Tout le monde, à défaut d'en avoir lu toutes les oeuvres, a une idée de l'immensité de l'oeuvre littéraire d'
Emile Zola, qui lui permet de figurer en bonne place parmi les plus grands écrivains que la France ait enfantés. On connaît moins bien le citoyen exemplaire qu'il a été, quoique le "J'accuse !..." qui a paru dans l'Aurore sous sa plume en 1898 dans le cadre de l'affaire Dreyfus ait eu à l'époque une portée mondiale et qu'il continue à être pour la postérité un exemple clé de ce que peut être l'engagement civique pour une grande cause.
La Vérité en marche est une oeuvre voulue par
Zola qui parut en 1901, à la veille de sa mort. Elle rassemble des textes précédemment parus dans la presse et dans lesquels l'écrivain défendait la cause d'
Alfred Dreyfus.
Zola souhaitait en faire un recueil afin de continuer l'oeuvre des dreyfusards car, en 1901, rappelons-le, si le capitaine avait été gracié par le président de la République, il n'avait pas été réhabilité. le but ultime de
Zola n'était donc pas atteint, à savoir obtenir la justice en faisant reconnaître officiellement la vérité. En réalité, il n'assistera pas au triomphe de son combat car le jugement ayant condamné Dreyfus ne sera pas cassé avant 1906.
La Vérité en marche est donc une oeuvre d'un intérêt très riche.
Littérairement : c'est une plongée dans le style d'une époque - qui plus est le style de
Zola ! - , une écriture beaucoup plus puissante que celle d'aujourd'hui, pleine d'emphase et de force, quelquefois même grandiloquente et outrancière, mais désireuse de toute évidence d'interpeller et de convaincre, ce qui fut après tout le mode d'expression de l'écrivain dans toutes ses oeuvres.
Historiquement et politiquement ensuite : elle est révélatrice d'une époque (une si Belle Epoque !) et d'un contexte dont par certains côtés nous sommes éloignés et par d'autres étonnamment proches. La puissance de l'armée et de l'Eglise n'est plus la même mais qui doutera que le pouvoir de nos jours ne soit encore capable de mensonges et de lâchetés pour protéger des intérêts particuliers affublés des oripeaux de la fameuse "raison d'Etat" ? Oui, les groupes de pression, ceux qui influent ou tentent d'influer sur la gouvernance de notre pays, ont évolué mais ils existent toujours et cette oeuvre en fait prendre conscience régulièrement.
Moralement, enfin. C'est le combat entre un certain pragmatisme, qui s'accommode d'une réalité injuste parce qu'il croit cela nécessaire ou seulement parce que cela le sert ; et une volonté de vérité et de justice absolues, qui ne tolère, elle, aucun ajustement.
Zola, l'homme et le citoyen, s'y révèle tout entier, en apothéose d'une carrière littéraire dans laquelle il avait déjà égrené ses convictions profondément humanistes. "Parce qu'il s'était dit : (...) je dois faire (...) la preuve (...) que la vérité que nous voulions mettre dans notre oeuvre, nous voulons la mettre dans notre vie." (
Jean Jaurès).
C'est d'ailleurs, nous apprend le livre, davantage le citoyen
Zola que l'écrivain
Zola dont les cendres furent déposées au Panthéon. Et, honteusement, cet événement a été mal assumé par tous les pouvoirs qui se sont succédé en France depuis. Sait-on que
François Mitterrand, en 1981, ne se recueillit pas devant le tombeau de
Zola, alors qu'il le fit devant celui de
Jean Jaurès, de
Jean Moulin et de
Victor Schoelcher ? Preuve, s'il en était besoin, qu'il est toujours difficile, voire impossible pour ceux qui nous gouvernent de sortir du clivage entre politique et humanisme.
Zola, en ce siècle qui nous sépare de sa mort, aurait eu encore bien des pages à noircir.