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Citations sur L'Espagnole (17)

Mais qu’on donne des majuscules à des mots vides de signification, pour peu que les circonstances y poussent, les hommes verseront des flots de sang, amoncelleront ruines sur ruines en répétant ces mots, sans pouvoir jamais obtenir effectivement quelque chose qui leur corresponde ; rien de réel ne peut jamais leur correspondre, puisqu’ils ne veulent rien dire. Le succès se définit alors exclusivement par l’écrasement des groupes d’hommes qui se réclament de mots ennemis ; car c’est encore là
un caractère de ces mots, qu’ils vivent par couples antagonistes. Bien entendu, ce n’est pas toujours par eux-mêmes que de tels mots sont vides de sens ; certains d’entre eux en auraient un, si on prenait la peine de les définir convenablement. Mais un mot ainsi défini perd sa majuscule, il ne peut plus servir de drapeau ni tenir sa place dans les cliquetis des
mots d’ordre ennemis ; il n’est plus qu’une référence pour aider à saisir une réalité concrète, ou un objectif concret, ou une méthode d’action. Éclaircir les notions, discréditer les mots congénitalement vides, définir l’usage des autres par des analyses précises, c’est là, si étrange que cela puisse paraître, un travail qui pourrait préserver des existences humaines.
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Toutes les absurdités qui font ressembler l’histoire à un long délire ont leur racine dans une absurdité essentielle, la nature du pouvoir. La nécessité qu’il y ait un pouvoir est tangible, palpable, parce que l’ordre est indispensable à l’existence ; mais l’attribution du pouvoir est arbitraire, parce que les hommes sont semblables ou peu s’en faut ; or elle ne doit pas apparaître comme arbitraire, sans quoi il n’y a plus de pouvoir. Le prestige, c’est-à-dire l’illusion, est ainsi au cœur même du pouvoir. Tout pouvoir repose sur des rapports entre les activités humaines ; mais un pouvoir, pour être stable, doit apparaître comme quelque chose d’absolu, d’intangible, à ceux qui le détiennent, à ceux qui le subissent, aux pouvoirs extérieurs. Les conditions de l’ordre sont essentiellement contradictoires, et les hommes semblent avoir le choix entre l’anarchie qui accompagne les pouvoirs faibles et les guerres de toutes sortes suscitées par le souci du prestige.
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Nous vivons au milieu de réalités changeantes, diverses, déterminées par le jeu mouvant des nécessités extérieures, se transformant en fonction de certaines conditions et dans certaines limites ; mais nous agissons, nous
luttons, nous sacrifions nous-mêmes et autrui en vertu d’abstractions cristallisées, isolées, impossibles à mettre en rapport entre elles ou avec les choses concrètes. Notre époque soi-disant technicienne ne sait que se battre contre les moulins à vent.
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Est-ce qu’on va se décider, oui ou non, à regarder ces questions en face, à poser dans son ensemble le problème de la guerre et de la paix ? Si nous
continuons à éluder le problème, à fermer volontairement les yeux, à répéter des mots d’ordre qui ne résolvent rien, que vienne donc alors la catastrophe mondiale. Tous nous l’aurons méritée par notre lâcheté d’esprit.
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Tout d’abord une transformation sociale ne peut être correctement appréciée qu’en fonction de ce qu’elle apporte à la vie quotidienne de chacun de ceux qui composent le peuple. Il n’est pas facile de pénétrer dans cette vie quotidienne. D’ailleurs chaque jour amène du nouveau. Et puis la contrainte et la spontanéité, la nécessité et l’idéal se mêlent de manière à apporter une confusion inextricable non seulement dans les faits, mais encore dans la conscience même des acteurs et spectateurs du drame. C’est même là le caractère essentiel et peut-être le plus grand mal de la guerre civile.
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Vous parlez de la peur. Oui, la peur a eu une part dans ces tueries ; mais là où j’étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. Des hommes apparemment courageux — il en est un au moins dont j’ai de mes yeux constaté le courage — au milieu d’un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de « fascistes » — terme très large. J’ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer. Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d’abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l’étouffe de peur de paraître manquer de virilité. Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible
de résister sans une force d’âme qu’il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l’ai rencontrée nulle part. J’ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n’auraient pas eu l’idée d’aller eux-mêmes tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l’avenir aucune estime.
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Louis gueule contre les imprudences. Je m’étends sur le dos, je regarde les feuilles, le ciel bleu. Jour très beau. S’ils me prennent, ils me tueront… Mais c’est mérité. Les nôtres ont versé assez de sang. Suis moralement complice.

[Journal d'Espagne]
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C’est le nuage des entités vides qui empêche non seulement d’apercevoir les données du problème, mais même de sentir qu’il y a un problème à résoudre et non une fatalité à subir. Elles stupéfient les esprits ; non seulement elles font mourir, mais, ce qui est infiniment plus grave, elles font oublier la valeur de la vie. La chasse aux entités dans tous les domaines de la vie politique et sociale est une œuvre urgente de salubrité publique. Ce n’est pas une chasse facile ; toute l’atmosphère intellectuelle de notre poque favorise la floraison et la multiplication des entités. On peut se demander si en réformant les méthodes d’enseignement et de vulgarisation scientifique, et en chassant la superstition grossière qui s’y est installée à la faveur d’un vocabulaire artificiel, en rendant aux esprits le bon usage des locutions du type dans la mesure où, pour autant que, à condition que, par rapport à, en discréditant tous les raisonnements vicieux qui reviennent à faire admettre qu’il y a dans l’opium une vertu dormitive, on ne rendrait pas à nos contemporains un service pratique de premier ordre. Une élévation générale du niveau intellectuel favoriserait singulièrement tout effort d’éclaircissement pour dégonfler les causes imaginaires de conflit. Certes nous ne manquons pas de gens pour prêcher l’apaisement dans tous les domaines ; mais en général ces sermons ont pour objet non d’éveiller les intelligences et d’éliminer les faux conflits, mais d’endormir et d’étouffer les conflits réels. Les beaux parleurs qui, en déclamant sur la paix internationale, comprennent par cette expression le maintien indéfini du statu quo au profit exclusif de l’État français, ceux qui, en recommandant la paix sociale, entendent conserver les privilèges intacts ou du moins subordonner toute modification au bon vouloir des privilégiés, ceux-là sont les ennemis les plus dangereux de la paix internationale et civile. Il ne s’agit pas d’immobiliser artificiellement des rapports de force essentiellement variables, et que ceux qui souffrent chercheront toujours à faire varier ; il s’agit de discriminer l’imaginaire et le réel pour diminuer les risques de guerre sans renoncer à la lutte, dont Héraclite disait qu’elle est la condition
de la vie.
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Une autre [histoire] encore: en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. Aussitôt pris, tout tremblant d'avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu'on l'avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une médaille de la Vierge et une carte de phalangiste; on l'envoya à Durruti, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé pendant une heure les beautés de l'idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s'enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l'avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l'enfant vingt-quatre heures de réflexion; au bout de vingt-quatre heures, l'enfant dit non et fut fusillé. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n'a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l'aie apprise qu'après coup.
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A vrai dire, dans l'esprit des contemporains d'Homère, le rôle que nous attribuons aux mystérieuses oligarchies financières était tenu par les dieux de la mythologie grecque. Mais pour acculer les hommes aux catastrophes les plus absurdes, il n'est besoin ni de dieux ni de conjurations secrètes. La nature humaine suffit.
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