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Citations sur Jusque dans nos bras (29)

....comme si tout ne se vivait que la première fois . Après la première seconde, il n'y a déjà que le passé.

Comme pour les garçons et les hommes que tu comptes sur plus que les doigts des deux mais, et que tu ne pourras jamais revivre. On ne peut pas revivre une histoire. O peut seulement revoir quelqu'un.
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On ne peut pas revivre une histoire. Seulement revoir quelqu’un.
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Tu supposes que c’est drôle. Oui, le fait que tu tiennes contre toi le mec avec qui tu as fait ta première peinture -la Nuit étoilée, moitié gouache, moitié coquillettes-, ton premier concours de déguisement, fumé ta première cigarette, ton premier joint, monté ton premier groupe de musique éphémère [•••]le type qui maintenait que tu ne savais pas choper les mecs, pas les garder, ton meilleur ami, meilleur pote, frère de sang, ton bro’ planté là dans son costume gris à fines rayures va devenir ton mari dans un instant, à cause de quoi, à cause de cette fameuse Grande Histoire du Racisme dont lui, l’Arabesque et toi avez tracé tant de fois l’arbre, et en vertu des pouvoirs qui te sont conférés par ta nationalité, pouvoir de transmission, pouvoir de le faire Français par le biais d’une alliance.
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Il est 14h35, le 16 mai 2009. Je sors de la mairie, toujours cramponnée au bras de Mad comme si la simple chaleur de sa peau à travers le tissu allait donner un sens à la cérémonie qui vient de se dérouler en quelques minutes dans la mairie du Xe, sans cris, sans interruptions, sans légions déferlant depuis le ministère de l'Immigration pour nous arrêter. Au milieu de la rue, il y a encore les petites filles à couettes roses et la femme aux carreaux multicolores - lorsque je pense que je me suis mariée suffisamment rapidement pour croiser en sortant les gens qui attendaient déjà le bus 38 quand je suis entrée, ça m'a fait un sentiment étrange, de distorsion.
Il a suffi de ces minutes-là pour que Mad et moi scellions notre alliance d'amitié. Non pas en achetant le château de Versailles - c'est triste mais tu as fini par admettre qu'il est trop cher - mais en fusionnant nos deux noms pour former l'entité du Super-Bougnoule à deux têtes, le ZeniterTraoré, presque aussi insécable que le Papamaman. Peut-être même qu'il a suffi de ces minutes-là pour que Mad soit ancré à la terre française, peut-être que son prochain dossier passera, puisque j'ai tout fait pour étendre au-dessus de lui le parapluie de ma nationalité, le bleu de la carte d'identité, puisque nous avons le même anneau doré au doigt.
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Tu te rappelles, toute une collection de minuscules souvenirs sans importance, de ceux qui n'entrent pas dans les photos, l'odeur de tes anciens appartements et quand tu fermais les volets la nuit, le petit jardin devant ton immeuble qui sentait la pluie, la terre mouillée et les feuilles sombres qui brillaient un peu sous les réverbères.
Le cerisier devant ton balcon deux ans plus tard, Mad qui mordait dans les cerises en se penchant par-dessus la balustrade, sans même les détacher de l'arbre.
Le fleuve qui charriait les plaques de glace à perte de vue.
Les bras nus du garçon d'en face quand il jonglait dans la cour.
Bien sûr que je pourrais y retourner, revoir les bâtiments, mon studio transformé en garage à deux-roues, peut-être même monter au premier étage et saluer les mêmes voisins. Mais revenir dans des lieux qui nous ont appartenu sans avoir d'autre raison d'y être que le souvenir, c'est ça qui fait de nous des étrangers, c'est de là que vient le sentiment d'avoir perdu un chez-soi, pas la tache de l'Afrique, pas le panneau de publicité jaune dans le métro qui te dit : Appelez l'Algérie, comme si l'Algérie pouvait répondre : Allô Alice ? C'est bien toi ? C'est enfin toi ?
Y retourner n'est jamais pareil. Comme si tout ne se vivait que la première fois. Après la première seconde, il n'y a déjà que le passé.
