A cheval donné, on ne regarde pas la denture. J'avais donc bien l'intention d'aimer
les Filles qui mentent et je me préparais, la dernière page engloutie, à une critique plutôt élogieuse et bon public. Après tout, j'avais lu le roman en quelques heures et ne m'étais pas assoupie dessus. Et puis dans le genre polar islandais, il respecte les codes : un jacuzzi par-ci, un peu de lave par-là, des tempêtes et des étés aux jours interminables, on a tout le folklore local. L'équipe d'enquêteurs est plutôt sympathique :
Elma se remet doucement du suicide de son petit ami et virevolte vaguement entre deux idylles, l'une a commencé comme du sexfriend, l'autre n'existe pas (encore). Dotée d'une soeur perfectionniste mais rivale, notre enquêtrice fournit avec ces quelques éléments le fond privé nécessaire qui permet d'ancrer l'enquête dans la vraie vie. Un supérieur dont la femme est gravement malade, un collègue aussi sympathique que solitaire, le compte est bon. Côté énigme, le cadavre d'une femme retrouvé par hasard dans une grotte. Ce doit être celui d'une femme portée disparue depuis des mois. L'élucidation de ce crime va occuper l'ensemble du roman.
Si on se concentre sur ce qu'on a, tout va bien : on suit le bonhomme de chemin qu'indique le narrateur, on accepter l'entrelacs des chapitres retraçant en parallèle les premières années d'une étrange petite fille et de sa mère célibataire et on part à la recherche d'indices. On a une bonne petite enquête pas trop gore et tout à fait facile à suivre.
Les problèmes commencent dès que l'on réfléchit en dehors de ce fil narratif : l'enquête se concentre sur quelques personnages et exclut, une fois l'identification du cadavre effectuée, de facto toute analyse scientifique des éléments résiduels : comment a été transporté le corps, quels fragments a-t-il pu emmener avec lui qui révélerait le trajet qu'on lui a fait emprunter, on n'en sait rien et on n'en aura pas besoin. Bon.
Y a-t-il de dangereux assassins en liberté à ce moment-là ? La piste n'est même pas esquissée.
La victime fréquentait-elle de sinistres individus qui auraient pu lui faire la peau ? Cette possibilité n'a pas droit de citée. Soit.
Ce qui compte, ce sont les quelques personnages du drame. Mais même en se concentrant sur les ressorts psychologiques de l'intrigue, ça ne tient pas la route très longtemps.
Comment et pourquoi Tinna est passée du statut d'enfant aux troubles autistiques archi soulignés à celui d'ado populaire et charismatique ? Comment Margeret a-t-elle pu, d'un bon, d'un seul, d'hôtesse d'accueil dans un cabinet juridique devenir présentatrice vedette du journal ? Et épouser le directeur financier de la chaîne dans la foulée ? Lequel directeur est aussi riche que fantomatiquement absent de cette histoire. Il a une femme dangereusement psychopathe, une belle-fille au moins aussi barrée mais il ne remarque ni ne fait quoi que ce soit...
Et le pauvre amant qui s'est reçu un pot de fleur sur la caboche, comment explique-t-on qu'il se soit fait séduire par cette loque de Marianna ? Il fallait, pour les besoins de l'intrigue, qu'il y ait attache puis rupture avec Margeret et Tinna. Et qu'une obscure vengeance poursuive Margaret et sa fille. Mais cette nécessité scénaristique n'est habillée d'aucune justification plausible dans la dynamique des personnages. Quant aux parents de Marianna comme de Margeret, ils sont aussi similaires les uns aux autres que transparents, de manière, là encore, complètement invraisemblable. Oh, nos filles sont tombées enceintes toute jeunettes, barrons-nous le plus vite possible en les abandonnant chacune à leur sort, ni vu ni connu. Vous y croyez, vous ? Quant à la morale sous-jacente au roman, que faut-il comprendre ? Que les filles sont capables de mentir et de s'en tirer ? Que la réprobation commune du viol peut rendre impunis de sombres crimes ? Ce serait iconoclaste mais là encore la psychologie des personnages est trop peu travaillée pour qu'on puisse même parvenir à cette conclusion cynique. Non, on reste juste avec un malaise.
Finalement, les personnages se contentent de jouer leur rôle dans une intrigue qui nous est déroulée de manière assez agréable mais n'ont aucune cohérence en dehors du chemin balisé que décline le roman. On ressort des Filles qui mentent comme on y est entré et ce polar ne promet pas de rester longtemps dans ma mémoire. Je remercie néanmoins Babelio et les éditions
De La Martinière pour cet envoi.