Il est facile d'encenser un titre aimé. S'attaquer à un livre qui m'a déplu, c'est une mission qui relève d'une toute autre paire de manches.
Faut trouver quelque chose dans mes cordes. Spin ? Ouais pourquoi pas, j'ai pas aimé, mais je me rend compte que c'est surtout une affaire de gouts personnels.
Rainbows End ? Ah pas mal, c'était objectivement mauvais. Comment ce bouquin a pu avoir le Hugo ? Y'avait qui comme nominé en 2007 au Hugo ? Les Dragons de sa Majesté, Glasshouse, Eifelheim et Vision Aveugle.
Vision Aveugle.
Ce... truc... a eu le Hugo l'année où Vision Aveugle était nominé ?! Mon livre fétiche ? L'auteur dont je rebat les oreilles de tout le monde ad nauseam ? Inadmissible. Scandale ! JUSTICE POUR PETER WATTS !
Okay,
Rainbows End, c'est entre toi et moi maintenant. Sans aucune mauvaise foi excessive, promis.
Petit aparté sur le courant cyberpunk (post-cyberpunk peut-être?) dont le livre se réclame. le cyberpunk, c'était l'un des courants phares de la SF "sérieuse" des années 80, emmené par les poids-lourds du genre
William Gibson et
Bruce Sterling (et
Vinge dans une moindre mesure). C'était la seule et unique littérature explorant le futur, ses technologies, ses conséquence morales. Mais ça, c'était dans les années 80. J'ai plus besoin d'ouvrir un bouquin d'anticipation pour en entendre parler. Déjà en 2007 (et a plus forte raison aujourd'hui en 2015, si jamais un bouquin osait encore se targuer du courant cyberpunk), le cyberpunk, c'est le monde dans lequel on vit chaque jour. Intelligences artificielles, génétique, connexion 24h/24, réalité augmentée, hacking, univers virtuels, ingénierie sociale, baisse du niveau de vie, thèmes Orwelliens à base de mégacorporations, obsolescence de l'état-nation et émergence de nouveaux acteurs mondiaux, etc... Tous les thèmes du cyberpunk que ces auteurs entrapercevaient et étudiaient à l'époque, vous pouvez les trouver dans le 20 Minutes chaque matin quand vous prenez le métro. Ce sont aujourd'hui des sujets de société des plus communs. C'est trop tard pour les explorer dans un livre d'anticipation (et je ne pense pas qu'un seul auteur soit aujourd'hui en mesure d'émettre la moindre prédiction vaguement fondée sur notre société et les technologies qui envahiront nos vies dans vingt ou trente ans). le fait que Gibson et Sterling aient tous les deux laissé tomber le cyberpunk et fassent des romans qualifiés de mainstream est un signe qui ne trompe pas.
Rainbows End, sans pour autant manquer d'idées (je crois qu'il évoque absolument tous les sujets que j'ai listé au dessus), place et explore en 2025 des phénomènes et problématiques vieilles de trente ans et qui, au moment de sa parution commençaient déjà depuis des années à sortir des labos. Comme si il restait, même pour
Vinge, quelque chose à en dire. Venant du mec qui a vulgarisé en 1993 le concept de Singularité dans son essai The Coming Technological Singularity: How to Survive in the Post-Human Era, c'est sacrément décevant.
A titre d'exemple pour illustrer à quel point
Vinge est à coté de ses godasses, l'une des intrigues secondaires, aussi nombreuses qu'inutiles et nuisant au rythme de l'ensemble, évoque une firme-qui-n'est-pas-Google qui met en place un système de scannage de livre nécessitant la destruction du livre en question (nonobstant la débilité profonde du concept, et le fait que les système de numérisation a très hautes vitesse étaient en développement, on a atteint 3000 images par seconde en 2009). C'est aaaaaaafffreux, on entend les petits cris de souffrance de ces innocents êtres de papier réduits en charpie, la culture qu'on assassine, tous ces trucs là. Opinion qui a quand même en moins de dix ans pris pas mal de plomb dans l'aile, dans le joyeux monde dématérialisé aux millions de titres déjà disponibles en ligne dans lequel on déambule chaque jour, la valeur émotive du livre-papier risque de faire hausser un sourcil à plus d'un aficionado de Kobo. le fait qu'au moment de l'écriture du livre les auteurs américains était en conflit avec Google sur la question de la numérisation des oeuvres et de leur rémunération, n'a sans doute absolument rien à voir avec l'inclusion au chausse-pied de cet élément sans aucun rapport avec l'intrigue principale du livre.
