AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Adeline Fleury (117)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Le Ciel en sa fureur

Cela démarre fort, très fort, avec un saisissant incipit qui voit pleuvoir des grenouilles et des crapauds sous les yeux sidérés des habitants d'un village du Cotentin, plaie biblique qui semble annonciatrice d'une apocalypse à venir, très terre à terre, elle, en l'occurence des animaux retrouvés mutilés.



La formidable réussite de ce roman passe par la scénographie d'une ambiance magnétique qui scotche complètement le lecteur à un récit ancré au plus profond de lieu qu'on croirait sorti d'un conte : des dunes, de la brume, de la pluie, un ciel menaçant, une mer houleuse, mais aussi une Lande des Morts, un ruisseau aux rats ou encore une fontaine aux fées. Mais ici, rien de bucolique ou de charmant, tout est rugueux, tendu et oppressant.



« Cette terre normande est parcourue d'ondes étranges, d'énergies contradictoires qui fragilisent les nouveaux arrivants, les secouent, font vaciller leur rationalité. Depuis leur arrivée au village, les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être autant attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture. »



Adeline Fleury assume totalement le recours au réalisme magique, créant un récit à la fois très humain dans ce qu'il dit des violences tues dans des secrets quasi ancestraux, et terriblement irrationnel. L'enquête pour découvrir qui a mutilé les animaux se mâtine de légendes normandes, convoquant le Varou, les goubelins, les enfants-fées, enchaînant les événements étranges. Et jusqu'au bout, on ne sait si l'autrice va choisir une résolution réaliste ou ouvrir sur une perspective fantastique.



La porosité entre la réalité et les légendes réveille des peurs presque enfantines, on sent comme des présences invisibles flottées entre les pages. D'autant que la langue déployée est d'une grande richesse, gorgée d'adjectifs, en symbiose absolue avec ce qui est raconté, prenant parfois son temps à se déployer dans un lyrisme organique et sensoriel, pour ensuite s'accélérer dans une nervosité de thriller.



La construction est travaillée de telle façon à nourrir l'intérêt et la surprise du lecteur. Chaque fin de chapitre appelle le début du suivant avec subtilité et addiction, chaque personnage introduit est utile pour enrichir un fil narratif très polar, véritables catalyseurs de l'intrigue. Et ils sont tous formidables, ils ont des corps, des émotions, des secrets, des blessures, on les voit, on les entend, qu'on les comprenne ou pas, tant ils sont incarnés au possible.



A commencer par la Grande Stéphane. Personnage génial de femme puissante et faillible, cette citadine a fuit ses démons en se disant qu'elle s'épanouirait dans ce village normand où elle est installée en tant que maréchale-ferrante. Mais son métier, identifiée comme masculin, ainsi que son physique imposant, détonnent et la rendent forcément suspecte dans cette communauté rurale déjà fracturé entre les agriculteurs là depuis toujours et « ceux des lotissements », les habitants récents.



« Une chose est certaine, ce bout du terre entre campagne rude et mer menaçante appartient à un seul petit groupe, dont elle ne fera jamais partie. Ce cap des tempêtes et ces champs humides, venteux et boueux ne se laissent pas apprivoiser facilement. Les nouveaux venus devront toujours, éternellement, impérativement, sans échappatoire, payer une taxe à ceux qui y sont nés, n'en sont jamais partis et n'en partiront jamais. Ceux-là appartiennent à ce territoire jamais il ne se posent la question « quel est mon pays », les âmes et les corps chevillés aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit et de grès près des falaises. Ceux des villes peineront à comprendre, ils auront beau s'enticher de cette campagne, la terre leur balancera son hostilité et sa sauvagerie à la gueule. La beauté tyrannique et implacable des paysages les accablera. La mélancolie les gagnera peu à peu, puis le désespoir. »



Un roman à l'aura puissante, porté par une histoire et une écriture charismatiques, jusqu'au somptueux épilogue.









Commenter  J’apprécie          12028
Le Ciel en sa fureur

Ce conte gothique nous plonge dans une ambiance ensorcelante teintée de réalisme magique, dans un enchainement haletant de thriller campagnard, rythmé par la monstruosité des hommes. Atmosphère Atmosphère…



Adeline Fleury campe son histoire sur un territoire situé entre campagne rude et mer menaçante du côté de la Normandie. A priori une bourgade comme il en existe tant entre mer et champs, avec ses fermes, son église, son bar, ses habitants taiseux et rugueux. Mais c’est ici un territoire qui ancre solidement les âmes et les corps aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit près des falaises. Un territoire hostile et sauvage qui mord et rejette celles et ceux qui viennent d’ailleurs, les citadins notamment, qui menacent ceux qui vivent dans ses lisières, celles et ceux du lotissement. Entre cap et des tempêtes et champs boueux et marécageux, un territoire qui ne s’apprivoise pas facilement.



« Ici, les vagues et les landes rivalisent pour faire sentir aux hommes qu’ils sont attachés à quelque chose de lourd ».



De sa plume envoutante, l’auteure saupoudre sur ce territoire rude superstitions fantasmagoriques et légendes, peuplées de monstres, de varous, d’enfants-fées, d’un géant et de goubelins aussi effrayants que les mouches, araignées, orvets, crabes, serpents et asticots qui débordent de toute part et dégagent, des tas de fumier, des marécages, des maisons abandonnés mais aussi des cauchemars, les relents pestilentiels, âcres et puissants de cette campagne mystérieuse.

Ces éléments combinées, entrelacés, produisent une ambiance gothique, des ondes étranges, des énergies contradictoires faisant vaciller toute rationalité alors qu’en même temps nous sommes dans ce qu’il y a de plus humain, dans les bassesses et lâchetés humaines les plus inavouables. Car ne nous méprenons pas, ce sont les hommes qui produisent les monstres, ceux-là même qu’ils tentent ensuite de combattre, eux qui produisent des solitudes et des drames dont les conséquences retombent sur des générations et des générations d’habitants à l’origine des légendes et des croyances irrationnelles.

