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Saint-Elme, tome 2 : L'avenir de la famille

On est toujours « A la croisée du polar noir, de l’étrange et de l’absurde ».

Le résumé qui précède ce tome 2 est une excellente idée et me permet de comprendre l’imbroglio du tome 1 que j’avais survolé en essayant de décrypter dans les zones d’ombre du dessin des éléments de compréhension.

Je reconnais maintenant les différents personnages et me situe un peu mieux dans l’intrigue qui je l’avoue a du mal à me passionner.

Trop de personnages dont nous survolons la personnalité et je n’arrive guère à m’y intéresser ni à m’y attacher.

Des dessins certes grandioses mais la plupart du temps cachés dans l’obscurité, ce qui gâchent mon plaisir visuel.

Ce qui m’amuse …

Les grenouilles qui continuent de parsemer les pages … l’itinéraire d’une de ces bestioles dans sa descente de l’étage à la cave est fascinante … les discours de l’homme face à un fauteuil vide m’interpellent … un, deux, trois, la pluie qui tombe ou s'arrête sur demande m’amuse.

Quand le tome 3 sera disponible à la médiathèque, peut être que j’irais faire un tour à saint Elme pour voir ce que deviennent les grenouilles !
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Saint-Elme, tome 1 : La vache brûlée

La sortie récente du tome 5 de la série a relancé la publicité !

Une mise en avant à la médiathèque m’a incité à tenter l’expérience.

« A la croisée du polar noir, de l’étrange et de l’absurde » … c’est ce que l’éditeur nous dit … cela semble tentant !

Une lecture rapide.

Je n’ai rien compris au scénario… une critique de BurjBabil m’a éclairé sur le sujet … merci de lever le voile sur l’histoire et de placer les personnages dans le contexte.

Les dessins sont très agressifs, les mélanges de zones d’ombre et de couleurs éclatantes m’ont perturbée et je n’ai pas toujours trouvé le découpage adapté au récit et les cadrages sont déconcertants.

Je me suis amusée à suivre la réminiscence de la légende de la vache brûlée et les péripéties des grenouilles qui viennent perturbées tout ce beau monde.

J’ai aussi emprunté le tome 2 … dernière chance pour la série !
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Saint-Elme, tome 2 : L'avenir de la famille

Ces toasts sont exactement comme je les aime.

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Ce tome fait suite à Saint-Elme, tome 1 : La vache brûlée (2021) qu’il faut impérativement avoir lu avant. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Serge Lehman pour le scénario, et par Frederik Peeters pour les dessins et la mise en couleurs. Il compte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Ces deux auteurs avaient déjà collaboré pour L’homme gribouillé, paru en 2018.



Dans les alpages, une ferme avec une installation de raffinerie, un chien gisant mort dans la boue, le crâne éclaté par une balle. Non loin un homme étendu dans la boue, gisant inconscient. Adossé à un mur, un homme mort du sang sur le front. Avec un regard de fou, le derviche regarde tout ça, fixement. Une voiture arrive par le chemin de terre. La belle berline s’arrête devant la ferme, à côté du l’homme inconscient. Stan Sax descend du véhicule, toujours vêtu de son pantalon de survêtement rouge, et de son chaud blouson en cuir. Il salue Arno Cavaliéri, et il lui demande s’ils sont tous morts. L’autre répond que non, Kémi s’en est tiré, enfin si on peut dire, il est dedans. Le cadavre adossé au mur glisse lentement vers le sol. Stan Sax rentre dans le bâtiment, pendant que Cavaliéri prend une bûchette pour caler le mort en position assise. Stan secoue Kémi qui gémit un peu, sans reprendre conscience. Il ressort et demande au derviche ce qui s’est passé. Celui-ci lui raconte l’histoire : Félix Morba a pété les plombs. Il devait assurer la sécurité à la place du gros Fred, hier soir, mais Arno imagine que Stan le sait. Il continue : il n’a pas tout vu parce qu’il était dans la camionnette en train de charger la marchandise. Il demande à Stan d’enlever la bûchette, parce qu’elle le gêne. Il adosse le deuxième macchabé contre le premier. Parfait.



