Place aux géants

Entre temps, en 1904, pour que l'humour ne perde pas ses droits et parce que Wells prend un sarcastique plaisir aux absurdités qu'entraînent la naïveté et la présomption des hommes, il écrit "Place aux géants" qui lui est une occasion de narrer, avec un réalisme burlesque et désopilant, les mécomptes et les vicissitudes d'un inventeur un peu trop ignorant ou dédaigneux des contingences pratiques.
(extrait de la préface de "Pages choisies de H.G. Wells" signée Henry D Davray et insérée dans l'édition parue en 1931)

Quand à "la nourriture des Dieux" (livre traduit en français sous le titre de "Place aux géants"), c'est encore un symbole.
Un savant invente le moyen, en leur donnant une nourriture particulière, de transformer certains hommes en géants. Or ces êtres qui sont plus forts, plus beaux que les autres, et qui devraient être accueillis avec enthousiasme, sont au contraire repoussés par tous et même par leur propre famille.
C'est l'image de la façon dont le monde traite les Samouraïs et les esprits prophétiques. De même que le monde avait rejeté l'ange (dans "la merveilleuse visite") il rejette les hommes perfectionnés.
"Le livre, dit Wells lui-même, commençait par une fantaisie sur le changement d'échelle produit par la science, et se terminait par la lutte héroïque des nouveaux êtres à grande échelle contre l'innombrable vie à petite échelle de la terre.
Personne n'entrevit le sens profond du récit.
Il laissa quelques-uns de mes lecteurs un peu surpris. Ils étaient très amusés par mes guêpes géantes et mes rats géants, mais au fond ils ne comprenaient rien à mon livre"....
(extrait de "Magiciens et logiciens" d'André Maurois - publié par "Grasset" en 1935)

Or, tandis que les huit aventuriers livraient bataille aux rats de la ferme expérimentale, - à neuf milles de là, dans le village de Cheasing Eyebright, une vieille femme au nez excessif luttait contre de grandes difficultés à la lueur vacillante d'une chandelle. Elle tenait dans une main noueuse un couteau à ouvrir les boîtes à sardines, et dans l'autre une boîte d'Hérakléophorbia qu'elle était résolue à éventrer à tout prix. Elle s'y reprenait infatigablement, grognant à chaque effort nouveau, tandis qu'à travers la légère cloison on entendait gémir le petit Caddles.
- Pauv'petit mignon ! - disait Mme Skinner ; puis, avec sa dent solitaire mordant sa lèvre, dans une extase de détermination : - ouvre-toi donc, satané boîte !
Crac ! et bientôt une nouvelle provision de l'aliment des dieux allait être versée sur le monde....
(paragraphe VIII du chapitre III "les rats géants")