AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La véritable histoire d'Ah Q (9)

Il se mit à observer attentivement les femmes qu'il supposait en quête d'un amant, mais aucune ne lui faisaient de sourire. Il accorda aussi toute son attention aux femmes qui lui adressaient sa parole, mais jamais leurs propos ne comportaient une allusion à la possibilité d'une aventure. Oui, c'est là aussi une particularité haïssable des femmes : il leur faut à tout prix se donner l'air de la vertu.
Commenter  J’apprécie          92
-Bravo ! cria la foule, et on aurait dit le hurlement du loup et le jappement du chacal.
La charrette poursuivait sa route. Au milieu des acclamations, Ah Q cherchait du regard Wu Ma, mais elle ne semblait pas l'avoir aperçu ; elle était hypnotisée par les fusils que portaient les soldats.
Ah Q regarda de nouveau la foule qui l'acclamait.
Mille pensées l'agitaient. Quatre ans plus tôt, il avait rencontré un loup affamé au pied de la montagne. Le loup l'avait suivi dans l'intention de le dévorer, mais sans jamais se rapprocher, en maintenant la distance entre eux. Il avait failli mourir de peur. Par bonheur, il avait une hachette à la main et cela lui donna le courage d'arriver jusqu'à Weizhuang. Il n'avait jamais oublié les yeux du loup, féroces et lâches, qui brillaient comme des feux follets ; on aurait dit qu'ils le transperçaient à distance. Cette fois, il voyait des yeux bien plus terribles, des yeux comme il n'en avait jamais vu : des yeux à la fois mornes et pénétrants, qui avaient dévorés ses paroles, qui voulaient, maintenant, dévorer quelque chose de plus que sa chair. Ces yeux le suivaient, toujours à distance.
Ils semblaient s'être fondus en un seul, ils lui dévoraient l'âme.
"Au secours !"
Il n'eut pas le temps de crier ; tout devenait noir, il entendit une détonation, et il eut l'impression que son corps partait en poussière.
Commenter  J’apprécie          90
Alors,le biographe rend illustre son personnage et le personnage son biographe, tant et si bien qu'on ne sait plus guère à la fin du compte qui s'appuie sur l'autre.
Commenter  J’apprécie          90
Jamais, semble-t-il, il n'avait connu une pareille désespérance. Même sa propre natte roulée sur sa tête ne l'intéressait plus, lui paraissait méprisable. Il conçut l'idée de se venger sur elle et pensa sérieusement à la dérouler sur le champ, mais cependant il n'en fit rien. Il erra jusqu'à la nuit, et c'est seulement lorsqu'il eut dans le ventre deux bolées de vin achetées à crédit qu'il retrouva sa bonne humeur, sa songerie à nouveau jouant avec des bribes de visions heureuses où des hommes arrivaient en armures et casques blancs.
Commenter  J’apprécie          70
Le temple était entouré de rizières, ses murs blanchis à la chaux se détachaient nettement sur la verdure toute fraîche. Par-derrière, un petit mur en pisé entourait le potager. Ah Q hésita un moment, inspecta les environs et ne voyant personne, escalada l'enceinte en s'accrochant à une plante grimpante. Mais le mur s'effritait ; de petits morceaux de terre tombaient dans un léger bruit d'éboulement. Les jambes de Ah Q se mirent à trembler et il ne parvint à sauter dans le jardin qu'en agrippant une branche de mûrier. Les plantes y offraient toute la gamme des verts, mais il n'y avait trace ni de vin ni de pain à la vapeur, ni de rien de comestible. Au pied du mur de l'ouest se trouvait un bosquet de bambous avec beaucoup de jeunes pousses, qui n'étaient malheureusement pas cuites. Les colzas étaient montés en graine, les sénevés allaient fleurir et les choux avaient durci.
Ah Q en fut aussi dépité qu'un étudiant qui vient d'échouer à l'examen. Il arriva à pas lents à la porte du jardin, et quel étonnement et quelle joie quand il se trouva devant un carré de navets ! Il s'accroupit et se mit à les arracher. Une tête toute ronde apparut soudain dans l'embrasure de la porte et se retira aussitôt ; ce devait être la nonne. Auparavant, Ah Q n'aurait pas tenu compte de pareil personnage, mais il y a des points de vue qu'il faut parfois réviser dans la vie, aussi se dépêcha-t-il d'arracher quatre navets, d'en casser la verdure et de les fourrer sous sa veste. Une vieille nonne se présenta à lui :
- Que Bouddha nous protège ! Ah Q, comment oses-tu venir voler les navets dans notre potager ! Aya...Quel péché ! Aya ! Que Bouddha nous protège !
- Quand m'avez-vous vu voler des navets dans votre potager ? protestait Ah Q qui s'empressait de partir tout en la regardant.
- En ce moment même ! Est-ce que ce ne sont pas là nos navets ? répliqua la vieille nonne en pointant le doigt vers sa veste.
- Sont-ils à vous ? Appelez-les donc, on verra s'ils vous répondent ! Vous...
