Citations sur Les heures souterraines (415)
Elle est parvenue à ce point de fragilité, de déséquilibre, où les choses ont perdu leur sens, leurs proportions. À ce point de perméabilité où le plus infime détail peut la submerger de joie ou bien l’anéantir.
Il lui a semblé que cette femme et lui partagent le même épuisement, une absence de soi-même qui projetait le corps vers le sol. (p 248).
Il voudrait être loin, en être plus loin. Il voudrait que le temps soit déjà écoulé, ce temps incompressible par lequel sa souffrance devra passer, six mois, un an. Il voudrait se réveiller à l'automne, presque neuf, regarder l'entaille comme une fine cicatrice.
Il s'agit d'organiser le temps jusqu'à ce qu'il puisse revivre.
Meubler, en attendant que ça passe.
Elle n'en parle pas. Même à ses amis.
Au début, elle a essayé de décrire les regards, les retards, les prétextes. Elle a essayé de raconter les non-dits, les soupçons, les insinuations. Les stratégies d'évitement. Cette accumulation de petites vexations, d'humiliations souterraines, de faits minuscules. Elle a essayé de raconter l'engrenage, comment cela était arrivé. A chaque fois, l'anecdote lui a semblé ridicule, dérisoire. A chaque fois, elle s'est interrompue.
Même au plus profond du délire, même dans les épisodes maniaques les plus avancés, il existe une faille. Un interstice minuscule de lucidité, par lequel il faut s’immiscer.
Parce qu'elle dit: qu'est ce que tu es maladroit.
Alors il voudrait lui dire que non. Il voudrait lui dire avant de te rencontrer j'étais un aigle, un rapace, avant de te rencontrer je volais au dessus des rues, sans jamais rien heurter, avant de te rencontrer j'étais fort.
"Il regarde la ville, cette superposition de mouvements. Ce territoire infini d'intersections, où l'on ne se rencontre pas."
Il a vu des centaines de patients atteints de maladies graves. Il sait combien la vie bascule, à quelle vitesse, il connaît les overdoses, les crises cardiaques, les cancers foudroyants et les chiffres constants du suicide. Il sait qu'on meurt à 30 ans.
Mais les gens désespérés ne se rencontrent pas. Ou peut être au cinéma.
Dans la vraie vie, ils se croisent, s'effleurent, se percutent. Et surtout se repoussent, comme les pôles identiques de deux aimants.
Maintenant elle se demande si, au fond, Laeticia n'a pas raison. SI l'entreprise n'est pas, par définition, un espace de destruction. Si l'entreprise, dans ses rituels, sa hiérarchie, ses modes de fonctionnement, n'est pas tout simplement le lieu souverain de la violence et de l'impunité.