Ce balancement perpétuel du récit entre réalisme magique et psychologie humaine rend la lecture addictive et étrange, ne sachant jamais vers quoi nous amène l’auteure, coincés que nous sommes entre curiosité, cauchemar et légendes…Seule certitude plane l’ombre glaciale de la vengeance…





L’histoire débute de façon très impressionnante au sein du lotissement qui jouxte le village. Tel un message biblique de mauvais augure, il y pleut des crapauds. Une des plaies d’Egypte dans l’Exode. Notons au passage que la façon froide, mécanique, presque cynique, de décrire le lotissement juste avant le drame, sorte de lisière qui n’est ni la campagne ni la ville, comme avait également superbement décrit Olivier Adam dans Les lisières, ce déterminisme social, m’a tout de suite plu tant je suis fascinée par ces entre-deux, par ces gens ni paysans, ni citadins, « on ne sait pas trop ce qu’ils sont d’ailleurs », sans vraiment d’identité, ils semblent se ressembler tous avec leurs maisons identiques à un étage à la façade beige et au portail bordeaux, aux portes de garage bordeaux assorties car le bordeaux ça fait noble, c’est élégant…



« Ceux du lotissement ont un quotidien réglé comme du papier à musique. Ils vivent à la campagne sans en profiter, enfermés dans leur maison témoin, leur voiture témoin et leur sexualité témoin, celle du samedi soir conjugal ».



Cette pluie de crapauds laissant les routes et les chemins visqueux et gluants est prémonitoire d’un drame à venir. Et en effet, au sein du village, il se passe également des choses étranges. Un cheval des jumeaux Bellay a été blessé de façon sauvage et Julia, jeune vétérinaire, certifie qu'aucun animal n'a pu infliger les blessures constatées. Le bélier noir de Sylvie a été tué de façon mystérieuse. Une vache venant de vêler a vu son pis sectionné. Les villageois affirment que le Varou est revenu pour s'abreuver du sang des bêtes. Les atrocités se multiplient et le petit Levavasseur, surnommé l'enfant-fée, si curieux avec sa tête disproportionnée, son visage précocement ridé, et son regard bleu acier, disparaît après avoir été vu préalablement sur toutes les scènes où les agressions ont été commises. La grande Stéphane, Guillaume, journaliste, et une vieille femme, une rebouteuse, s'allient pour enquêter.





J’ai beaucoup aimé la plume de l’auteure qui s’adapte à merveille à son récit, offrant par moment des plans fixes quasi cinématographiques d’une beauté noire à couper le souffle, dans lesquels le temps est suspendu, puis accélérant aussitôt quelques lignes plus loin pour mener à bien le thriller.

« Le vent a chassé les nuages gris et pesants, le soleil assèche peu à peu les terres et le bitume. Le clocher en bâtière de l’église se révèle en haut de la côte. Les femmes se terrent dans leurs demeures, Battut en distingue certaines tirant discrètement les rideaux sur leur passage. Seule Lili erre au milieu de la place. Elle traîne derrière elle un cabas duquel dépassent des pieds de poupées, une petite chaussure tombée sur les pavés ».



Le roman est un décliné de noir, de sépia, de gris avec son ciel poisseux et bas, sa lande sombre, son océan d’un bleu foncé froid, ses marécages marronnasses d’où débordent des orvets noirs, son crachin qui décolore le village dans toutes les nuances de gris. Les éléments tels qu’ils sont décrits, que ce soit la lune, les marécages, les dunes, l’océan, la maison abandonnée donnent l’impression de lire un conte.

« La lune est énorme. Elle habille de blanc les marécages brumeux. Elle les enveloppe d’un voile laiteux. Pas un animal ne bouge, aucun souffle de vent ne meut les végétaux, tout semble se figer sur le passage du géant. Il a terminé sa course. Il est immobile. Sa rage aussi. Elle est bloquée dans sa large poitrine. Intacte et cruelle. Comme un poignard fiché là depuis toujours. Une éternité déjà ».

Notons également des chapitres bien travaillés, chaque fin de chapitre est bien aboutie et comporte du suspense de façon à avoir envie de continuer avec le chapitre suivant. Quelques passages en italiques donnent une dimension fantastique au récit et interpellent grandement le lecteur. Et soulignons surtout des personnages croqués avec délicatesse et justesse, deux personnages m’ont particulièrement marquée, celui de la Vieille et de la grande Stéphane, deux femmes puissantes aux antipodes des archétypes féminins habituels qui fait de ce roman un livre résolument féministe.





Le ciel en sa fureur est un roman particulièrement envoutant par son côté conte, ensorcelant par son ambiance magnétique et gothique, haletant par sa facette thriller, angoissant par sa noirceur, mais dans lequel le réalisme magique apporte des touches de poésie lumineuses très émouvantes. Un livre percutant doté d’une étrange aura ! A découvrir ! Merci à Marie-Laure (@Kirzy) dont la magnifique critique enthousiaste m’a, comme si souvent, convaincue de me le procurer immédiatement !





Commenter  J’apprécie          8231
Le Ciel en sa fureur

Le village n’est pas seulement un assemblage de batisses qui abritent des familles ordinaires. Il est fait de son histoire et de ses légendes. De ses non-dits aussi, d’un passé obscur que l’on préfère enfouir sous des tombereaux de silence, pour s’emparer de nouveaux combats.

Mais rien de plus efficace qu’un enfant pour s’acharner sur un mystère à élucider. Ou une jeune femme que la violence de la ville a chassée.





Une galerie de personnages issus de contes d’antan, de la sorcière bienveillante au prêtre sulfureux, des enfants-fée ou des enfants bourreaux, et des êtres atteints d’une folie douce qui pourrait bien trouver son origine dans la noirceur des faits oubliés.





Une ambiance étrange à souhait et la curiosité de comprendre ce qui plane au dessus de ce village maudit créent une addiction quasi immédiate : difficile de renoncer à quelques pages de plus, voire de dévorer l’ensemble jusqu’à la fin.