Stan Sax demande à Arno Cavaliéri ce qui s’est passé ensuite. L’autre répond que Morba est allé uriner par là-bas, dans la neige, et puis il s’est mis à shooter tout le monde. Sauf Arno qu’il a enfermé dans la camionnette. Stan demande si le signe sur la vitre, une sorte d’œil ouvert, c’est Morba aussi. Arno traîne le troisième cadavre et répond qu’il y avait une fille dans l’appentis, une gamine, neuf ou dix ans, noire. C’est Vassili qui l’a amenée il y a trois jours. Il a juste dit qu’elle valait cher et qu’elle serait partie avant la fin de la semaine. Arno résume : Morba fume tout le monde, part avec la fille et Stan reste bloqué dans la camionnette. Stan continue : il est resté bloqué jusqu’à l’arrivée du type étendu inconscient dans la boue.il s’appelle Franck, c’est un privé, payé par la mère d’Arno pour le ramener. Il l’a cogné un peu fort, mais Franck respire. Stan perd patience, puis se reprend et téléphone. Arno termine sa sinistre besogne en ramenant le cadavre du chien et en le déposant sur les jambes des trois morts adossés au mur. Stan explique que sa sœur Tania va s’occuper de tout, et qu’elle veut une photographie de Franck au cas où il serait passé en ville avant de débarquer ici.



Mystère, mystère. Mais comment les auteurs font-ils pour en raconter autant en si peu de mots ? Le lecteur est frappé par la concision des dialogues : des phrases courtes, rarement plus de deux à la suite par un même personnage, plus souvent seule. Une seule page sans aucun mot, une autre avec seule une onomatopée pour un bruit de moteur, et pourtant une remarquable impression de texte en toute petite quantité. Le lecteur se retrouve épaté par le naturel des dialogues, leur enchaînement à un rythme évoquant une vraie conversation, les particularités d’expression spécifique à chaque personnage. Dans la première scène, le lecteur peut distinguer qui parle de Stan ou d’Arno sans même regarder la case : ils s’expriment de manière différente, dans le choix de leurs mots, dans la construction des phrases, dans les mots ou les expressions qui reviennent. Il en va de même pour chaque personnage, de façon tout à fait naturelle. Le lecteur se rend également compte que malgré leur brièveté, les phrases apportent de solides informations, par ce que signifie la phrase de manière littérale, par ce qu’elle révèle du personnage sur sa réaction à un événement ou à une situation, par son niveau de réflexion. Leur sens en est complété par ce que montrent les dessins : la gestuelle, la posture qui en disent beaucoup sur l’état d’esprit du personnage. Tout ceci, le lecteur l’absorbe de manière inconsciente et automatique, la complémentarité entre texte et dessin étant parfaite.



Le lecteur peut observer l’interaction entre texte et dessin, également à l’occasion des onomatopées : discrètes, toujours parfaitement justes. Cela commence avec le léger bruit du moteur de la voiture qui se fait entendre dans le silence de la montagne. Puis viennent, entre autres, le bruit du cadavre assis qui glisse mollement par terre, le bruit que font les mains du derviche alors qu’il les frotte, le léger clic émis par un téléphone prenant une photographie, les aboiements hargneux du chien, le bruit des coups portés hors champ sur un prisonnier, des murmures inaudibles d’une conversation écoutée derrière une porte, le son des toasts éjectés d’un grille-pain, etc. Ces sons accompagnent la lecture, suscitant l’illusion chez le lecteur qu’il entend parfois ce qui se passe. À sa manière, la mise en couleurs fait également appel aux sensations, avec la présence répétée de différentes nuances de violet, utilisées de manière expressionniste, établissant une forme de continuité entre des éléments disparates, entre des individus même. Outre les ombres portées mauves, le lecteur ralentit de temps à autre son rythme pour savourer une composition inattendue : le contraste entre le rouge et le violet sur le visage de Gregor Sax évoquant un usage similaire par John Higgins dans Watchmen, la lumière verte baignant la chambre en soupente de la ferme, le jaune au cours de l’interrogatoire de Franck Sangaré, entre flammes intenses et effet psychédélique déconcertant, un moment ensorcelant.



