Deuxième partie de ces indispensables chroniques pour qui aime l'humour (qui chez Vialatte n'est jamais méchant) et surtout qui aime la langue française qu'il manie avec une virtuosité incroyable . A noter aussi que dans cette édition de « Bouquins » les dessins de couvertures de Chaval correspondent merveilleusement à l'esprit du chroniquer de la Montagne.
Sans compter que chaque instant change une absence légèrement différente, parfois contradictoire ; comme le rose passe au vert sur un nuage ou sur une moire.
Ce n’est pas une absence immobile : c’est une absence mouvante, nacrée, frémissante comme une peau de cheval. Le temps se perd et mue à chaque seconde. Quelle est la couleur du temps perdu ?
Je l’ai retrouvé sur un mur blanc, à l’Orangerie, dans un tableau étonnant d’Utrillo qui représente La maison de Berlioz, et où ce mur occupe les deux tiers de la toile, presque oriental (en plein Montmartre) à force d’être blanc sur le ciel.
Mais d’un blanc si divers, bien qu’insensiblement, qu’on sent qu’il a capté toutes les nuances de l’heure. Et qu’il les ressuscite. Rien ne saurait les décrire. Personne. Du moins pas moi. Peut-être Colette, peut-être Proust, peut-être Chardonne.
C’est réellement un mur couleur du temps perdu.
(… ) Le temps perdu a tellement de couleurs, il bouge tellement qu’il défie le photographe. Le temps perdu ne se rattrape jamais.
Sauf, peut-être, sur ce mur d’Utrillo où le blanc joue avec le blanc, comme à cache-cache, et qui survit à tant d’images plus importantes, et qui est couleur du temps perdu, nous le sentons bien.
Chronique du désespoir du peintre - La Montagne – 22 mars 1966)
Il est contraire à la décence, au sens commun, aux bonnes manières, à la syntaxe, à l'amitié qu'on a de toujours pour la grammaire, à la rapidité du style, à la clarté, au confort vocal et, d'une façon plus générale, à tout ce qui fait le plaisir d'être homme, d'employer le subjonctif à la suite d'« après que ». On ne dit pas « J'ai mangé du steak après que j'eusse mangé les frites », mais « après que j'eus » ; mieux encore : « quand j'eus » ; mieux encore « après avoir mangé les frites » ; et mieux encore « après les frites » ; et si l'on veut être parfait, « avec les frites », tout simplement. C'est bien meilleur.
Chronique n° 465 – Chronique de l'homme absent de lui-même.
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De même que la vie du soldat, disait Maurois, est une « vie pénible, parfois mêlée de réels dangers », la vie du voyageur est une vie monotone parfois coupée de spectacles charmants. Nous ajouterons à l'excuse des voyages, qu'ils sont splendides une fois finis. Et instructifs. Ils nous apprennent qu'il n'y a pas besoin d'aller en Chine quand on a un voisin de palier. Il suffit de frapper à son huis. L'exotisme commence avec son tapis-brosse.
Chronique n° 476 – Trente ans à la une
On brise tout parce qu'on veut faire du neuf. On a donc l'illusion de pouvoir tout remplacer. Mais ce n'est pas vrai pour cent raisons. Ne fût-ce que pour celle-ci, qu'avec de la vitesse on fait tout, sauf de la lenteur. Et par exemple, on perd son temps beaucoup plus vite. Avec de la lenteur on perd son temps lentement ; donc moins. (22 mai 1962)
Tout est dans le ton, dans le timbre, dans le style. C’est une immense leçon de style. Cherchez l’y cependant, vous ne l’y trouverez pas. C’est un serviteur invisible. Il a dressé la table, allumé les lumières, disposé les fleurs dans les vases. Il est parti. Il ne vous a laissé que la fête, elle tient toute dans un éclairage. Le style doit être une fête donnée par un absent.
Orgueil et ..., de Jane Austen ?