Un excellent moment de lecture pour lequel je remercie Babelio et les éditions de L’Observatoire





205 pages L’Observatoire 3 janvier 2024

Masse critique Babelio
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          570
Le Ciel en sa fureur

Genre: Pluie de crapauds



Je sors le parapluie, je ne sais pas trop ce qu’il va pleuvoir : des enclumes, des pommiers, des invectives, des centrales nucléaires, des catamarans, du beurre salé ou des agneaux de pré-salé ? Les sardines sont déjà prises par Murakami.

Je précise que je ne hais point le Cotentin et les cotentinois(es), que je suis un fan absolu des critiques de Marie-Laure (@Kirzy), de Chrystèle (@HordeDucontrevent), de Télérama et du Monde de livres mais que je dois être honnête avec moi-même :

Je suis passé totalement à coté de ce livre. Je ne l’ai pas juste frôlé, je suis passé à des années-lumières.

J’adore le réalisme-magique (j’ai été biberonné aux meilleurs sud-américains et japonais du genre), je ne refuse pas une goutte de calvados, j’ai des souvenirs émus (et mouillés…) du Nez de Jobourg etc.

Force est de constater que dés l’incipit, j’ai su que j’allais m’empoisser dans ce récit gothico-biblique subtilement ancré dans les contes et légendes locales.

Ma déception a été à la hauteur de mon intérêt pour la chose. En 1977, Jeanne Favret-Saada publiait son fameux: « Les Mots, la morts, les Sorts » où l’ethnologue décrivait les pratiques de sorcellerie et les croyances dans le bocage mayennais et j’avais adoré son implication, sa conclusion maligne : on y croit ou on reste ethnologue. Il n’y a pas d’alternative.

Adeline Fleury a l’adjectif qui va bien et la plume funky. Je dois lui reconnaitre une parfaite maitrise des tempos (tempi) avec ses fougueuses accélérations et ses ralentissements qui frisent l’enlisement (boueux).

Ce qui m’a posé problème c’est justement le parti-pris de l’auteure de laisser au lecteur le choix d’une double lecture : ici le réalisme magique serait compatible avec la magie du Réel. Mais le Réél de Le Ciel en sa Fureur n’est que tragédie absolue. Tout n’est que violence, vengeance et cruauté, une micro-version normande de Crime et Châtiment. Les fluides funestes se répandent sur une humanité désolée.

L’histoire de ce village perdu entre dunes, mer houleuse et sombre, falaises menaçantes, ruisseau aux rats et forêts occultes se dilue dans une sorte d’anti-banalité du Mal. Il y sera question de secrets rapidement éventés, d’organismes mutilés (vache, cheval, mouton…) et donc de la vengeance d’un certain géant que tente d’humaniser un enfant-fée.

On fera donc connaissance avec le Varou, les Gobelins et les fêtets.

On écrasera lombrics, asticots, grenouilles, anguilles, orvets et serpents de toute sorte.

On pataugera dans la boue, le fumier, les marécages.

Les personnages sont tous moins attachants les uns que les autres ( à part l’immense maréchale-ferrante qui distille ici ou là un brin d’amour et d’amitié), les enfants du lotissement sont odieux.

Tout n’est que sauvagerie, rugosité, âpreté.

L’épilogue est particulièrement visqueux mais on en a bien assez dit :

Je croyais être passé à coté mais c’est faux : ce récit m’a englouti, corps et âme.

Commenter  J’apprécie          5338
Le Ciel en sa fureur

Si vous avez des douleurs ou tout autre chose, rendez-vous dans le Cotentin chez la Vieille, la porte est toujours ouverte, pas besoin de sonner ni de frapper. Elle est toujours là. Un peu rebouteuse, magnétiseuse, sorcière, à la sortie on se sent mieux. On ne la trouve pas dans l’annuaire, le bouche à oreilles fonctionne très bien. Elle est devenue légende. Elle possède un fluide, elle coupe le feu, remet les os en place, dénoue les muscles, juste en approchant les mains. Un don qui se transmet dans la famille. Il ne fallait surtout pas craindre les mouches, les odeurs de chien mouillé, les fientes de poules. Elle soigne les jeunes, les vieux, les cas désespérés, les hypocondriaques, les âmes tourmentées, les peines de cœur, ça défile.



On nous parle aussi de deux institutrices aimées par leurs élèves, mais si vous veniez emprunter un livre ou jouer derrière la maison, vous entendiez de drôles de bruits, personne ne savait ce que c’était, personne ne voulait savoir, ceux qui entendaient devaient se taire.



Quand Julia et Stéphane viennent s’installer en tant que vétérinaire et maréchale-ferrante, on se méfie d’elles, elles viennent de la ville, elles pratiquent des métiers d’hommes.



Ces deux jeunes femmes feront connaissance avec un village où règne une ambiance lourde, empreint de légendes, de superstitions, où la présence de Goubelins, d’enfants-fées, de varous, d’un géant qui hante la forêt, les marécages, les falaises. Un malaise s’installe, s’insinue dans les moindres recoins, des ombres planent, on regarde derrière soi. Les cauchemars sont faits d’araignées, de serpents, de limaces et pour clore ce tableau déjà très obscur, une pluie de crapauds s’abat sur "ceux du lotissement", c’est certain quelque chose de terrible va arriver.



Derrière, Le Ciel en sa fureur de Adeline Fleury, il y a de la souffrance, des secrets qu’on n’accepte pas et qu’on veut cacher. Un conte bien noir, une lecture qui ne m’a pas déplut puisque je voulais connaitre la fin.



Merci à Kirzy, qui m’emmène vers des livres que je n’aurais peut-être pas ouverts. De beaux avis, comme ceux de HordeDuContrevent, Kittiwake et d’autres m’ont poussé à la curiosité et je les en remercie.



Commenter  J’apprécie          4631
Le Ciel en sa fureur

Attention ! Lecteurs cartésiens, attachés à situer les livres dans des cases bien précises, habitants du beau Cotentin ou sensibles à la souffrance animale, possiblement s'abstenir !