Dans le fil des pages, le lecteur absorbe tout naturellement ces compositions de couleurs, sans chercher à les analyser, juste en ressentant le décalage qu’elles induisent, l’ambiance particulière qu’elles installent, l’intensité du ressenti qu’elles provoquent. De la même manière, il ressent l’efficacité de la mise en scène, sa rigueur. Une scène en trois pages : Jansky, Piotr, Arno Cavaliéri et Stan Sax se retrouve dans une petite chambre mansardée en train de regarder Kémi allongé inconscient à la suite d‘une blessure. Jansky ordonne à Piotr de l’achever, Cavaliéri s’y oppose, il s’en suit un affrontement physique. La mise en scène relève du grand art pour parvenir à raconter ce combat dans un espace confiné, à établir une suite de mouvements et de coups cohérente, que le lecteur peut parfaitement suivre, les deux hommes s’adaptant à l’exiguïté de la pièce. Dans un tout autre registre, le lecteur peut suivre Paco et Romane Mertens en balade dans les alpages : le sentier caillouteux, les grands étendues herbeuses, les montagnes pierreuses, les rares sapins, les quelques traces de neige, le repas frugal transporté dans un sac à dos, le rapace qui passe haut dans le ciel. Tout cela donne envie au lecteur de respirer l’air frais et pur de la montagne. Il se remémore alors la présence du règne animal dans le premier tome : ici, les auteurs mettent la pédale douce sur les grenouilles, un peu moins présentes que précédemment. Outre le rapace, il peut voir un chien vivant, un loup tenant une grenouille dans sa gueule, l’animal de compagnie de madame Dombre, et un chamois.



L’intrigue s’avère facile à suivre en ayant le premier tome en tête. Les auteurs prennent la peine de rappeler le nom des personnages ce qui permet de les mémoriser plus facilement : le derviche, la famille Sax (Roland le père, Vik l’épouse, Stan le fils, Tania la fille, Gregor le beau-père de Roland), les hommes de main (Jansky, Piotr, Yanski), Madame Dombre et Bruce, madame le maire (Béatrice), Arthur Spielmann le patron de l’auberge capable de prédire le début et la fin de la pluie, Paco berger blessé à la jambe, Sylvia la cliente de Spielmann, Romane et son père. D’un côté, l’enquête de Franck Sangaré suit son cours et il subit un interrogatoire musclé et chaud. De l’autre côté, l’intrigue est tributaire des aléas, comme la cheville foulée de madame Dombre, ou des brusques sautes d’humeur du derviche. Aussi les développements de l’histoire dépendent de personnages et des imprévus, à l’opposé d’une trame aux enchaînements automatique. L’enquête se serait déroulée tout à fait différemment sans cette cheville foulée, la situation n’aurait pas empiré à ce point si Stan Sax avait pu mettre à profit une plus longue expérience des affaires.



Même s’il y a moins de grenouilles, le lecteur ne peut pas se départir de l’impression qu’il y a d’autres forces à l’œuvre que celles visibles dans les cases. C’est une sensation indéfinissable et ténue : la façon dont un loup tient une grenouille dans sa gueule, le symbole de l’œil ouvert tracé dans le sang par Katyé, les qualités de combattant de Cavaliéri, le stoïcisme téméraire de Sangaré, le père de Romane qui s’adresse à une silhouette invisible ou encore la capacité de prédire le début ou la fin d’une pluie. Il y a quelque chose de pourri au royaume de Saint-Elme. Mais dans le même temps, les auteurs parviennent à raconter un vrai polar, avec la corruption passive de la police, l’enlèvement de la fillette, le trafic de drogues, etc. Mais comment font-ils pour en raconter autant en si peu de pages, et avec une telle économie de dialogues ?



Ce deuxième tome confirme la puissance addictive de cette série : le lecteur est accro et veut en apprendre plus, continuer de pouvoir arpenter les rues de Saint-Elme et la montagne alentour, en découvrir plus sur ce projet de Saint-Elme 2.0, côtoyer cet enquêteur de peu de mots, se réjouir de ne pas avoir le derviche en face lui, se retrouver sous ces éclairages bizarres, voir les méchants châtiés, etc. Et pourquoi des grenouilles ?
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Saint-Elme, tome 1 : La vache brûlée

C'est une phrase de vieux, ça.

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Ce tome est le premier d’une pentalogie, une série qui constitue une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2021. Il a été réalisé par Serge Lehman pour le scénario, et par Frederik Peeters pour les dessins et la mise en couleurs. Il compte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Ces deux auteurs avaient déjà collaboré pour L'Homme gribouillé, paru en 2018.