Comme pour les garçons et les hommes que tu comptes sur plus que les doigts des deux mains et que tu ne pourras jamais revivre. On ne peut pas revivre une histoire. On peut seulement revoir quelqu'un.
Sur mon canapé orange, je réfléchis. A ceux que je voudrais rencontrer à nouveau pour la première fois, ceux avec qui je voudrais revivre la première seconde, découvrir la manière dont ils sourient, prononcent mon prénom, racontent leur vie d'une manière si vendeuse que les mois qui suivent ne font que débâtir lentement le palais des légendes, ceux devant qui je voudrais à nouveau attendre la première fois qu'ils se penchent vers moi pour m'embrasser, l'instant où les bouches sont à 0,01 cm et où tout le cerveau n'est qu'une injonction violente, un FAIS-LE qui se hurle à l'intérieur, moment où ils se mordent les lèvres pendant l'orgasme, moment du premier je t'aime sur les bottes de paille à côté de mon lycée ou devant Notre-Dame.
Bien sûr que tu pourrais retourner vers eux, revoir leurs bras qui ont perdu ta forme, t'allonger sur leurs oreillers qui ont perdu ton parfum, lire sur la moitié de leurs bibliothèques les dédicaces de chacun de tes cadeaux. Tu pourrais même redire je t'aime mais il n'y aurait plus cette attente, il n'y aurait plus cette traque de l'indice, et puis tu sais comment ils baisent, et leur manière de prononcer ton nom ne te retournerait le ventre qu'à cause de tous les souvenirs, même celui qui de sa voix trop grave faisait saturer les basses de ton téléphone, le souvenir rend le couteau des douleurs moins affûté, il te gaine le cœur, il matelasse l'espace amoureux.
Revenir en étranger quand on veut trouver un chez-soi, revenir en terrain conquis quand on voudrait recommencer à partir en campagne. Un non-retour, un faux retour. Dans les deux cas, c'est impossible. Tous ces endroits que tu as quittés, tu les as perdus pour de bon.
La liste est trop longue, ce jour-là. Je regarde les photos et relis des passages de mon journal. Je croise des noms et des visages. Je me rappelle l'amour qu'ils suscitaient, et aussi les robes que j'ai osé porter et je me déteste, surtout la verte avec la fleur en strass sur l'épaule.
Bref, c'est un jour où la chiale est inévitable, presque systématique puisque chaque mot a déjà été prononcé dans d'autres circonstances, chaque mot fait résonner l'écho d'un usage passé et étire péniblement toutes les années.
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Pour autant que tu t'en souviennes, et le journal intime que tu tiens depuis tes sept ans t'y aide beaucoup, tu as toujours connu ces moments tristes de manière chronique. Ils s'abattent sur toi soudainement, même lorsque tu vas bien, et ils te broient consciencieusement. Tu n'as plus envie de rien, tu as l'impression d'avoir vécu des siècles et déjà à sept ans, à douze ans, à quinze ans, tu peux voir que tu écrivais sur ta si longue expérience et sur ta mort prochaine avec le même sérieux.
Ce jour-là je suis une adulte et pourtant le fait d'avoir traversé à plusieurs reprises ces périodes au cours desquelles la vie paraissait m'avoir déjà tout apporté et ne pouvoir se poursuivre que dans la décroissance et la perte ne m'a pas rendue moins attentive à la petite musique de tous les violons du monde. Idiote, tu le sais : c'est peut-être la centième fois que tu laisses la tristesse te prendre par surprise en sortant de la cuisine et, pour la centième fois, au lieu de hausser les épaules, tu l'accueilles à bras ouverts.
