800 pages, une galerie d'extraterrestres comme on en voit peu, une entité méga-méchante, des anti-héros dépassés par tout ça et un zeste de vraie physique.
Je ne vous le cacherai pas, mes bibliothèques (pas « ma bibliothèque », je suis bien trop collectionneuse !) débordent de science-fiction, et j'ai grandi à bonne école : mon père est pire que moi en la matière (et pour la SF, et pour la collection). Malgré cette tendance, ce livre, et même cet auteur, nous avait complètement échappé jusqu'à présent, malgré les 4 (!) prix Hugo décernés à
Vernor Vinge. Un feu sur l'abîme l'obtient en 1993. Une sorte de blackout entoure donc ce roman – à tel point que mon libraire, pourtant spécialisé en SF et particulièrement averti, ne l'a plus sur ses rayons : il serait épuisé. NB : S'il vous intéresse, il est disponible un peu partout d'occasion.
Un feu sur l'abîme a tout du space opera comme Dune ou les trilogies de
Peter F. Hamilton : on parcourt l'univers dans tous les sens, on rencontre des êtres bizarres, on se bat contre un grand méchant, tout cela pourrait relever du carton-plâtre mais pas du tout, on y croit, on s'y prend.
L'intrigue et le super-méchant sont peut-être des prétextes : une expédition humaine déterre dans un coin lambda de la galaxie une « archive » informatique et l'active par erreur, créant une Perversion, sorte d'intelligence artificielle dont le but ultime est la pure destruction de toute chose dans l'univers. Une famille s'échappe et se scratche sur une planète, avec dans ses bagages un possible antidote à cette Perversion. En parallèle une expédition se monte cahin-caha pour tenter d'agir… le résumé n'est pas clair mais ce n'est pas franchement la trame qui importe.
Ce qui donne à ce livre tout son intérêt et amène à tourner les 800 pages bien vite, ce sont les détails de cet univers. 2 des personnages principaux sont des cavaliers de Strodes, sortes de croisement entre des plantes en pot et des algues marines montés sur chariot à roulette. Ça pourrait être ridicule, mais on y croit – même si on rigole bien. La planète sur laquelle la famille échappée de la Perversion s'écrase est peuplée par les Dards, sortes de chiens-loups mais dont un individu est composé de 2 à 8 membres qui peuvent sembler autonomes, mais qui, en fait, ne font qu'un. Et ça marche ! Nous découvrons peu à peu comment leur mode de pensée influe leur civilisation, très médiévale, et on se prend au jeu !
Encore mieux, l'univers est constitué de plusieurs zones : les Profondeurs inconscientes, les Lenteurs, l'En-delà. Plus on se rapproche des profondeurs, moins la technologie fonctionne, plus il est difficile de voyager vite. Dépasser la vitesse de la lumière y est impossible. A l'inverse, il y a après l'en-delà des êtres immatériels, surpuissants, qui n'ont plus de limite. C'est une trouvaille géniale, extrêmement puissante narrativement : la solution face à la Perversion se trouve probablement sur le monde des Dards, mais ce monde est très proche des Lenteurs, où tout prend plus de temps, où tout vaisseau non équipé peut voir sa technologie régresser formidablement… Et parfois la frontière entre l'En delà et les Lenteurs se déplace.
Ces quelques détails peuvent sembler difficiles à gober, mais
Vernor Vinge parvient à en faire un tout cohérent, crédible, accrocheur. Résultat : on voyage, on rigole, on est surpris, on palpite, bref ce roman nous fait passer par toutes les couleurs comme tout bon space opera.
Seul bémol : le rythme est parfois un peu plat, ou bien est-ce l'écriture qui se prend de quelques détours superflus ? Peut-être est-ce dû à la traduction, ou bien à la comparaison avec le maître de la grande narration haletante, efficace et qui vous met en apnée,
Peter F. Hamilton ?
Ça reste néanmoins un très très bon livre, que je vous recommande chaudement.
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