Quelque part en montagne, aux abords d’une grange abritant une installation artisanale de traitement chimique, une grenouille croasse. Elle s’élance et bondit dans une zone herbue, puis s’arrête sur la route. Un van passe à vive allure et l’écrase, sans même que le conducteur en ait conscience. À côté de lui se tient un passager, Félix Morba, un grand noir chauve. Le conducteur ralentit et prend un chemin de traverse, celui qui conduit au chalet avec la grange. Les aboiements d’un chien agressif se font entendre. Le conducteur arrête son véhicule devant la maison, et le chien aboie sur les nouveaux arrivants : il est solidement attaché, ce qui rassure le conducteur qui sort du van. Deux hommes armés de fusil viennent l’accueillir. L’un des hommes fait remarquer au conducteur que d’habitude il travaille avec le gros Fred. Pendant qu’il ouvre l’arrière du van avec un trousseau, il explique qu’il y a eu un problème, il racontera plus tard et Curzon est à l’hôpital, il ne restait que Morba, le seul mec qui donne l’impression d’être en taule à l’extérieur. Le chauffeur déplace les cartons à l’arrière, sort un cutter, ouvre une trappe dans le plancher du van et demande à l’homme armé d’aller dire au derviche d’apporter les colis.



Pendant ce temps-là, Morba descend du van à son tour, et s’éloigne pour aller se soulager dans la neige. Il remarque derrière lui un appentis accolé au chalet, avec une porte et un une fenêtre avec un éclairage rouge, sur laquelle est dessiné un unique œil, ouvert. Il s’en approche, dérangeant au passage une grenouille qui croasse doucement. Il se baisse et il regarde par la fenêtre : un enfant se tient assis à même le sol. Il relève la tête et regarde Morba sans parler. L’homme tapote au carreau et lui demande si c’est lui qui a dessiné ça. Il est interrompu par l’arrivée d’un autre homme qui lui demande ce qu’il fait là, et qui lui ordonne de retourner dans son tas de boue. Le chien continue d’aboyer avec hargne. Un autre homme armé indique qu’encore deux voyages et c’est bon. Morba redescend du véhicule. Il enferme le derviche dans la partie arrière et il jette les clés au loin. Un homme armé approche, Morba lui tire une balle dans la tête, à bout portant. L’autre réagit, il l‘abat à deux mètres. Le conducteur rentre dans la maison en courant, Morba l’abat d’une balle dans le dos. Il rentre dans la maison, il remarque quatre verres sur la table : le quatrième lui tire dessus en même temps qu’il ouvre le feu sur lui. Le premier s’écroule à terre, mort, Morba est blessé. Il ressort et il va délivrer l’enfant qui lui dit s’appeler Katyé. Plus tard, un ferry traverse le lac : Franck Sangaré débarque à Saint-Elme et il est accueilli par madame Dombre.



Une couverture qui frappe l’œil du lecteur avec ce rouge éclatant et un peu terni, cette zone de terre assez vague et cette silhouette de dos, qui s’éloigne du lecteur, visiblement un homme en souffrance se tenant le ventre et perdant son sang. Le titre s’avère tout aussi énigmatique : La vache brûlée, et il constitue une image dérangeante. En effet, la mise en couleurs repose sur des choix tranchés et audacieux, mis en œuvre également dans les pages intérieures. L’artiste réalise une colorisation de type naturaliste pour les séquences de jour en extérieur, tout en jouant sur un léger décalage (le ciel crème pour la traversée du ferry) et sur les contrastes (la foule noyée dans une ombre violette sur le quai de débarquement). Il utilise majoritairement des aplats de couleurs, plutôt que des dégradés, apposés en respectant les bordures formées par les traits encrés, et en même temps un aplat peut ne pas remplir complètement une surface détourée, étant alors complété par un autre d’aplat d’une couleur différente. Sous la lumière artificielle ou la nuit, tous les chats ne sont pas gris. L’artiste a recours à une mise en couleurs expressionniste, avec des contrastes très tranchés. Le rouge projeté par une lumière artificielle sur les tuyaux dans la grange baignant dans un vert bleu. Le violet profond de la nuit s’opposant au bleu entre turquoise et aigue marine de la lumière des phares ou des ampoules de la cabine.