Le ciel en sa fureur, dernier de mes coups de cœur, est un roman totalement inclassable. Je découvre à cette occasion sa jeune autrice, Adeline Fleury, que j’ai eu le plaisir de rencontrer l’autre jour, elle était invitée avec son éditrice des éditions de l’Observatoire par mes libraires préférées.

Tout semblerait partir d’un fait divers sordide, quelque chose qui m’a rappelé ce qui arriva dans certaines de nos campagnes il y a très peu de temps, une vague de mutilations portées sur des chevaux. Ici ce qu'on a fait au cheval des jumeaux Bellay relève d’une barbarie sans nom…

Tout commence ainsi.

Le récit qui pourrait prendre le chemin de cette chronique ordinaire horrible, n’en fait pas pour autant le ressort narratif, qui est ailleurs.

Ailleurs, c’est déjà un territoire, son paysage.

Une anse au bout du monde, un endroit perdu dans le Cotentin profond. C’est un village de taiseux entouré de mers, de marécages et de légendes, un décor qui contient dans la vase et la boue qui l’entourent peut-être un secret ancien, encore enfoui.

Imaginez ici un lotissement qui s’est construit à l’orée d’un village rural.

Sur ce territoire, l’autrice pose des personnages et des odeurs.

Dans ce lotissement, des habitants uniformes évoluent tels des playmobils, ils sont anonymes sans jamais être au cœur du roman, ou presque. Ils vivent les uns à côté des autres mais pas ensemble.

Les personnages de ce roman, ce sont des femmes, des hommes, des charognards, des êtres maléfiques…

Deux figures féminines vont se détacher par le désir amoureux de l’une pour l’autre : la grande Stéphane, homosexuelle assumée, maréchale-ferrante et Julia vétérinaire, exerçant toutes deux des métiers d’hommes. Elles viennent de la ville, chacune porte des blessures, la sociologie qui adore classer les gens les appelle des néo-rurales.

J'ai aimé entrer dans le sillage de ces deux personnages. Dans ce village marqué par les traditions et les croyances anciennes, elles font figure d’anomalies, voire d’anormalité. Pourtant, à l’inverse des gens du lotissement elles cherchent à s’intégrer au sein de la communauté du village, malgré leur différence, elles ont fait le choix d'y habiter, d'y travailler.

J'ai aimé l'effleurement d’amour entre ces deux femmes éprises de désirs, de sororité.

D’autres personnages comme surgis d'un conte gothique viennent dans cette farandole étonnante, ils ne sont jamais nommés.

Un garçon blond, hypersensible.

L’étranger au bout du chemin, la peur de l’autre,

La vieille.

La femme qui va tenir le bistrot.

La fille du lotissement 13.

Un enfant-fée...

Et puis aussi des crabes, des araignées, des rats, des goubelins, des asticots, des maquereaux qui frôlent les jambes de la grande Stéphane qui se baigne dans l'eau d'une plage solitaire le matin, tandis que que quelqu’un là-haut depuis la dune écarte les hautes herbes pour l’observer.

Le personnage principal n’est peut-être rien d’autre que la géographie du territoire où gisent ces pages.

Tout le monde se regarde avec suspicion. Les drames qui s’opèrent dans le livre sont des drames anciens, qui se répètent avec désormais la difficulté de vivre ensemble.

Le côté thriller nous tient d’emblée en haleine, mais les personnages semblent liés à autre chose. Alors, Adeline Fleury, déjouant les codes narratifs, nous entraîne ailleurs, entre réel et surnaturel, dans un réalisme magique porté par un souffle romanesque envoûtant et par une écriture poétique posée sur de la noirceur, qui m'ont ébloui tout au long du récit.

Le roman tient dans cette dislocation entre le réel et le surnaturel. L’autrice ne tranche jamais et je lui rends grâce.

C'est sans doute ce qui pourrait déconcerter furieusement le lecteur, le surprendre parfois au bord des dunes pour le plus grand plaisir de ce paysage envoûtant.

C’est un texte ancré dans le réel et hanté par la magie d’un lieu, d’une rencontre, d'une histoire.

L’autrice ouvre une brèche, nous perce un chemin dans des pages souterraines, offre plusieurs pistes, plusieurs lectures, réussit un défi, rendant impossible de situer son roman dans un endroit quelque part entre littérature blanche et noire. Propose-t-elle de passer d’un registre à l’autre, comme on ouvre des portes passant d'une pièce à l'autre ? Non, car tout est cela en même temps.

Il y a une violence qui traverse les pages de ce livre, la fureur d’un ciel renversé, un retour primaire, presque légendaire, des croyances surnaturelles. C’est un texte possédé comme si on avait jeté un sort à la terre.

Ce roman est une fresque d’humanité à sa manière. La dimension onirique, à la frontière du fantastique, est un prétexte, pour convoquer des thèmes fort actuels, nous aidant à comprendre le monde qui nous entoure de manière elliptique.

L’autrice ne nous dit jamais quand ni où nous sommes. Qu'importe l'absence de repères temporels, puisque les thématiques sont actuelles et seront encore là dans six ou quinze ans.

Adeline Fleury me rappelle qu’en littérature j’aime qu’un écrivain me raconte une histoire, j'aime que la littérature puisse tenter de nous guérir de la mélancolie et du désarroi du monde, pour peu que le texte me dise quelque chose aussi.

Ce texte pourrait relever de l'exercice de style s'il n'y avait pas autre chose de plus profond : en convoquant des pluies de crapauds et des êtres maléfique, Adeline Fleury ne parle jamais aussi bien du déterminisme social, de la soumission, de la question de la norme, de la différence, du rejet de l'autre, du poids des secrets et de la vengeance...

Adeline Fleury vient par ce roman insaisissable casser les codes de la littérature française et ses règles un peu rigides. Elle fait place nette au récit et cela fait du bien.

Il y a une voix, des voix dans ce texte et j’ai l’impression de les avoir entendues en refermant ce livre, de les entendre encore, dans l'agonie du vent du large.

