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Critique de bdelhausse


Il m'est assez difficile de dire si j'ai aimé ou pas ce roman (le meilleur de l'autrice selon les critiques et experts). Cela dit, je ne pense pas qu'il faille raisonner en "j'aime - j'aime pas". La question principale est "ce roman a-t-il résonné en moi", et la réponse est oui, sans le moindre doute.

Pourtant, dès le départ, ce n'était pas gagné. Sur le papier, je n'étais pas favori... le score Woolf-bdelhausse risquait de se solder par un sévère score de forfait... Victoire par abandon. Fin du match faute de combattants...

Déjà, dans ma version, il y a une préface de Bernard Brugière... Punaise ! J'avais entamé le livre plein d'un courage digne d'un poilu à Villers-Bocage sur la cote 213, Mais plus j'avançais dans la préface, plus mon allant se diluait dans les phrases de 5 lignes du préfaceur. J'étais prêt à changer de livre quand la préface eut le bon goût de se terminer. Bernard Brugière est un piètre chauffeur de salle, j'étais complètement refroidi avant d'entamer la prose poétique de Virginia Woolf.

Comme je l'ai lu dans l'excellente critique de Nastasia-B, on ne va pas se mentir, ce n'est pas un roman particulièrement facile; entrer dans le roman de Virginia Woolf, ce n'est pas exactement s'enfiler un paquet de chamallows doucement ramollis à 20 cm des braises d'un feu de camp parfumé de branches de pin... Quoique...

Les 80-100 premières pages ont été assez déroutantes. Elles ne m'ont pas rebuté ou détourné, mais dérouté, ça oui! Je n'avais jamais lu quelque chose comme cela. Il m'a fallu un temps d'acclimatation pour appréhender le style de Virginia Woolf. J'ose avouer qu'à certains moments, le cerveau et les yeux bercés par la prose de l'autrice, je perdais le fil du récit en m'abandonnant à la sonorité et au lent et délicat relief des mots. Je plains tout autant que j'admire le traducteur (ou la traductrice). Mrs Dalloway fait effectivement, en ce qui me concerne, partie de ces lectures où les yeux suivent les mots sans que le cerveau n'enregistre l'action. D'ailleurs, d'action, il n'y en a point, ou presque pas. Mais ce n'est pas pour cela qu'il ne se passe rien. Cela frisotte, grésille, tremblote peu à peu. Tout dépend en fait des protagonistes sur lesquels on jette son dévolu pour quelques pages.

Car Virginia Woolf nous promène au gré des rues de Londres (en 1923) et au gré de divers personnages, tous liés de près ou de loin à Mrs Dalloway, occupée à préparer une soirée. le roman va se dérouler sur les quelques heures de la journée qui précèdent cette soirée. D'ailleurs, à l'origine le roman se nommait "Hours", ce qui me semble un meilleur titre. Mais pas seulement sur ces quelques heures...

Je m'explique. Utilisant un narrateur d'une rare et exceptionnelle omniscience, Virginia Woolf va nous donner à voir le présent, le passé, ce que les gens penses et désirent, mais également ce qui pourrait se passer si..., ce qui aurait pu se passer si..., ce que les gens pourraient éprouver si..., ce qu'ils désireraient si... le tout se mélangeant de manière indisctincte. On passe d'un événement passé aux sentiments que cet événement auraient pu provoquer si les choses s'étaient déroulées autrement. Et on revient l'air de rien au temps présent pour repartir dans les sentiments des personnes en présence. L'exercice de style est impressionnant. Mais la grande force est que -justement- cela dépasse largement le cadre de l'exercice de style.

Les sentiments, les actes, les non-dits, les histoires vécues, rêvées ou fantasmées se mélangent en un maelstrom poétique. Ce qui aide à faire passer, si vous me permettez l'expression, c'est la beauté, la sérénité du texte et du style. Car la langue est belle. Pas évidente, certes. C'est beau mais c'est loin, comme disait Chirac.

Virginia Woolf fait entrer en résonnance le passé et les sentiments. Surtout quand entre en scène un ancien ami, fiancé, de Mrs Dalloway. il est l'éléphant dans le magasin de porcelaine. Tout se qui était fixé, réglé comme du papier à musique se met à dévier, à projeter des ombres, à ramener des souvenirs que d'aucuns voudraient révolus. Virginia Woolf met en place un jeu de miroirs, sorte de questions-réponses entre les protagonistes, invités ou pas à la soirée.

Au passage, insidieusement, incidemment, Virginia Woolf distille quelques piques en direction de cette "bonne bourgeoisie" anglaise bien-pensante. Il y a de l'ironie, du caustique, du vitriol (dilué dans un style impeccable, mais quand même). Virginia Woolf répand ce vitriol avec style, mais elle ne s'en laisse pas conter par ces apparences derrières lesquelles se retranchent ces personnages nantis. C'est ciselé. Empahtique aussi. Surtout si on se réfère au personnage de Septimus, vétéran de guerre, ayant perdu un alter ego, un ami proche au front, marié maintenant à une jeune Italienne qu'il a amené dans le Londres froid et brumeux. On sent une réelle émotion de Virginia Woolf pour Septimus.

Incompréhension, non-dit, pièges auto-construits, barrières, contraintes et interdits que les personnages s'imposent à eux-mêmes, séquelles de la guerre... il y a tout cela dans ce roman pas facile d'accès mais qui finit par envoûter et fasciner. Je n'ai pas lu James Joyce et Ulysse, mais Virginia Woolf avait clairement marqué son intérêt pour ce roman écrit 2-3 ans avant le sien. Tout comme elle appréciait Proust. Zweig écrira 24 heures dans la vie d'une femme 4-5 ans plus tard. Voilà des romans et des auteurs essentiels. Je ne suis pas mécontent, finalement, de m'être accroché. Sacré Bernard Brugière, il a failli me faire manquer un roman qui en valait la peine.
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