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Aujourd'hui, si on te demande de dater tes travaux de réflexion sur la Grande Histoire du Racisme, tu dirais qu'ils ont dû commencer en 2007. Parce que avant, tu ne t'étais pas tellement amusée à assembler toutes les pièces. Et puis, tu dois bien t'en rendre compte, avant qu'elle ne frappe Mad, tu n'as pas tellement eu à te plaindre du sort que t'as réservé la Grande Histoire. Bien sûr tu as toujours gueulé très fort et revendiqué l'algéritude bien plus que ne te le permettait la petite tache de l'Afrique, mais tu dois admettre que la plupart du temps, tu étais une arnaque ambulante sur le sujet. En 2007, tu deviens vraiment historienne, tu déterres tous les dossiers. Et l'Arabesque te gratifie du surnom flatteur d'Alice, alias la Mémoire.
Cette année-là, Mad commence à avoir de réels ennuis avec la Préfecture et le climat politique nous laisse présager que rien n'ira en s'arrangeant. On est en pleine campagne présidentielle et parmi toutes les annonces des candidats que Mad, l'Arabesque et moi nous faisons une joie de démolir, détail par détail, postés au-dessus des journaux et de trois cafés, parmi toutes les promesses que plus personne n'écoute, parmi les propositions les plus démagogiques, il est tout à coup question d'un nouveau ministère.
La première fois qu'il apparaît dans le paysage, c'est Nicolas Sarkozy qui l'annonce et personne n'a ajouté encore les mots "intégration" et "développement solidaire" qui adoucissent les angles, non, au début c'est simplement le "ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale" et les deux termes ont l'air prêts, de part et d'autre de la nouvelle appellation, à se livrer un match de boxe sans merci, à se dépiauter les "I" majuscules, à s'arracher les "n", et quand Mad pose le journal devant moi avec le titre en gros, après être entré en trombe dans le café à côté de Censier où je prends toujours un verre à la fin des cours, il dit : Je suis mal, putain, je suis mal.
Et il a raison, ce jour-là, devant la bière que je lui paie, quand il affirme que ce genre d'annonce n'empêchera personne de voter pour Sarkozy. Moi, je prends l'information avec le sourire bienveillant de celle qui sait que la droite n'a aucune chance. Je retourne le journal pour ne plus voir l'article et je tends la soucoupe de cacahouètes à Mad en le rassurant.
C'est ton problème, pendant l'année 2007, cet optimisme, cette confiance, parce que, à cause de ta date de naissance, tu es née et tu as grandi PS, tu es une petite princesse Mitterrand. Une part de toi se refuse à croire que la France ne soit pas un pays de gauche. Pour toi Chirac est une erreur de parcours, prolongée par un vote forcé mais la France a eu douze ans pour s'apercevoir qu'elle était de gauche, elle ne peut pas avoir manqué cette évidence.
Mais avec les mois qui passent, mon sourire se fige un peu quand je suis les sondages, quand je regarde le débat, quand j'entends parler tous ceux qui me disent de lui laisser une chance avant de le condamner et que peut-être, peut-être, je serai surprise de voir à quel point il pourra changer le pays.
Oui, je finis par découvrir à quel point je me suis trompée, à quel point je confonds l'enthousiasme avec les analyses politiques, parce que ce couperet-là tombe aussi.
La France est de droite à 53%.
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Je rentre à l'appartement très fière et un peu éméchée et je raconte à Mad comment les roulettes frénétiques de l'Arabesque nous ont sauvé la mise et je ris beaucoup. Mais Mad ne s'amuse pas à m'entendre. Au début je crois que c'est parce qu'il a passé la soirée ici tout seul avec son livre et qu'il m'en veut de l'avoir abandonné mais il se met tout à coup à me dire d'arrêter mes conneries, maintenant, j'en ai assez entendu. Alors moi : Quoi ?
- Tu ne vois pas que c'est typiquement ce qu'on essaie d'éviter depuis le début Alice ? Tu crois que des futurs mariés feraient ce genre de choses ? La fille va traîner dans des bars lesbiens avec des copines clairement lesbiennes, ce dont tout le monde pourra témoigner, en laissant son mec tout seul à la maison et lui il n'y voit rien à redire ? Merde, une lesbienne et un sans-papiers, ça fait encore plus mariage blanc que tout ce qu'on pouvait redouter.
- Tu penses vraiment ce que tu dis ?
