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Citations de Alejo Carpentier (117)


Par les tuyaux vides, emplis de lointains hoquets, arrivaient des insectes bizarres, des punaises grises, ces cochenilles, aux carapaces tachetées, et, alléchés, semblait-il, par le savon, des espèces de mille-pattes courts qui se mettaient en boule à la moindre alerte, et restaient immobiles sur le pavé telle une minuscule spirale de cuivre. Des robinets surgissaient des antennes qui guettaient avec méfiance tandis que le corps qui les portait restait caché.
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Au bout d'un temps dont la mesure m'échappe, à présent, à cause de la brièveté apparente de son écoulement dans un processus de dilatation et de récurrence qui m'avait été alors insoupçonnable, je me rappelle ces gouttes tombant sur ma peau en coups d'épingles délicieux, comme si elles eussent été le premier avertissement, inintelligible pour moi à ce moment, de la rencontre.
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... d'après elle, le mariage, le lien légal, enlève tout recours à la femme si elle veut se défendre contre l'homme. L'arme d la femme devant sonc ompagnon dévoyé est la faculté de l'abandonner à tout moment, de le laisser seul, sans qu'il ait le mioyen de faire valoir aucun douit. L'épuse l'agle est pour Rosario une femme que l'on peut envoyer chercher par des gardes, lrsqu'elle abandonnne la maison où le mari a intronisé le dol, les sévices ou les désordres de l'ivresse. Se marier, c'est tomber sous le poids de lois faites par les hommes et non par les femmes. Dans une union libre, en revanche, affirme Rosario sur un ton sentencieux, "l'homme sait qu'il dépend de son comportement d'avoir quelqu'un pour lui faire plaisir et s'occuper de lui". J'avoue que la logique paysanne de cette façon de voir m'ôte toute réplique. Il est évident que, devant la vue, "Ta femme" se meut dans un monde de notions, d'usages, de principes, qui n'est pas le mien. Et cependant je me sens humilié, sur un plan d'infériorité gênante, parce que c'est moi qui voudrais maintenant l'obliger à se marier [...].
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Tout un rythme se crée dans les frondaisons, rythme ascendant et inquiet, avec des houles et des reflux, des pauses, des respirations, des chutes, qui sont joie et sont tourbillon, en une soudaine et prodigieuse musique de verdure. Rien n'est plus beau que la danse d'un bouquet de bambous dans la brise. Nulle chorégraphie humaine n'a l'eurythmie d'une branche qui se dessine contre le ciel. Je me demande parfois si les formes supérieures de l'émotion esthétique ne consisteraient pas simplement en une suprême intelligence de la création. Peut-être les hommes découvriront-ils un jour un alphabet dans les yeux des calcédoines, dans le velours brun des phalènes, et l'on saura alors avec étonnement que chaque coquillage tacheté était depuis toujours un poème.
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Les Indiens sont des indiens, et bien que cela paraisse étrange, je me suis habitué à la curieuse distinction que fait l'Adelantado, certes sans la moindre malice, lorsqu'il dit tout naturellement dans le récit d'une de ses expéditions "Nous étions trois hommes et douze Indiens." J'imagine que c'est une question de baptême qui est à l'origine de cette restriction, et cela donne une apparence de réalité au roman que, pour donner au décor plus d'authenticité, je suis en train de bâtir.
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Mouche, émerveillée, m'invita à les suivre, pour mieux examiner leurs robes et leurs coiffures. Elle, qui jusqu'alors était restée indifférente et alanguie, était transfigurée. Il y a des êtres dont le regard s'allume quand il sentent la proximité du sexe. Insensible, mécontente depuis la veille, mon amie semblait revivre dans la première atmosphère trouble qu'elle trouvait.
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A ma grande surprise elle me sauta au cou, s'écriant que la nouvelle était "formidable", car elle confirmait la prédiction d'un songe récent où elle s'était vue voler près de grands oiseaux au plumage couleur safran, ce qui signifiait sans aucun doute : voyage et succès, changement par transfert. Et sans me donner le temps de corriger l'équivoque, elle s'embarqua dans les grands lieux communs du désir d'évasion, l'appel de l'inconnu, les rencontres fortuites,, sur un ton qui faisait penser aux haleurs cloués nus et aux incroyables Florides du "Bateau Ivre".
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Entre deux rayons est suspendue une qena incaïque ; sur la table de travail, attendant la rédaction d'une fiche, gît une sacquebute du temps de la conquête du Mexique, instrument fort précieux dont le pavillon est un tête de tarasque ornée d'écailles argentées et d'yeux d'émail, avec la grande gueule ouverte qui tend vers moi une double denture de cuivre.
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Hélas ! l'objet de mon amour
qui l'arrête ?
Il tarde et il est midi
mais il ne vient pas.
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De l'asphalte des rues s'élevait une chaleur bleutée d'essence, traversée par des relents chimiques, qui stagnait dans des cours sentant le détritus, où un chien haletant s'étirait comme un lapin écorché, pour trouver des filons de fraîcheur dans la tiédeur du pavé.
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Mais s'évader, dans le monde que le sort m'avait donné en partage, était aussi impossible qu'essayer de revivre, à notre époque, certaines gestes saintes ou héroïques. Nous étions tombés dans l'ère de l'Homme-Abeille, de l'Homme-Néant, où les âmes ne se vendaient pas au Diable, mais au Comptable ou au Garde-Chiourme.
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Notre art a toujours été un art baroque: depuis les splendides sculptures précolombiennes et les codex, jusqu'aux meilleurs romans contemporains américains, en passant par les cathédrales et les monastères coloniaux de notre continent. Même l'amour physique devient baroque avec l'obscénité du guaco péruvien. Il ne faut donc pas craindre le baroquisme dans son style, dans sa vision des contextes, dans sa vision du visage humain enchevêtré dans les enroulements du verbe et du contexte chtonien: c'est notre art, il est né des arbres, des nefs, des retables, des autels, des sculptures.
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Je ne cherche absolument pas à insinuer que nos romanciers manquent d'une culture suffisamment large pour rendre compte de certains faits ou pour mettre au jour de nouvelles vérités; mais en revanche, je tiens à affirmer que la méthode naturaliste (tenant compte des particularités typiques et locales) appliquée, pendant plus de trente ans, au roman latino-américain, a produit un style romanesque régional et pittoresque qui n'a pratiquement jamais acquis la moindre profondeur - une véritable transcendance. Ce n'est pas en décrivant un habitant des llanos vénézuéliens, ou un Indien mexicain (dont il n'a, par-dessus le marché, jamais partagé la vie quotidienne) que le romancier de chez nous doit faire son travail, mais plutôt en montrant - par affinité ou par contraste - ce qu'il peut y avoir d'universel - et pour cela il faut le mettre en rapport avec le reste du monde - chez les individus qui peuplent nos terres.
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Cette Europe - celle d'ici - était fichue. J'y étais accouru à la recherche d'une intelligence infinie, et, au lieu de têtes pensantes, elle me donnait des crânes vides qui sonnaient creux comme un xylophone. Socrate attendait sa fin à Buchenwald. Le fascisme de merde avait trop d'adeptes au grand jour ou masqués. Il était temps désormais d'abandonner ces Rome, ces Nuremberg, ces Villes Lumière, phares de la culture, agoras du Savoir, berceaux de la Civilisation (tout berceau finit par sentir la pisse...), villes prostituées qui aujourd'hui se donnaient, consentantes et jambes écartées, au premier déclamateur venu qui, gonflant le thorax, avançant la lippe ou levant un bras à l'ancienne, leur promettait prépotence et colonies.
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Et le museau, hurlant sur les chairs palpitantes, annonciateur du rut, lançait de tels appels que les chiens d'en bas levaient la tête et gémissaient, sans oser sortir de la limite des arrière-cours. Alors, exaspérées par l'attente elles descendaient aux alentours des villages et la brise se chargeait de l'odeur qui allume le désir des mâles, pour qu'ils viennent les briser, les pénétrer - traînées, mordues, poursuivies à coups de pierre - jusqu'à la fuite de l'aube, dans les hautes cavernes où elles mettaient bas.
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Une fois le pays frontière découvert, la première fournée de civilisateurs aborda sur ses rives; gouverneurs, encomenderos, hidalgos ruinés, truands des pêcheries de thon de Séville, tous grands manieurs de dés truqués, grands buveurs de vin vieux et de vin aigrelet; tous grands fornicateurs avec des Indiennes. Puis débarquèrent ceux de la seconde fournée: magistrats, avocassiers, agents du fisc et auditeurs, et la colonie se transforma, pour plus de deux siècles, en un vaste enclos de bétail et en cultures de maïs qui s'étendaient à perte de vue, coupés de potagers, où poussaient les légumes d'Espagne...
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Office des ténèbres
                         VI
  