Ces teintes participent à l’ambiance bizarre et étrange tout du long de l’album : vues de la rue les lumières vertes ou rouges des fenêtres des maisons, dans la boîte de nuit la cohabitation entre les rouges, les verts, les bleus, les violets, dans les toilettes tout passe en violet. Le lecteur s’en trouve un peu déstabilisé se demandant s’il doit voir quelque chose de particulier dans ces choix d’éclairage non conventionnels. Les questionnements proviennent également des images dès la première. À commencer par le cadrage en plan rapproché sur ces éléments d’une installation de plus grande ampleur : que faut-il comprendre de ce gros plan, sans avoir une vision du tout ? Vient ensuite le sort de la grenouille écrasée sur la route : faut-il y voir une métaphore de ce qui attend les personnages, se déplaçant par automatisme, sans aucune maîtrise sur leur destin, sans compréhension aucune des forces à l’œuvre autour d’eux ? Par la suite, les auteurs mettent en scène d’autres animaux : ce chien que le dessinateur rend des plus agressifs, même le lecteur est rassuré qu’il soit solidement attaché (tout en craignant que le lien ne rompe). Après quelques autres grenouilles, apparaissent un hibou, une vache qui connaît un sort funeste, des mouettes (dont une qui mange une grenouille), un oiseau de proie haut dans le ciel. L’artiste n’humanise en rien ces animaux qui conservent toute leur étrangeté animale, les laissant hors de portée de l’empathie du lecteur. Le lecteur observe cette vache qui est la proie des flammes : il est évident qu’elle souffre, et en même temps la prise de vue en fait presque un objet de vénération ou une victime sacrificielle. Le lecteur envisage alors ces manifestations du règne animal comme des signes de la nature. Mais qui disent quoi ?



La lecture oscille alors entre un défi ludique et des sensations à ressentir. Bon d’accord, des grenouilles et un chien. La prolifération des premières peut s’interpréter comme le signe d’un écosystème spécifique à la région de Saint-Elme. Le chien peut se voir comme le symbole d’un animal captif qui a développé une haine envers le genre humain tant qu’il ne recouvrera pas sa liberté, avec la possibilité de faire un parallèle avec Katyé, également captif. L’œil dessiné en rouge sur la fenêtre ? La mention d’un derviche ? L’animal de compagnie inhabituel de madame Dombre (et d’ailleurs ce nom, d’ombre) ? La cérémonie avec la vache qui finit par prendre feu, ce qui correspond au nom de l’auberge La vache brûlée, simple synchronicité ? La cicatrice permanente de Romane Martens, brûlée par une bouilloire renversée quand elle avait douze ans, simple coïncidence ? À ce petit jeu, les auteurs se montrent redoutables, et le lecteur n’a aucune chance. Il voit bien que certaines mentions, certains éléments prennent tout leur sens quelques pages plus loin. Un petit trafiquant mentionne le nom de Stan Sax dans la même phrase que celui d’Arno Cavaliéri, et le lecteur comprend plus loin comment se positionne la séquence du chalet dans tout ça. Mais doit-il retenir le nom de Curzon dont le conducteur indique qu’il est à l’hôpital ?



Le scénariste a acquis un niveau expert pour mener le lecteur par le bout du nez : il n’utilise que des phrases courtes, avec des objets, des noms, comme ça en passant, et le lecteur ne dispose d’aucun moyen de savoir s’il s’agit d’un détail sans importance, ou au contraire d’un indice dont l’importance sera révélée ultérieurement. Dans ces informations, qu’est-ce qui relève du bruit et qu’est-ce qui constitue un signal essentiel ? Cela rend la lecture aussi ludique qu’addictive par le réflexe participatif qu’elle provoque mécaniquement chez le lecteur. Le dessinateur s’avère tout aussi habile à intégrer un élément visuel de manière négligée, induisant également des tentatives d’identification des schémas chez le lecteur : la case avec les quatre verres vides sur une table (Ah oui d’accord, les trafiquants sont quatre), les passagers sur le ferry, les anonymes dans la rue, les graffitis sur les murs, faut-il prendre le temps de les examiner pour les mémoriser ? Les animaux dans la vitrine du taxidermiste ? Les photographies au mur de la grande salle de l’auberge de La vache Brûlée ? Pour ces dernières, c’est facile, grâce à l’insistance du regard de Romane Mertens. La mention de la mère d’Arno Cavaliéri ? Et pourquoi pas le port de lunettes de soleil par Franck Sangaré ? Après tout, chaque détail peut être signifiant, en application du principe du fusil de Tchekhov.