Il pourra continuer à pleuvoir des crapauds et des orvets, je m'en remets désormais à la volonté de cette autrice, au pouvoir des mots et de son imaginaire. Adeline Fleury me rappelle que c'est dans la vase des étangs et des marécages que naissent les libellules.
Commenter  J’apprécie          4147
Rien que des mots

"- Mais, les mots ne sont pas morts, tu le sais bien. Tout a été conservé dans les Linums et dans les ordinateurs. Rien n'a été effacé...

-Ce sont des machines démoniaques, capables de réécrire les livres, de dévorer les mots, de les interpréter, de dénaturer leur sens premier afin de mieux nous manipuler. Les machines ont pris le pouvoir ! oh, Seigneur, qu'avons-nous fait ? Il faut dire au petit de quoi nous l'avons privé. Lui, il m'aidera dans mon entreprise de retour au papier, à l'écrit, au manuscrit ! " (p. 99)



Dans notre avenir ressemblant à notre futur proche, Adèle, journaliste, grande lectrice, fille et femme d'écrivain décide d'éloigner son unique fils, loin de l'écriture et de tout livre... Pour échapper à la malédiction familiale des mots, elle va jusqu'à détruire une grande partie des bibliothèques conjugale et personnelle ...Allant jusqu'à offrir un piano pour l'un des anniversaires de son fils, se méfiant moins de "Dame Musique "que de "Dame Littérature"....



Ce petit garçon couvé, isolé du monde des mots et du monde, en général, au demeurant docile, ira malgré les interdictions maternelles vers la langue, l'écriture ainsi que vers la lecture; lecture clandestine des ouvrages de son "pépé", auteur d'ouvrages historiques, ainsi que ceux de son "paternel", lui aussi, écrivain....



Une fiction par moments terrifiante, critique qui "caricature" à peine notre hyper-modernité, qui, au final nous offre une ode époustouflante au Livre, sous toutes les latitudes, aux plaisirs multiples qu'il engendre: sensoriels comme intellectuels....

Un "enfant-mots"... qui soignera, mettra à l'abri les vieux livres...et la chaîne de la transmission, du partage des mots repartira de plus belle ...
Commenter  J’apprécie          380
Ida n'existe pas

[RENTREE LITTERAIRE]

« Ida n’existe pas » est le sixième livre d’Adeline Fleury et pour moi le premier que je découvre de cette auteure. Ce petit roman d’environ 150 pages est inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé en 2013 à Berck-sur-mer. Un pêcheur a découvert une enfant de 15 mois morte sur la plage. Elle avait été déposée et abandonnée par sa mère au moment où la marée montait. On commence le livre par la découverte de l’enfant puis l’auteur remonte le fil des évènements pour comprendre comment on a pu en arriver à commettre un tel geste. Dans le roman, la mère n’a pas eu une enfance facile, rejetée par sa famille car trop différente d’eux de part sa couleur de peau et son intelligence. Elle est maltraitée, abusée. Son mariage n’est pas idyllique, une maternité compliquée, le rapport à son corps difficile… Les mots sont puissants, intenses, bruts, le récit émouvant, il prend aux tripes. Elle aime Ida autant qu’elle la hait. L’auteure arrive vraiment à retranscrire la puissance, la violence de ses sentiments. Le voyage qu’elle va entreprendre est devenu vital, libérateur…

Vous pouvez le retrouver en librairie le 20 aout

Commenter  J’apprécie          340
Les frénétiques

J’ai eu un énorme de cœur pour ce roman choisi par hasard, sans en connaître le sujet et pas d’avantage l’auteure.

Dès les premières lignes j’ai été happée par une écriture incroyable de précision dans la description de la dépendance amoureuse à travers l’histoire de deux femmes.

Tout commence par la chute mortelle d’une femme sur les rochers, sous l’œil affolé des touristes.

Comment est-elle morte ? Accident, suicide, meurtre ? Toutes ces interrogations sont non seulement laissées de côté, mais carrément oubliées car dès le premier chapitre Adeline Fleury nous présente les trois principaux personnages de cette histoire. Nous n’y reviendrons qu’à la fin du roman.

Ada est en vacances sur une île au large de Naples avec Nino, son fils de dix ans. Lorsque son regard se pose sur la jeune fille à la crinière couleur de feu allongée au bord de la piscine, tout semble de dissoudre, comme si elle seule occupait l’espace.

« La créature brandit sa beauté et sa jeunesse. C’est indécent comme elle est belle. »

Eva n’est pas seulement belle, elle semble détenir un pouvoir magique sur les êtres, hommes ou femmes qui croisent son chemin.

Sûre d’elle, elle aime provoquer, dominer, jouer avec les sentiments.

Au fil du récit, nous découvrons la perversité de cette Lolita narcissique et venimeuse qui jette son dévolu sur Ada, jusqu’à en faire son jouet.

J’ai été envoutée par l’écriture d’Adeline Fleury.

Tout est décrit avec minutie. L’amour éperdu d’une femme, la perversité d’une autre, l’innocence d’un enfant témoin d’une situation qui le dépasse.

La nature, la mer, la chaleur qui colle aux corps tiennent une place entière dans ce roman.

Une très grande réussite dont on parle malheureusement bien peu.



Commenter  J’apprécie          290
Les frénétiques

Ada a besoin de prendre des vacances, par rapport au travail, par rapport à la vie à la capitale, mais aussi par rapport aux hommes. Elle part sur cette île italienne avec son fils. Ada va alors découvrir Eva : l'incendie est allumé, tous les gestes de la jeune fille volcanique ne sont plus que sensualité, espièglerie, chaleur. Elle n'est pas comme ça pourtant Ada, femme aux hommes. Va-t-elle succomber à cette diablesse ? Parce que résister est insupportable. Tout dans ce roman est sensualité exacerbée, une ode à la féminité, quand l'autrice parle de ces femmes, mais aussi de cette île, de ces vacances. Il fait chaud, très chaud. Et cette tension au fil des pages : cet amour sismique tient à pas grand chose, et on est préoccupé par ce qui pourrait le détruire, jusqu'au final surprenant.
Commenter  J’apprécie          260
Le Ciel en sa fureur

Comme un écho à l'une de mes dernières lectures,  il est ici aussi question de rebouteux. 