- Tu as fait de la merde, oui, oui, je le pense vraiment. Qu'est-ce que tu croyais ? Que j'allais applaudir ton score au baby-foot ? Mais c'était un risque énorme cette soirée, et tout le monde pouvait te voir !
Je lui dis que bien sûr tout le monde pouvait me voir, c'est-à-dire voir que je m'amusais juste dans un bar avec des amies, et que je n'avais rien fait de répréhensible, mais il est toujours énervé et répète que j'ai fait de la merde, de la merde, tu m'entends. Alors forcément les choses dérapent parce que je lui demande pour qui il se prend, mon père ? Et lui dit que non, mais mon futur mari, ce qui est suffisant.
- Mais si j'avais voulu un vrai mari, Mad, j'en aurais peut-être trouvé un dont j'aurais été vraiment amoureuse et pas un con qui me prend la tête quand j'essaie de l'aider. Si j'avais voulu un vrai mari, j'en aurais choisi un que j'ai envie d'embrasser, avec qui j'ai envie de baiser. Tu n'es pas un vrai mari, tu comprends ça ou pas ?
- Crie-le encore plus fort, putain, les voisins n'ont pas entendu !
Je baisse la voix mais je continue à lui dire qu'il n'a aucun, mais aucun droit, de me faire ce genre de reproches et que je suis en colère et ivre, et ivre de colère, alors je lui dis que je ne l'épouserai pas si c'est pour subir ce genre de scènes et que ce mariage est simplement en train de me priver de toute ma vie, que je n'aurai plus rien, ni amis, ni amours, s'il devient ce connard paranoïaque, et qu'est-ce qu'il fera si je rencontre quelqu'un un jour, pendant les quatre ans, m'empêcher de le voir, de sortir dans la rue avec lui ? Ou il m'enfermera dans une cave pendant tout le temps nécessaire à l'obtention de sa nationalité ? Et je lui demande qui es-tu, Barbe-Bleue, et s'il cache les cadavres des femmes qu'il a épousées avant moi et qui ont manqué aux règles du grand mensonge du mariage blanc.
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Qu'il parle maintenant ou se taise à jamais... Comme si tout se jouait seulement dans ces quelques secondes et qu'ensuite la bulle du mariage se refermait sur les époux pour les protéger. A partir de ce moment, les mauvaises langues peuvent se déchaîner, ils n'entendront plus rien, ne seront plus atteints par aucune nouvelle, même les adultères les plus laides, les incestes les plus sales, les révélations de crimes passionnels, de fétichisme inquiétant, non, plus rien, car la cérémonie prévoit que tout cela sera tu à jamais, enfoui pour de bon dans le ventre de la terre.
Mais ça ne marche que pour les vrais mariages.
Dans le cas de celui que je vais contracter avec Mad, il faudrait plutôt supplier l'assistance de se taire maintenant ET à jamais.
C'est probablement le plus dur pour moi dans toute cette procédure : pas l'Enquête, ni le procureur, ni les rêves de petite fille que je dois oublier, mais le mensonge presque tous les jours.
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A un moment un glissement s'opère et tu commences à te sentir comme la martyre d'une cause plus large, la patronne de tous les bougnoules, la sainte de tous les sans-papiers. Il te pousse une couronne d'épines, une auréole et peut-être des clous dans les mains, tu te composes un air calme et douloureux qui te change en personnage raphaélite. Sainte mère de tous les perdus et de tous les quémandeurs d'asile. Tu y crois. Le Papa t'engueule chaque fois que vous vous voyez. Tu lui opposes ton visage triste et digne et il dit que c'est à devenir fou.
Mais il ne peut pas savoir. Le Papa ne regarde jamais les infos avec Mad. Toi, si. Et c'est de plus en plus difficile de finir la pizza quatre-saisons de luxe - celle avec des asperges dessus - en écoutant les noms de John Maïna, Chulan Zhang Liu, Baba Traoré et des autres : tous les noyés, les pendus, les défenestrés qui n'ont eu pour terre d'asile que les poignées nécessaires pour recouvrir leurs corps.
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