La Beauté se s'explique pas. Elle s'impose, elle vous saisit
(L'institutrice) n’était d’ailleurs elle-même que la proie de forces confuses qui la laissaient délirante et tendue comme un médium en pleine inspiration. Elle s’abreuvait de Rousseau et de sombres poètes qui affirmaient d’un ton provocant qu’il fallait vivre de légumes. Elle lisait dans la nature à livre ouvert. Elle parlait de vitamines et protégeait les animaux ; elle lançait les bras au ciel par un réflexe automatique qui comblait les enfants de respect et d’effroi. Elle était abonnée à des brochures suisses qui parlaient de théosophie. Elle avait une âme romantique. Séduite par Jean-Jacques, elle fut sa proie pantelante.
La Beauté ne s’explique pas. Elle s’impose, elle vous saisit. Elle vous laisse un signe au passage ; on le reconnaîtra toute sa vie. Elle vous attrape et vous conduit par des chemins qui sont à elle. Quand elle vous lâche, elle vous laisse des bleus sur vos poignets.
Ce sont les livres qui font ça, comme à ton oncle. Ça les travaille là-dedans… Et il montrait sa tête en fronçant les sourcils et en soufflant les joues, comme un homme accablé par une chaleur torride.
– Pense voir… Toutes ces lectures…
Ces « lectures » avaient pour lui on ne savait quoi de blâmable : tous ces Victor Hugo, ces journaux, ces grammaires, ces chimies et ces Misérables, tout ça qui tourne dans la tête comme une roue de loterie, chacun tirant de son côté. Ça vous tracasse, ça vous tourne.
Amélie n’avait pas « le signe » ; elle est l’enfant de tous les jours, la vestale des humbles marmites. Elle a le tort du pain quotidien. Et le vent qui tourmente en son esprit confus les enfants de ces altitudes ne peut pas prendre son parti ; il se fait l’avocat de causes bien trop lointaines, son éloquence est au service de l’horizon. Prestiges des monts, mirages des hauteurs, vous parlez à voix véhémentes…