Il ne termina pas sa phrase et prit ses jambes à son cou, car un gros chien noir arrivait en courant. Ce chien gardait d'habitude la porte d'entrée et nul ne sut pourquoi il vint au potager à ce moment-là. Il poursuivit Ah Q en grondant et allait le mordre au mollet lorsque, par bonheur, un navet tomba de la veste. Effrayé, le molosse s'arrêta une seconde, ce qui permit à Ah Q d'escalader le mûrier, d'enjamber le mur de pisé et de dégringoler à l'extérieur avec ses navets. Il ne resta plus au potager qu'un chien qui aboyait contre un mûrier et une vieille nonne qui priait.
Commenter  J’apprécie          40
Alors un homme à longue robe apporta un pinceau et une feuille de papier et lui mit le pinceau dans la main. Ah Q éprouva une telle frayeur que ses esprits faillirent lui échapper, car c'était la première fois que ses doigts entraient en contact avec un pinceau. Il se demandait comment le tenir, mais l'homme lui montrait où il devait signer.
- Je...je...ne sais pas écrire..., dit Ah Q, honteux et désemparé, serrant le pinceau dans sa paume.
- Pour te faciliter les choses, trace un cercle !
Ah Q voulut obéir, mais sa main tremblait, alors l'homme étala le papier par terre. Ah Q se mit à quatre pattes et se concentra pour exécuter le dessin. Il craignait que les autres se moquent de lui, aussi décida-t-il de tracer un cercle bien rond ; cependant le maudit pinceau pesait lourd et refusait d'obéir ; comme Ah Q était sur le point de terminer la circonférence, le pinceau fit un écart, et le rond prit la forme d'une graine de melon.
Ah Q se sentit humilié d'avoir exécuté un cercle qui n'était pas rond, mais l'homme n'y prit pas garde ; il lui enleva le pinceau et le papier et toute une troupe le reconduisit pour la troisième fois dans sa cellule.
Derrière les barreaux, il ne se sentit pas autrement troublé. Il trouvait assez normal qu'au cours de son existence, un homme doive parfois être enfermé dans une prison d'où on le tire de temps en temps pour lui faire dessiner des cercles sur une feuille de papier. Cependant, ce cercle mal dessiné, voilà qui ternirait son casier judiciaire. Mais il se consola bien vite. "Celui qui dessine un cercle rond, je le considère comme mon petit-fils", pensa-t-il. Il s'endormit très rapidement.
Commenter  J’apprécie          30
On dit que certains ne tirent aucune jouissance de leur victoire à moins d'avoir eu affaire à des ennemis ayant l'acharnement du tigre ou de l'aigle ; leur adversaire est-il un agneau ou un poussin timide que la victoire leur paraît insipide. Il existe une autre sorte de vainqueur, qui, après avoir triomphé de tout, tué qui il voulait tuer et soumis qui il voulait soumettre, n'a plus devant lui que des gens balbutiant : "J'ai peur ! j'ai peur ! je mérite la mort, je mérite la mort." Ce vainqueur-là se retrouve un jour sans ennemis, sans rivaux, sans amis, seul, supérieur aux autres, triste, abandonné de tous. Sa victoire n'est qu'amertume. Mais notre Ah Q n'était pas aussi inconsistant, il était toujours content de lui. Et n'est-ce pas une preuve de plus de la suprématie morale de la Chine sur le reste du monde ?
Si vous aviez vu Ah Q ! Il était dans un tel état d'euphorie qu'il aurait presque pu voler !
Commenter  J’apprécie          30
Il ne cacha rien, il raconta, avec beaucoup d'orgueil, ce qu'il avait connu. C'est ainsi qu'on apprit qu'il n'avait joué qu'un rôle minime dans une bande de voleurs ; il ne savait ni escalader un mur, ni entrer par les trous percés par les autres, il était tout juste bon à rester dehors, près de l'ouverture, pour recevoir ce qu'on lui passait. Un soir qu'il venait de recevoir un paquet et que son chef était reparti par le trou, des cris retentirent dans la maison. Il se sauva, quitta la ville la nuit même et revint droit à Weizhuang ; depuis, il n'osait plus reprendre le métier. Cette histoire fut désastreuse pour lui. Les villageois pensaient qu'il fallait "le respecter, mais s'en tenir aussi loin que possible", parce qu'ils craignaient sa vengeance ; mais ils savaient désormais qu'il n'était qu'un petit voleur qui n'osait plus voler. En vérité, Ah Q ne méritait même pas qu'on eût peur de lui.
Commenter  J’apprécie          20
Mais tout aussitôt il se trouva un moyen de transformer sa défaite en victoire. Levant sa man droite, il se gifla de toutes ses forces deux fois coup sur coup. Sa joue gauche en fut tout endolorie et brûlante, mais la sérénité et la bonne humeur lui revinrent comme si le souffleteur eut bien été lui-même mais le souffleté un autre, ce qui se transforma sans plus tarder en un sentiment apaisant, fait de la certitude que c'est bien lui qui avait donné le soufflet, un point c'est tout.
Commenter  J’apprécie          20




    Lecteurs (64) Voir plus



    Quiz Voir plus

    L'Année du Dragon

    Ce samedi 10 février 2024, l'année du lapin d'eau laisse sa place à celle du dragon de bois dans le calendrier:

    grégorien
    chinois
    hébraïque

    8 questions
    129 lecteurs ont répondu
    Thèmes : dragon , Astrologie chinoise , signes , signes du zodiaques , chine , culture générale , littérature , cinemaCréer un quiz sur ce livre

    {* *}