. […] Il va sûrement se produire tout un tas de choses. » (p. 115)
« Puisque cette nuit rime avec fièvre. » (p. 146)