« La Vieille porte le monde dans les yeux, les catastrophes, les grandes découvertes, les guerres, les passions dévorantes. La succession des saisons, les migrations des oiseaux, l'éclosion des fleurs, la crue des rivières, les tempêtes et les grandes marées d'équinoxe. Cette femme-là n'est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie. »



Le fond est assez noir également et la balade normande dans cette contrée de légendes, balayée par les vents marins est loin d'être banale ; elle est toute autant envoûtante qu'inquiétante. 



Elle m'a plu cette escapade, même beaucoup plu. L'écriture est hypnotique, Adeline Fleury nous embarque facilement dans cette histoire d'enfants fées, intelligemment construite, elle maintient le suspense dans une valse maîtrisée entre passé et présent. 



Parmi cette belle palette de personnages proposée, je garderai  en mémoire, longtemps, ce colosse aux pieds d'argile,  un titan d'émotions et de sensibilité.



Lecture émouvante, intrigante, passionnante. 



« Les histoires de fées, ça permet d'enrober de merveilleux les vérités que l'on ne veut pas affronter. »



Commenter  J’apprécie          180
Le Ciel en sa fureur

"Le Ciel en sa fureur" d'Adeline Fleury (Les Éditions de l'Observatoire, 2024) est un récit dont l'intrigue possède un potentiel indéniable. Dès les premières pages, on est au seuil d'une histoire qui prometteuse. Malheureusement, l'exécution souffre de plusieurs défauts qui m'ont empêché de m'immerger pleinement dans le roman ; la promesse n'est pas tenue.



L'intrigue est, sinon ruinée, du moins freinée par des passages descriptifs qui m'ont paru superflus et sans réel impact. De plus, j'ai été agacé par une ambiance pseudo-intellectuelle, qui transparaît tout au long du livre, donnant l'impression d'une certaine arrogance et d'une propension à la bien-pensance.



Je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, ni à ressentir de l'empathie pour leurs destins. Leurs interactions m'ont semblé artificielles, et cette impression a été renforcée par la mention inutile de références telles que Gérard Depardieu et "Les Valseuses", qui ressemble davantage à un coup de griffes qu'à une nécessité narrative.



En conclusion, "Le Ciel en sa fureur" est une lecture qui n'a pas du tout convaincu, gâchée par un ton qui se veut intellectuel mais qui, en réalité, dessert l'histoire et ses personnages.



Michel




Lien : https://fureur-de-lire.blogs..
Commenter  J’apprécie          172
Rien que des mots

C'est un drôle de roman et, quelques jours après l'avoir terminé, je me demande si je l'ai aimé. Le thème (l'amour des livres, le pouvoir des mots...) m'intéresse au plus haut point et l'effort de l'auteure pour construire cette fable d'anticipation et parfaire sa démonstration mérite d'être remarqué. Certes, le trait est parfois appuyé mais c'est le jeu avec la forme choisie. L'auteure entreprend de décaler légèrement l'espace temps pour nous donner à voir ce que pourrait être un monde où le papier aurait complètement rendu les armes face et où la dématérialisation aurait gagné. Plus de journaux ou de livres à toucher, simplement des mots et des phrases qui défilent derrière un écran. Plus de journalistes mais une information pléthorique, ouverte à tous mais sans hiérarchisation, les livres relégués dans des musées... Ancienne journaliste, Adèle a tout arrêté un peu avant l'effondrement pour s'occuper de son fils Nino. Les livres, elle les connaît trop bien. Ils l'ont privée de l'attention d'un père écrivain enfermé avec ses mots et ils sont en train d'opérer le même enfermement avec Hugo son mari. Alors Adèle s'est juré de tenir Nino éloigné des livres et de briser cette malédiction qui enchaîne les membres de sa famille à la chose écrite. C'est oublier que les chiens ne font pas des chats...



Avec cette fable, l'auteure montre la difficile avancée de chacun vers une modernité nécessaire mais qui oblige parfois à se couper d'un héritage pourtant utile à la marche du monde. En imaginant que le support ne change rien au contenu, il semble que l'on se trompe... Et j'aurais tendance à être d'accord avec ce constat. Voilà, sur le fond je crois que j'ai aimé ce livre, c'est la forme qui ne m'a pas tout à fait convaincue. Il y a à la fois des trouvailles savoureuses (la crise de nerf généralisée des journalistes, l'éditeur qui opère un braquage de ses propres livres pour les soustraire à l'entreprise de destruction...) et des délires un peu trop gros.



Néanmoins, si je choisis d'en parler ici c'est que le propos est suffisamment intéressant et l'exercice de style sincère pour que ce livre rencontre son public. Ajoutons à cela une lecture fluide et agréable... Pour un premier roman, ce n'est déjà pas si mal.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          161
Le Ciel en sa fureur

J’ai adoré plonger dans ce roman d’atmosphère et de légendes normandes. Je ne suis pas normande, je ne connais rien aux légendes locales, mais j’ai aimé les découvrir.



J’ai aimé Marie, la mère de l’enfant-fée blond. Un petit garçon en marge qui connait tout sur tout, y compris les secrets anciens.



J’ai aimé la Vieille, la mère du p’tit Jojo, le précédent enfant-fée, mort tragiquement alors qu’il n’était pas encore adolescent.



J’ai aimé la grande Stephane, la maréchal-ferrant qui habite dans l’ancienne maison des soeurs qui cachaient un bien terrible secret.



J’ai aimé les paragraphes en italiques qui donnent la parole au Géant.



J’ai souri lorsque les gendarmes, les deux courts sur pattes, apparaissaient dans le récit.



J’ai aimé le journaliste Battut, ancien enfant du village, qui a peur des limaces après en avoir trop avalé de force au pensionnat.



