Attachée derrière la tente de Moquihix, Hoshi'tiwa se demandait quand le jour allait se lever. Tremblant de peur, elle s'attendait à ce que les Jaguars reviennent et lui fassent subir le sort de Nez Coupé. Si le vieil esclave avait eu la langue tranchée pour avoir bavardé, nul doute qu'on lui arracherait les yeux pour avoir osé contempler le Seigneur.
Mais quand le soleil éclaira enfin le plateau et la vallée, les Jaguars poussèrent une clameur unanime qui lui évoqua les cris d'allégresse de son peuple lors des rituels de solstice et d'équinoxe.
Hoshi'tiwa comprit alors pourquoi elle n'avait pas été mise à mort : l'homme qu'elle avait épié n'était pas le Seigneur, mais un prêtre ou un augure qui invoquait l'Etoile du matin afin que celle-ci quitte sa retraite. Elle comprit également pourquoi le Seigneur ne l'avait pas encore fait appeler. Les huit jours qui venaient de s'écouler revêtaient un caractère trop sacré pour qu'il se souille au contact d'une femme. Il attendrait pour cela d'avoir atteint le Lieu central.
Quand le cortège s'ébranla à nouveau, la jeune fille remarqua que l'ambiance avait changé. Toute la tension et la nervosité des jours précédents s'étaient envolées. Il faisait chaud, le soleil brillait et Hoshi'tiwa avait retrouvé sa place parmi les captifs.
Bientôt, les arbres s'espacèrent et la végétation devint rare. La route poursuivait vers le sud en bordant un canyon encaissé. En contrebas, Hoshi'tiwa aperçut des fermes échelonnées le long d'un cours d'eau trop étroit pour mériter le nom de rivière, mais plus large qu'un ruisseau, puis des groupes d'habitations qui se succédaient à perte de vue. Des gens campaient à travers la plaine, dans des huttes de branchages ou accroupis autour de feux. Au pied des falaises escarpées qui délimitaient le canyon se trouvait le coeur du Lieu central, un vaste complexe d'appartements, de places, d'escaliers et de kivas disposé en demi-cercle, tel un arc-en-ciel de pierres et de briques. Hoshi'tiwa n'aurait jamais cru qu'on puisse réunir autant de monde dans un même endroit. Montés sur des échafaudages, des ouvriers réparaient les immenses murailles avec des briques et du mortier, d'autres les enduisaient de plâtre frais afin qu'elles brillent au soleil. Les terrasses étaient couvertes de gens qui travaillaient, cuisinaient ou conversaient avec leurs voisins. Des panaches de fumée s'échappaient d'une centaine de cheminées. La place principale accueillait un marché dont l'activité évoquait une ruche.
Toutes les jeunes filles ne rêvent pas du prince charmant...
Ne disait-on pas que les enfants seraient punis pour les péchés de leurs pères?
Ce qu'il faut savoir, c'est que les Indiens n'ont pas l'habitude de s'interroger. Ils acceptent les choses comme elles sont, sans chercher à les analyser.
On ne peut pas gagner sur tous les tableaux.
Chaque fois qu'une tribu perd un de ses anciens, des traditions tombent dans l'oubli.
Dans la vie sauvage repose la sauvegarde du monde.
Quand une lionne des montagnes n'a pas assez faim pour dévorer entièrement sa proie, elle la recouvre afin de la finir plus tard.
Cet amour défendu lui procurait des sensations inédites et grisantes. Elle pouvait laisser parler son cœur, s'adonner à d'innocentes rêveries et jouir de leurs trop rares instants d'intimité sans courir le moindre risque.
Comme la plupart des filles de son âge, elle rêvait d'un mariage de conte de fées et d'une lune de miel dans une contrée exotique.