Dans le même temps, le lecteur peut très bien prendre l’histoire au premier degré, sans se prêter au jeu des indices qui sont peut-être signifiants, ou peut-être pas. Il suit alors Franck Sangaré dans une enquête pour retrouver un jeune homme disparu, un monsieur pas commode, assez sec, très capable d’intimider et de recourir à la violence quand il le faut, faillible (il se fait avoir deux fois avec un coup asséné sur la tête par derrière), une femme qui l’assiste quand elle peut (avant de se fouler la cheville). De rencontre en entretien, ils côtoient des individus issus de différentes couches de la société, et ils mettent leur nez dans des petites combines et dans des gros coups, faisant apparaître au grand jour les véritables intérêts qui façonnent la ville de Saint-Elme, un vrai polar.



Bienvenu à Saint-Elme pour enquêter sur la disparition d’Arno Cavaliéri, une petite ville thermale, avec une population de grenouilles anormalement élevée. La narration visuelle jette littéralement un éclairage inhabituel sur les scènes nocturnes et manie les zones de noir pour donner plus de profondeur à l’étrangeté et au mystère. Les auteurs sont des maîtres en matière de bizarreries, entre indices et altérité inquiétante, le lecteur se retrouvant implacablement à jouer aux devinettes entre signifiant, métaphore, et indices.
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Saint-Elme, tome 4 : L'oeil dans le dos

C'est vraiment de ces bd dont on devrait attendre l'intégrale pour les lire. C'est stressant, car on sent bien qu'il y a plusieurs intrigues qui vont bien finir par se rassembler et l'attente du dénouement est insupportable, bon j'exagère, mais c'est énervant car enfin les tomes sont courts et cela donne a penser que l'auteur nous en rajoute alors que ce n'est certainement pas le cas, mais voilà c'est énervant ;-)
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Saint-Elme, tome 5 : Les Thermopyles

Aujourd’hui, l’heure sonne de la conclusion de ce long délire narratif et graphique dont on saluera la folle audace sans se faire prier.
Lien : https://www.tdg.ch/notre-sel..
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Saint-Elme, tome 4 : L'oeil dans le dos

Il n'est pas très aisé de lire une série lorsqu'on débute par le quatrième tome. On ne connaît ni les personnages et ni le contexte. On se laisse porter en acceptant de ne pas avoir toutes les références. Les personnages forts ne manquent pas. Une enfant arrive et semble être quelqu'un de clé avec son étrange tatouage dans le dos. Elle fait partie d'une galerie où l'on trouve des personnages décalés, charismatiques, loufoques, addictes, stratégiques, menteurs... Le tout avec son lot de bizarre, magique et captivant. Un homme va t'il se transformer en loup garou? Le motif de l'oeil est-il annonciateur de quelque chose de tragique? Le derviche à l'aspect ahuri cache un étrange passé, lequel? Par conséquent, nous avons un lot de cadavres et d'actions pour en augmenter le nombre. On pourrait se demande ce que fait la police. Pour l'instant, pas grand-chose.



Le graphisme est très standard et très lisible. Les couleurs par contre elle montre de l'audace. On a des mélanges de teintes utilisées avec beaucoup d'ingéniosité qui oscille avec flashy ainsi que dense et sombre. La mise en page est dynamique avec des changements plans permettant de créer du s'immerger dedans. Tout a été très bien construit et sans rien laisser de côté. On sent qu'il y a eu un vrai travail et une collaboration bienveillante. Donc il va falloir tout relire dans l'ordre et jusqu'au bout.
Lien : https://22h05ruedesdames.com..
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Saint-Elme, tome 4 : L'oeil dans le dos

Roland Sax est mort. Tout l'équilibre financier de la ville vacille. Qui va reprendre les rênes du pouvoir de Saint-Elme ? Pour gérer la transition, le patriarche arrive : Mazur, tout en rides, prend les choses en main et distribue les rôles. Pas question de lui dire non. Derrière son sourire carnassier, on ne sent aucune pitié.



