"Je hais ma mère et elle me hait depuis toujours. Mon père vient de mourir dans un accident de voiture. Je n'ai pas d'amis à part quelques relations de gamers. Je pense que je vais me tuer. Ce sera plus facile."
Ce soir-là, il aurait pu devenir un monstre. Le sale type à la une des journaux. Le criminel sans circonstances atténuantes que les mères redoutent dans le jardin d'enfants. Le terroriste que les client de bar démolissent à coup de sentences sans appel. Il aurait pu mal tourner. Il s'en était tenu à un fil.
Pour certains, pensa-t-il, fuir la réalité était une façon de vivre apaisé.
Les gosses n'étaient pas toujours en sécurité dans leur maison, car c'était là que pour certains leur vie se faisait bousiller à jamais. Une violence sans témoins, bien calfeutrée derrières les doubles rideaux.
Pour certains, pensa-t-il, fuir la réalité peut être une façon de vivre apaisé.
Je t'aime un peu, beaucoup, passionnément, mais sans folie.
Intérieur du chalet. Noir absolu dans une pièce sans fenêtre. Edward avait les mains et les pieds liés. Dans la bouche, un chiffon. Dans la tête, une certitude. Dans le cœur, un soulagement.
Il n'était pas fou.
Il ne l'avait jamais été.
Il le savait maintenant.
Il ferma les yeux. « Condamné à mort ! Quoique je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un sceptre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction… » Le texte de Victor Hugo tournait en boucle dans son esprit. Vendredi serait son dernier jour. Il le fallait.
Il crut à cette histoire. A ce beau conte de fée qui allait l'emporter pour toujours loin de cette vie moche, triste et blafarde. Il s'accrocha à ses épaules et sortit du gymnase avec le désir fou de tourner la page, de tourner des dizaines d'autres pages, pour accéder enfin à un destin paisible. Une vie dans laquelle on ne crève pas chaque jour. Une vie sans combat, sans honte ni haine. Une vie calme et réjouissante où chaque matin se fait léger comme un nuage de crème fouettée. Une vie qui donne envie de vivre.
J'espère que notre amour est encore possible, Edward. Aujourd'hui je me sens enfin libérée, enfin disponible pour t'accueillir, mais tu as quinze ans. Tu n'es plus un enfant et tu as toutes les raisons de me détester.