Le Siècle des intellectuels

Plus large, plus profond ,plus durable que les cris des pamphlétaires et les manifestes des pétitionnaires,c'est le travail quotidien des intellectuels anonymes- comme éducateurs notamment - qui me paraît devoir être reconnu comme le véritable contre-pouvoir ,à la fois critique et organique , au sein de la société démocratique.

Un jeune écrivain ne s’y trompe pas. Il se nomme Albert Camus et écrit dans le journal communisant Alger républicain : « Bernanos est un écrivain deux fois trahi. Si les hommes de droite le répudient pour avoir écrit que les assassinats de Franco lui soulevaient le coeur, les partis de gauche l’acclament quand il ne veut point l’être par eux. Car Bernanos est monarchiste […]. Il garde à la fois l’amour vrai du peuple et le dégoût des formes démocratiques. » Il faut donc respecter l’homme « tout entier », et ne pas tenter de l’« annexer ».

Martin du Gard, qui connaît son Gide par coeur, a déjà certains doutes sur la nouvelle foi de son ami dès 1934 : « Il est moins assuré dans son communisme qu’on ne le croit, qu’on ne le dit, qu’on ne veut le faire croire dans les milieux militants où on l’attire. » Sa sympathie pour l’URSS est sincère ; tout cela ne relève ni de la feinte ni de la pose. Martin du Gard le sait. Sagace, il s’interroge plutôt sur les communistes : « Il faut que le Parti ait été bien confiant, ou bien mal renseigné, lorsqu’il a misé sur Gide !… Quelle imprudence d’attacher tant de prix à l’affiliation d’un esprit aussi naturellement inapte à la conviction, toujours ailleurs que là où il semblait s’être fixé la veille ! Je crains fort que, à la longue, et malgré son authentique bonne volonté, il ne déçoive un jour ses nouveaux amis. »

Comparant les itinéraires de Sartre et d'Aron : "Penser la politique radicalement, c'est le plus souvent choisir l'impossible:; mais accepter la politique telle qu'elle va ne requiert que l'alliance des orateurs avec des experts : les hommes de pensée y ont-ils leur place ?"

[ … ] [ Zola ] c’est un « intellectuel », c’est-à-dire quelqu’un qui, comme tous les intellectuels, s’imagine que la société doit se fonder sur la logique, alors qu’elle repose sur des nécessités qui sont souvent étrangères à la raison. L’intellectuel ignore ce qu’est l’instinct, la tradition, le goût du terroir, tout ce qui fait une nation de chair et de sang. Il croit qu’on fait l’union sur des idées.

p. 38.

Citant Emmanuel Mounier, directeur de la revue Esprit : "Un pays qui fait profession de non-résistance au nom de sa tranquillité n’est pas un pays généreux, c’est un pays épuisé ; une nation qui ne désire que se maintenir, recule ; le faible tente le fort, la victime tente le bourreau."

"Mélancolique gardien du sérail des idées, il aura passé sa vie à les parcourir de baisers délicats, sans jamais en étreindre une seule ni la féconder." (citant Julien Benda)

Citant Bernanos, plein d'ironie après l'armistice de 1940 : "La nouvelle France agricole et bucolique redevient guerrière pour défendre la pacifique, l'inoffensive Allemagne, contre le militarisme anglais."

Ils n'attendent pas de la lutte politique des perspectives programmées mais la promesse de l'héroïsme, que nie toute la civilisation bourgeoise et socialiste.

Camus a le vent en poupe, Mauriac s’irrite sans doute de l’audience que son cadet a conquise. Le dialogue s’aigrit. Mauriac, ironique, dans un article du 7 janvier, « Le mépris de la charité », appelle Camus « notre jeune maître », qui attaque les écrivains de la Collaboration « de très haut, du haut, j’imagine, de son oeuvre future ».