À chacun son jour de gloire
Elle n’avait pas seulement volé sa liberté, mais aussi sa réclusion : sa propre existence lui avait été inconnue pendant treize ans. Treize mois ou treize décennies, il n’aurait pas vu la différence. Dans cette indifférence sans limite, il se rappelait - par petits éclairs de honte et de rage – ses insultes et son mépris, son beau visage ou brillait le pur triomphe de la vengeance. Mais ces moments aussi glissaient dans le vide océanique de sa mémoire comme un banc d'anguilles voraces. Elle ne l’avait pas seulement dépouillé de son orgueil, des plaisirs et du pouvoir, elle l’avait dépouillé de la connaissance elle-même. Il avait perdu un quart de sa vie.
Au grand étonnement the Grimes, et à sa grande satisfaction, Gul demeura immobile comme une souche tout le temps qui lui fallut pour injecter l’anesthésique. Grimes murmura et le caressa en attendant son effet, puis saisit une paire de ciseaux, retira la chair morte et posa huit points de suture. Gul se prêta aux soins sans broncher.
Si vous saviez depuis combien de temps personne ne m’a vu pleurer, Dr Grimes, vous auriez une petite idée de l’énorme perversité de cette farce.
Grimes en avait assez de cet endroit et de la nausée que lui causait son mauvais numéro. Il ne se savait pas capable de mentir de façon aussi experte, sans la moindre intégrité, et il avait usé de sa profession – l’avait salie – afin d’y parvenir. Il l'avait fait pour son père ? Georges ne lui avait rien demandé. Georges serait mort avant.
Tous les hommes – toutes les femmes – étaient par essence violents et dépravés. Tout ce que la civilisation avait érigé – lois, religions, arts – n’était qu’une digue fragile, toujours battue en brèche, et n’avait pour but que de retenir l’océan furieux de la dépravation.
Comme tous les hommes véritables, rares étaient ceux pour qui l’argent représentait une passion réelle – une discipline, une vocation, un destin – et pour qui les signes extérieurs de richesse n’étaient donc rien que des dérivés sans importance.
Nous ne les avons pas vaincus par la force militaire, nous les avons vaincus par la haine. Et puis nous les avons massacrés. Ce qui nous poussait sur ces plages, ce n’était ni le courage, ni l’Amérique, ni l’amour pour ceux que nous avions laissés au pays. Ni pour les entrailles répandues de nos camarades. Non. C’était la haine, noire, pure et sanglante..
Elle n’avait jamais touché d’arme auparavant et elle en tirait un plaisir troublant. Le Colt était de facture splendide et le splendide produit de l’imagination de qui l’avait conçu ; elle le voyait bien ; mais le plaisir qu’elle éprouvait ne venait pas de sa seule beauté. Elle avait déjà touché de belles choses sans qu’aucune d’elles ne lui donne cette impression, celle que lui communiquait ce lourd Colt d’acier noir. Elle comprenait à présent pourquoi les armes représentaient le mal et pourquoi des gens sensés désiraient qu’elles fussent contrôlées, car c’était un plaisir interdit issu du mal lui-même : le mal du pouvoir et le pouvoir du mal.