Depuis le début, lors des trois tomes précédents (La Vache brûlée, L'Avenir de la famille et le Porteur de mauvaises nouvelles), les auteurs ont mis en place de nombreux personnages, de nombreux arcs narratifs. Et le lien entre eux tous, au premier abord, n'étaient pas évident. Mais là, l'étau se resserre, les trous se comblent. On commence à entrevoir des pistes de résolution. Et il est temps : la série Saint-Elme doit se terminer dans un dernier (et j'imagine explosif) volume. le cinquième.



La famille Sax, qui domine le village et son économie, se trouve donc réunie dans son entier pour l'enterrement de Roland. Y compris Mazur, le patriarche au visage creusé de rides tels des canyons impitoyables. Comme son caractère d'ailleurs : tout ce qui se trouve sur son chemin doit être immédiatement et définitivement écrasé. de leur côté, Romane et Paco découvrent la jeune fille qui était à l'origine du premier bain de sang. Celle qui a un signe sur le dos qu'elle reproduit sur les vitres, dans la buée, en espérant que son père vienne ainsi la chercher. Celle qui donne son titre à cet album, puisque le dessin représente bien un oeil ouvert. Philippe, lui, reste ici en retrait, car il voudrait bien partir. La présence de Mazur l'inquiète, à juste titre semble-t-il. Mais son frère s'accroche. Il revient au centre de l'histoire, avec sa silhouette longiligne toute de bandelettes. Quand tous ces personnages seront réunis, le cocktail risque d'être détonnant !



La magie, ou en tout cas des présences étranges, des manifestations surprenantes, n'est pas en reste. Plus de grenouilles (ou presque : une petite page 40, qui lance un modeste « coâ » et une autre qui se blesse sur un pare-brise page 21), mais on reste dans le vert, avec les yeux du chien de Mazur, terrifiant. Également avec les yeux de la momie, autrement dit Franck, terriblement brûlé et depuis recouvert de bandelettes. Cela ne l'empêche pas de marcher. Et, surtout, cela lui donne une furieuse envie de se venger. Quand son frère appelle à la prudence et au départ, il refuse. Il ne laissera pas sa douleur impunie.



Mais il ne faut pas oublier la femme avec laquelle dialogue le père de Romane. Tout le monde le croit fou car il est le seul à la voir. Enfin, peut-être pas, finalement. Encore une part de fantastique dans cette BD qui pourtant tire davantage vers le polar. Avec ses truands, aux ordres d'une famille composée de cinglés (le fils est un drogué qui joue avec les explosifs comme s'ils n'étaient que des jouets et n'hésite pas à les utiliser dès que quelqu'un l'ennuie, par exemple). Avec ses tueurs qui ne respectent pas les règles, comme le derviche, que décidément Mazur n'aime pas et tente de mettre en difficulté. Avec ses luttes de pouvoir. Avec ses victimes, enlevées, blessées, tuées. Mais un polar qui joue aussi sur la dérision : Stan, le fils Sax, est un gros loser, qui rate tout ce qu'il entreprend et se retrouve dans des situations ridicules, comme lors de l'enterrement de son père (j'aime ses yeux pleins de flammes page 64). Un vrai pied nickelé.



Certaines planches m'ont fait penser à Hillbilly (j'ai lu et chroniqué les tomes 1 et 2) d'Eric Powell. Non pas pour les couleurs qui, chez l'Américain sont plutôt dans les tons pastel alors que Frederik Peeters n'hésite pas à utiliser des verts ou des bleus fluo. Plutôt pour l'uniformité chromatique de quelques pages. La nuit emplit la page 42 de plages bleu ou violette. La nuit passionnée de Paco et Romane teinte les cases de violet et de rose.



Pour le reste, le dessinateur aime les gros plans sur les yeux, qu'ils soient pleins de haine ou pleins de terreur, d'inquiétude ou de certitude. Ils nous informent davantage que les paroles, parfois. Et le trait n'hésite pas à frôler la caricature. Mais cela correspond tout à fait au scénario, aux personnages, entiers, tranchés.



Les Thermopyles, cinquième et dernier tome de Saint-Elme est paru en janvier. Les auteurs ont eu la gentillesse de raccourcir la durée de parution entre deux volumes. Qu'ils en soient remerciés. Car L'oeil dans le dos donne vraiment envie de connaître le dénouement, maintenant que tout est bien mis en place. Je veux assister à l'explosion finale, à la rencontre ultime dans la ville où tout est spécial.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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