« Je suis las de lieux
Où l’homme se donne en spectacle
J’ai assez vu le théâtre humain
Les gesticulations de ses pantins
Toutes leurs petites histoires
Ce qui m’intéresse à présent
Ce sont les champs silencieux
Qui s’étendent alentour
Les mouvements de la mer
Le ciel semé d’étoiles
Le rapport entre mon corps et l’univers
Entre les nébuleuses et mon cerveau. » (Le testament d’Ovide)
l'homme a besoin d'arrimer son savoir
mais il lui faut un espace vide
dans lequel se mouvoir
je vivais et marchais
comme jamais encore
devenais un peu plus qu'humain
connaissais une plus large identité
les traces du caribou sur la neige
le vol des oies sauvages
l'érable rouge à l'automne
mordu par le gel
tout cela me devint plus réel
plus réellement moi
que mon nom même
[Labrador]
Bois d’hiver
J’ai mis les livres de côté
et je vois les dernières pommes
tomber des arbres gelés
j’ai vu aussi les glands darder
leurs pousses rouges
dans le sol dur
et l’écorce des bouleaux blancs
fut pour moi plus que tous les livres
et ce que là je lus
dénuda mon cœur au soleil d’hiver
et ouvrit ma cervelle au vent
et tout à coup
tout à coup je sus dans ce bois d’hiver
que j’avais toujours été là
avant les livres
comme après les livres
il y aura un bois d’hiver
et mon cœur nu
et ma cervelle ouverte au vent.
Le testament d'Ovide
(...)
en art et en amour
j'ai toujours cherché
et rarement trouvé
ce qui me conduirait
le plus loin possible de moi
(...)
Cent jours passés
par les grèves et les montagnes
à l'affût
du héron et du cormoran
puis écrire ceci
à la lisière du monde
dans un silence devenu
une seconde nature
et connaître à la fin
dedans le crâne, dedans les os
le sentier du vide.
[Lettre à un vieux calligraphe]
le grand rivage
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et quand un lettré japonais
parlant des suites de poèmes waka
dit que le résultat était souvent
d'une beauté kaléidoscopique
aux facettes infinies
révélées au lecteur
en un mouvement très lent
je reconnais mon but
Pourquoi tant étudier
pour atteindre le blanc –
ayant secoué les lettres
devenir illettré
et vivre
dans la lumière immaculée.
[Hautes études]
pourquoi le corbeau croasse-t-il ?
où le corbeau s'en va-t-il ?
le corbeau, que sait-il ?
demande au faucon
qui là-haut plane en silence
demande au harfang des neiges
demande à l'outarde
ou à la mouette pillarde
tous les oiseaux parlent
la langue de l'aurore
dans des dialectes divers
[Eloge du corbeau]
Lettre à un vieux calligraphe
Cent jours passés
par les grèves et les montagnes
à l’affût
du héron et du cormoran
puis écrire ceci
à la lisière du monde
dans un silence devenu
une seconde nature
et connaître à la fin
dans le crâne, dans les os
le sentier du vide.
P 47
Maguwai
Plus rien des clameurs de la ville
plus rien du métro souterrain
la fille japonaise se tient là tranquille
telle une pousse d’herbe givrée
sur une île lointaine.