Je n’ai pas aimé la fillette du pavillon numéro 13 : sa façon de diriger la bande des enfants du Lotissement, de les maltraiter parfois.



J’ai aimé les animaux qui peuplent le récit : les orvets, les limaces, les chevaux et les animaux de la ferme, les rapaces. J’ai aimé la nature omniprésente : ses vallons, la mer pas loin.



J’ai aimé que le roman s’ouvre sur une pluie de grenouilles.



J’ai découvert les goubelins et quelques légendes normandes.



J’ai tout aimé dans ce roman : les personnages et le décor, le méchant et les témoins qui ont fermés les yeux.



Un roman d’atmosphère qui m’a envoûté.



L’image que je retiendrai :



Celle de la Grotte aux fées où se rend la mère du p’tit Jojo pour parler avec lui une fois l’an.
Lien : https://alexmotamots.fr/le-c..
Commenter  J’apprécie          150
Petit éloge de la jouissance féminine

« Cette nuit j’ai joui, j’ai joui pour la première fois de ma vie. J’ai senti cette chaleur intense m’emplir de l’intérieur, du vagin au cerveau, partout dans le ventre, la poitrine gonflée de plaisir, la bouche et les papilles pleines de saveurs inconnues. Mon corps a tressauté, j’en ai perdu le contrôle. Je suis émerveillée par ce que mon corps est capable de faire, de l’avoir confronté à ses limites. »



Adèle a 35 ans lorsqu’elle jouit pour la première fois. Cette journaliste, mariée et mère d’un petit garçon avait jusqu’alors aimé tendrement mais d’un amour où le sexe n’était pas primordial. Il a suffi d’une rencontre, avec celui qui allait devenir son amant, celui qu’elle qualifie « d’homme-électrochoc », pour que sa vie bascule, qu’elle s’éveille au désir et accède au plaisir.



Le désir est le point central de ce texte 100% autobiographique. Adèle est le double littéraire d’Adeline. Elle raconte sa transformation, ce que cette naissance du désir à impliqué comme changement, dans sa sexualité bien sûr, mais aussi dans ses relations sociales, son regard sur son statut de femme et sur un corps qu’elle n’avait jusque là jamais mis en valeur, qu’elle n’était jamais parvenue à habiter pleinement. Du désir naît l’accomplissement, du désir naît l’épanouissement : « Dans la jouissance, la distinction entre le corps et le sexe est gommée, la jouissance l’emporte sur tout, la jouissance est le grand Tout ».



Au cœur de cette métamorphose, « l’homme-électrochoc ». Une espèce rare, sans doute en voie de disparition, et que beaucoup de femmes ne croiseront jamais au cours de leur existence : « Mon amant fait partie de cette caste rare d’hommes qui font l’amour avec héroïsme, qui aiment faire jouir les femmes avant d’envisager de jouir eux-mêmes. […] Auprès de l’homme électrochoc, « je suis » à fond, pour la première fois, je n’intellectualise pas une relation, je la vis. Je suis en pleine catharsis inversée. Pour une fois, je ne transforme pas mes émotions en pensées, mais je ne suis qu’émotions et j’arrête de penser. »



J’ai beaucoup aimé cette réflexion sur la jouissance féminine, parfois crue, toujours profonde (la réflexion), n’idéalisant jamais totalement cette métamorphose qui suscita aussi de nombreuses souffrances. Et puis adoré les nombreuses références cinématographiques et les extraits littéraires cités tout au long du récit (Simone de Beauvoir, Flaubert, Henry Miller, Despentes, Louise Labé, Anaïs Nin, Sappho, Yourcener, etc.). Seul bémol, une vision « universelle » dans l’avant propos qui m’a quelque peu gêné, affirmant qu’une vie sans désir sexuel est une vie « sans envie, sans élan, une existence statique, immobile. » Dans son cas particulier, certes. Mais de là à généraliser à l’ensemble des femmes, il me semble que c'est loin d'être aussi simple, et heureusement d'ailleurs.



Je recommande chaudement cette lecture à tous les hommes. Pas parce que l’on donne ici dans le guide pratique, mais au contraire parce que ce livre est tout sauf un guide pratique. Et aussi parce que ce parcours individuel, ce témoignage sans fard, en toute franchise et en toute liberté, ne peut pas nous faire de mal.Un beau portrait de femme en tout cas. Entière, qui assume et s’assume. Vibre, souffre, aime, s’interroge.Et s'épanouit.


Lien : http://litterature-a-blog.bl..
Commenter  J’apprécie          150
Le Ciel en sa fureur

Un conte fantastique qui s’appuie sur une réalité solide à la campagne avec des personnages bien campés qui sont confrontés à des légendes normandes, convoquant le Varou, les goubelins et les enfants-fées, qui alimentent le récit. Un roman envoûtant, magnétique et haletant par sa construction et son intrigue en forme de polar.
Commenter  J’apprécie          140
Le Ciel en sa fureur

Il y a déjà cette couverture sublime. Puis le titre et le résumé de l’éditeur. Il y a cette atmosphère que l’on ressent dès les premières pages : une ligne entre la boue et le ciel gris sur laquelle s’entortille les fils d’une intrigue à dénouer. Les silences accompagnent les regards, les langues taisent les légendes mais l’on sait quand revient le Varou. L’air charrie l’odeur du sang des bêtes abîmées, des pleurs dans la cave, des ombres que l’on devine. Ce livre ne sera décidément pas ordinaire.



La Normandie souffle ses secrets dans cette petite ville du bord de mer où les fées échangent encore les enfants, où l’on danse près des fontaines cachées dans des grottes, où la Vieille barre les mauvais maux. La lecture prend aux trippes, bouscule ne s’embarrassant d’aucun tact : un mot est un mot, la mort y est vraie, les peurs et les plaies réelles.



Roman sans concession, sombre et fascinant, « Le ciel en sa fureur » ne peut laisser indifférent.

Il enveloppe jusqu’à la dernière page.




