Gros morceau que ce roman haut en couleurs dont le style m'a immédiatement séduite. Des ambiances, des odeurs, des coups de chaleur, des moiteurs, des personnages pittoresques se dessinent sous la plume très esthétique et toute en souplesse de
David Zukerman dans un contexte original puisqu'on démarre cette histoire dans la décharge à ciel ouvert d'une ville d'Amérique centrale.
San Perdido, ville imaginaire où l'on monte dans les quartiers hauts en même temps que dans les classes sociales nous plonge dans le Panama du temps de la fin des travaux de creusement du canal par les Américains, après guerre. Dans cet endroit contrasté, la richesse et l'opulence côtoie la plus extrême des pauvretés.
On y découvre Félicia la doyenne de la décharge, et quelques autres chiffonniers avant de faire la connaissance d'un jeune garçon, un enfant noir aux yeux bleus, doté de mains d'une incroyable puissance et doué d'un instinct presque surnaturel qui lui permet de lire dans les âmes des humains qu'il croise. L'histoire se précise quand on comprend que ce descendant des "cimarrons", population "indigène" descendante d'esclaves africains pratiquant certains rites vaudous, va probablement devenir le héros vengeur des déshérités de cette société inégalitaire où la prostitution et la marchandisation des corps est un mode de vie.
Bientôt vont s'ajouter à cette première salve de personnages, de nouveaux protagonistes, issus de la classe aisée, le gouverneur "El Toro", un obsédé sexuel insatiable, son conseiller, son personnel, ses pourvoyeurs d'affaires louches, ses maîtresses, puis les filles des maisons closes, leur médecin, médecin des pauvres, désireux lui aussi de s'enrichir. Puis sa maîtresse issue des quartiers les plus pauvres...
On pourrait appeler cela un roman foisonnant si les rôles se hiérarchisaient et que Yerbo, le héros noir devenait un fil conducteur récurrent, et que se dessine un récit, une histoire avec actions et rebondissements, concourant à un but, l'exploitation de ce thème original des cimarrons par exemple...mais il n'en est rien. Les histoires se juxtaposent, s'entremêlent, puis se séparent, toutes menées de front, à égalité, sans qu'on sache où nous mènent ces multiples destins plus ou moins intéressants qui finissent par noyer le propos et souvent aussi le lecteur. Certes, la description très réaliste et détaillée de cette ville panaméenne dont l'ambiance est bien rendue constitue un atout séduction pour ce gros roman qui dépayse le lecteur.
Mais, comme pour d'autres romans lu cette année, et bien que la lecture menée jusqu'à son terme ne m'ait pas pesé, j'ai trouvé la construction de l'intrigue légère, et le scénario pour le moins perfectible.
Par exemple:
- La mort prématurée du héros qui rend l'histoire orpheline...
- le personnage de Madame, la "maquerelle asiatique"bienveillante pour poules de luxe, engageant le médecin sans libido de ses pensionnaires, pour qu'il lui serve de thérapeute (?) pourtant l'énigmatique Madame va rester énigmatique!
- Une certaine complaisance à décrire les dépravations sexuelles des protagonistes sans que cela ne serve le récit,
- La fin laissée à l'imagination du lecteur, tellement ouverte qu'on ne sait qu'en penser...
- le choix étonnant de ponctuer l'histoire avec les personnages les moins attachants du roman...
Bref, mes trois étoiles, bien modestes au regard de l'estimation générale de Babelio, sont motivées principalement par la qualité de l'écriture que j'ai trouvée belle et foisonnante, regrettant par ailleurs le manque de consistance scénaristique.
NB: un très grand nombre de fautes et de coquilles dans la version numérique