Vernor, t'as juste pas fait tes devoirs. Manque de crédibilité, inconsistances à foison, courte-vue, tout est bancal dans cet univers.
Rainbows End est donc un bouquin qui se plante complètement sur les thèmes qu'il explore. Mais ça peut rester un bouquin sympa à lire, non ? C'est
Vinge, quand même !
Un Feu sur L'Abime,
Au Tréfonds du Ciel ! de la classe et de la grandeur épique !
Eh bien non. A se demander si c'est le même auteur.
On suit les aventures (le mot est fort) de Robert Gu, grand poète cacochyme à la gloire passée (Vernor, tu parles de toi c'est ça ?) nouvellement soigné de son Alzheimer, pas obligé mais quand même fortement encouragé de retourner à l'école pour apprendre à se servir de toute ces technologies aussi formidables que déroutantes qui sont devenues courantes pendant que papy était dans le cirage. On lui a soigné son Alzheimer, mais il est bien connu que les vieux, ça a les capacités cognitives d'une moule de bouchot en matière d'auto-apprentissage, et que c'est incurable. Et si à quatre-vingt dix balais tu sais pas envoyer un neuro-SMS, t'es bon pour retourner user tes fonds de culottes à passer un Master 2 en Technologies de l'Information. Ce monde et ce système universitaire sont sans queue ni tête, mais, à moins de vouloir refermer le bouquin à la page 2, admettons.
Il y'a une crise mondiale majeure en cours qui permettrait à certaines personnes louches d'avoir accès à des technologies de contrôle des populations particulièrement puissantes, et trois membres de la communauté du renseignement, de loin les trois personnages les plus intéressants du livre, au coeur de l'action, qui se battent pour arrêter le désastre. C'est intéressant, prometteur, la menace est réelle et ça pourrait faire un techno-thriller du tonnerre. Mais non,
Vinge préfère se concentrer, dans une prose scolaire et sans le moindre souffle, à des années lumières de ce dont il est capable, sur le sujet de "Grand-Père Wu gère sa famille dysfonctionnelle, apprend à se servir de ses Google Glasses et valide son module d'Art Numérique".
Accompagné de ses camarades universitaires du troisième âge, et de Juan et Miri, duo têtes à claques et clichés juvéniles, Robert ne bénéficie que d'un rôle de second ordre incroyablement périphérique dans cette intrigue, aux risques et aux enjeux à peine dignes d'un spin-off gériatrique du Club des Cinq, sommairement téléguidé sans broncher depuis les coulisses par les acteurs qui comptent vraiment, sans visibilité globale ni la moindre capacité de décision ou d'influer sur le déroulement des évènements. C'est difficile d'en vouloir à Robert tant les espions qui oeuvrent derrière le rideau agissent eux-mêmes en dépit du bon sens le plus élémentaire. Un maitre-espion au projet ultra-secret qu'il essaie de cacher à ses collaborateurs qui n'ont aucune raison particulière de le soupçonner, lance une investigation sur le laboratoire ou le projet est développé, outsource l'enquête à un prestataire sur lequel il n'a pas de contrôle, et exécute un plan ridiculement compliqués impliquant des milliers de participants, avec au milieu de ça une bande d'étudiants nonagénaires comme point individuel de défaillance. Vraiment ?
Les actions des personnages, à l'égard de leur caractère oscillant du pathétique au prétentieux, du génial au pathologiquement débile d'une page à la suivante n'ont pas plus de logique que le monde dans lequel ils évoluent pour un résultat aussi irritant qu'incompréhensible, et
Vinge donne quand même sacrément l'impression de pas avoir envie de se fatiguer à donner un peu de sens à tout ça ou d'expliquer quoi que ce soit.
Des thèmes obsolètes, aucune réflexion novatrice, pas de prose de qualité, ni d'histoire engageante, et aucun personnage attachant. Il n'y a en réalité aucune bonne raison pour que ce livre existe. La seule raison pour laquelle
Rainbows End a une étoile, c'est que si j'en avais laissé zéro vous auriez pu croire que je l'ai pas noté. Un prix Hugo totalement immérité.