Lien : https://aufildeslivresbloget..
Commenter  J’apprécie          130
Le Ciel en sa fureur

Coup de cœur 2024 !

Dès les premières pages, l’ambiance est oppressante, tendue. Le lecteur tourne les pages, impatient de comprendre et connaître la réalité de ces phénomènes bizarres…



Un petit village dans le Cotentin. Des habitants, et notamment, « ceux du lotissement, parce qu’ils ne sont ni paysans, ni citadins. (…) parce qu’ils n’ont pas vraiment d’identité, parce qu’ils se ressemblent tous. Les mêmes maisons à un étage, à la façade beige déjà salie par les embruns. »

Une pluie de crapauds s’abat sur leurs maisons. L’Apocalypse ?...

Le petit garçon, d’une ferme voisine est regardé avec méfiance : « Comme si le gosse annonçait des malheurs. ». Un gamin à part, un enfant-fée… Comme le p’tit Jojo mort à 10 ans…



Les personnages participent au malaise ambiant, parfaitement campés et crédibles.

Deux jeunes femmes indépendantes, nouvelles dans ce village : Julia, la véto, (difficile de se faire accepter en tant que femme vétérinaire) et Stéphane, « la grande Stéphane », la maréchale-ferrante.



Le Vieux et la Vieille. Elle, est rebouteuse. « Cette femme-là n’est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie. »

Dans leur maison sombre et crasseuse (ils s’en fichent) trône la photo de leur enfant, le p’tit Jojo, « un enfant-fée » qui s’est fait tuer par une voiture quand il avait à peine 10 ans… On a l’impression que personne n’a cherché à connaître la vérité, le nom du chauffard qui a percuté mortellement l’enfant…



Marie Levavasseur, l’épouse résignée d’un éleveur et maman de ce petit garçon à part, dans sa bulle : « Il est doué pour tout sauf pour les relations avec les autres, il trouve les autres enfants lents et inintéressants, son frère débile et les adultes médiocres. (…) Hubert et Marie pensent que (..) leur gamin n’est pas fou, juste différent. » Un enfant-fée. Comme le P’tit Jojo… Des enfants qui suscitent le malaise…



Là-dessus, un étalon empoisonné est atrocement mutilé et des poules sont saignées. Ce n’est, ni le chien, ni le renard… « Seul un être humain est capable d’une telle sauvagerie. »

Mieux vaut croire à la malédiction du Varou, que de se poser des questions sur les vivants et les morts inexpliquées …



Guillaume Battut, qui a fui le village, après avoir été harcelé adolescent, revient, envoyé par sa rédaction pour enquêter. Il connait bien les habitants et la mort du P’tit Jojo, jamais élucidée, l’obsède encore…



Un huit-clos rural, sous forme de conte envoutant, pour traiter de thèmes intemporels : la différence, le handicap qu’il faut occulter, l’exclusion, la souffrance, la soumission des faibles aux personnes influentes, et la lâcheté du silence.



Un scénario parfaitement maîtrisé porté par une écriture puissante, inspirée, précise et juste, dont les personnages continuent de hanter la mémoire bien après avoir tourné la dernière page.



Une belle réussite, dont le thème est assez proche d’un roman qui représente encore pour moi, l’un des meilleurs de la littérature actuelle : « Le rapport de Brodeck » de Philippe Claudel.

A découvrir et à savourer, sans aucune modération !



Lu dans le cadre du Prix Orange 2024.

Merci à lecteurs.com et aux Editions de l’Observatoire de m’avoir fait découvrir cette pépite.



Instagram : commelaplume


Lien : https://commelaplume.blogspo..
Commenter  J’apprécie          120
Le Ciel en sa fureur

Une fois le roman ouvert, je n’ai plus pu m’arrêter de le lire tant l’histoire est intense, les personnages denses et tant l’ambiance générale angoissée de ce village a fini par me gagner. Lu d’une traite, je me suis totalement immergée dans ce village où coexistent ceux du lotissement et les autres, ceux de la campagne, qui vivent au village, ceux qui y vivent depuis toujours comme les jumeaux Augustin et Antonin, ceux qui ont voulu le quitter mais sont revenus comme les amies inséparables Sylvie et Marie et ces deux femmes Stéphane et Julia, nouvellement installées au village. Ces deux dernières ont fui la Grande ville. Elles n’ont pas les codes et elles seront embarqué malgré elles dans des mystères haletants et dangereux. Ces secrets que personne ne veut voir ressurgir et que tout le monde dissimule dans des affres métaphysiques.

La trame serrée de ce roman ne m’a pas laissé un moment de répit et j’ai totalement embarqué dans ce récit tissé d’ambivalence grâce à l’évocation des légendes normandes où les fées côtoient les géants ou les hommes-mouton par exemple.

J'ai beaucoup apprécié que le récit soit situé en Normandie car cela permet de tisser une histoire autour de ces légendes peu connues. Je ne les avais jamais lues ailleurs que dans ce roman.

Commenter  J’apprécie          110
Le Ciel en sa fureur

Idée plaisante à l'origine de ce roman étrange : fées et autres légendes du Cotention, personnages de brume et de pluie, réalisme magique (que j'ai souvent apprécié chez des auteurs sud-américains) et me voilà partie pour une lecture fantastique ! Eh bien non ... récit décousu, un mystère à élucider qui n'en est pas un et malgré une jolie plume, on patauge dans la boue. Nous sommes ici dans une tragédie avec cruauté et vengeance gratuites, volonté claire de faire du mal et d'anéantir le bien. Ce monde sauvage et rugueux vous agresse et vous éloigne rapidement de toute tentative de rêver à quelque chose d'étrangement poétique.
Commenter  J’apprécie          100




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Adeline Fleury (361)Voir plus

Quiz Voir plus

Jacques Chardonne

Quel est le vrai nom de Jacques Chardonne?

Jacques Laurent
Jacques Barnery
Jacques Dutourd
Jacques Boutelleau

10 questions
10 lecteurs ont répondu
Thème : Jacques ChardonneCréer un quiz sur cet auteur

{* *}