Citations sur U4 : Stéphane (98)
Ils sont six. Encore debout sur le trottoir, statues de charbon d'un noir de cauchemar. Certains ressemblent encore à des enfants, tellement leurs corps sont maigres et de petite taille. Filles ou garçons ? Il est impossible de le dire désormais. Deux d'entre eux se sont pris dans les bras, lorsqu'ils ont compris qu'ils allaient mourir sous le lance-flammes ou la munition incendiaire.
J'ai honte, soudain, de mon chagrin. Suis-je moins forte qu'elles ? Et doit-on être forts, vraiment, tous autant que nous sommes?
Il me semble que je pourrais rouler avec eux, mes compagnons d'équipée, pendant des siècles, en écoutant des disques, dans cette nuit profonde qui nous empêche de voir les horreurs du monde.
« Les militaires m’avaient proposé un marché : ma vie pour la tienne, ma vie contre la tienne. Et demain ? Ce sera, enfin et simplement, ma vie avec la tienne ? »
« Est-ce qu’on lutte, pendant qu’on s’enlève nos vêtements, l’un l’autre, avec des gestes d’impatience, presque de colère, d’avoir tant attendu ?
Est-ce qu’on se bat, ou est-ce qu’on s’étreint ?
Est-ce si différent ? »
« Et toi, Yannis ? Es-tu vivant ?
Comment pourrais-je partir sans savoir si tu es resté en vie, finalement ?
Te savoir vivant, simplement. Savoir qu’il y a un Yannis, quelque part sur cette terre où tant de gens sont morts. Savoir que tu seras quelque part, même loin de moi, en train de vivre, de rire, de froncer les sourcils, de contempler un renard au sortir d’un sous-bois…
Savoir aussi que tout ce que je ferai pour empêcher l’armée d’être au rendez-vous du 24 a un sens. Puisque tu y seras.
Savoir que je pourrais te retrouver un jour ?
« Attends-moi, s’il te plaît… »
« Je le vois suivre des yeux un vol de corbeaux, et se taire. J’aimerais qu’il m’apprenne à voir ce qu’il devine derrière les choses. »
« Je songe à ces récits de résistance que j’ai lus, où des courriers parcouraient la campagne, sous les étoiles, un message dans leur musette. Est-ce ce que nous sommes devenus ? Des résistants ? Mais à quoi résistons-nous aux adultes, au malheur, à l’inéluctable disparition de ceux que nous aimions? »
« Leurs yeux ont fondus, les visages ouvrent des trous béants, noirs, profonds, qui semblent nous suivre tandis que nous les dépassons. Brulés vifs. Réduits à l’état minéral. Trois d’entre eux poussent un cri muet, bien après la mort. Leurs dents, seules taches blanches sur le noir charbon, font une marqueterie de porcelaine émaillée, ajoutant encore un détail à l’horreur. »
« Les flocons tombent sans un bruit. C’était une chose déjà étrange, la neige, avant la catastrophe, l’illusion d’une féerie ou d’une sorcellerie, selon l’humeur - un dérèglement de la vie ordinaire qui se recouvrait silencieusement d’une autre réalité. »