La France en automobile

Enfin, nous sommes vraiment en Auvergne! De notre balcon, à Royat, juste au pied des versants du puy de Dôme, nous nous trouvons en intime communion avec ses sommets bousculés, ses villes noires, ses châteaux menaçants.

La brume montagnarde bleutée qui, dès que nous l'avions aperçue depuis les hauteurs du Berry, nous avait régulièrement appelés vers le sud, s'organisait maintenant en une rangée de rudes formes volcaniques, certaines arrondies comme des cloches, telles les absides des églises d'Auvergne, d'autres plus minces, montrant la bordure d'un cratère éteint comme dans le creux d'une coupe; tout cela étrange, caractérisé, incroyablement différent, en lignes et en couleurs, des silhouettes montagneuses d'origine moins violente.

Gravissant ces hauteurs progressives jusqu'au village élevé de Ferrières, nous avons été, le lendemain de notre arrivée, initiés à ce que nous réservait le proche avenir : une vision glorieuse, par-delà la plaine, des monts Dore et des monts Dôme.

Seules une jolie femme et une ville d'eaux françaises peuvent paraître vraiment charmantes en déshabillé matinal; et la manière dont Vichy accomplit cet exploit pourrait être un modèle pour bien des jolies femmes.

Filant tout droit, selon la méthode invariable de la voirie française, la route traverse vers le sud-est de vastes champs de blé, avec des granges et des fermes groupées comme dans les cahiers de dessins de notre enfance, tantôt affleurant, tantôt désertant les rives de l'Indre capricieuse, qui déploie dans la plaine ses courbes bordées de peupliers.

Une grande cathédrale gothique résume tellement d'histoire, elle a exigé tellement de foi et de labeur, de sang, de folie et de sainte abnégation, elle a accueilli une si longue succession d'existences, elle a donné une voix collective à tant d'aspirations contradictoires et inexprimées, elle a vu tant de choses sublimes et terribles, ou stupides, pitoyables et grotesques, qu'elle est semblable à quelque ancêtre mystérieusement conservé de la race humaine, à quelque Juif errant devenu sédentaire et placé sur un trône contemplation, devant qui ont défilé les générations fugitives.

C'est toujours une perte que d'arriver dans une cité étrangère après la tombée de la nuit, et de manquer ces étapes préliminaires susceptibles d'être si intéressantes dans les relations avec les villes comme avec les hommes; mais cette privation est en partie réparée par le sentiment d'aventure avec lequel, le lendemain matin, on se lance dans l'inconnu.

Nous sommes donc partis pour Amiens vers le crépuscule, à travers un paysage plus accidenté; les lumières commençaient à scintiller aux fenêtres de jolis villages avec leurs mares aux canards, et grands crucifix noirs se dressaient comme des spectres aux carrefours; la nuit enveloppait déjà la puissante silhouette de la cathédrale, quand nous sommes enfin arrivés par une longue descente.

A l'approche d'Arras, la route perd ses agréables virages et court tout droit sur un grand plateau, avec parfois une descente et une montée qui ne dévient pas de la direction, les villages devenant plus rares, comme c'est toujours le cas en France dans les plaines balayées par le vent.

Et cette admirable conformité des choses, qui est comme une sorte de conséquence morale d'un sens universel de la forme propre aux Français, les a menés à une découverte heureuse et capitale, à savoir que les bonnes manières sont le plus court chemin vers le but qu'on se propose, qu'elles lubrifient les roues de l'existence au lieu de les coincer.