  
  
  
   Le 20 août, alors que l'on entonnait à peine l'Agnus Dei de la messe de dix heures, les deux tours de la cathédrale se joignirent en formant un angle droit, précipitant les cloches sur la croix de l'abside. En une seconde toutes les perspectives de la ville furent rouillées. Les avant-toits se heurtaient au milieu des rues. S'écroulant dans des directions opposées, les murs des maisons restaient un instant suspendus, avant de s'écraser dans un terrible tourbillon de poutres brisées. Les mules roulaient dans les rues pentues enveloppées dans des nuages de charbon, un sabot pris sous la sangle et le trousse-queue leur fouettant les crins. Les roses du parc s'envolèrent et tombèrent dans des fossés et des ruisseaux qui avaient perdu leur lit. Et puis, cette instabilité de la terre, ce frémissement de croupe exaspérée par une guêpe, cette dislocation des trottoirs ; ce qui était ouvert se bouchait et ce qui était bouché s'ouvrait. Même en courant, en poussant des cris, en implorant la Virgen del Cobre, on constatait qu'une rue n'avait désormais d'autre issue qu'une chambre à coucher de jeune fille ou les archives, les meubles à leur tour entrèrent dans la danse. Passant par-dessus les barres d'appui, les armoires prirent la poudre d'escampette, laissant échapper par leurs ventres ouverts leurs entrailles de draps de lit et de nappes. Toutes les pièces de vaisselle se brisèrent en mille morceaux en même temps. Les vitres s'encastrèrent dans les persiennes. de larges crevasses, remplies de peignes, de camées, d'almanachs et de daguerréotypes, divisaient la ville en îles, car l'eau des citernes, margelles brisées, coulait vers le port.
   Lorsque le sang commença à faire de larges taches sur les tissus, les satins et les feutres, tout était terminé. Une montre à gousset, encore suspendue à sa chaîne, marqua une avance d'une petite minute sur les montres arrêtées. Ce fut alors que les hommes, en se voyant encore debout, comprirent qu'ils avaient vécu un tremblement de terre. Les mouches, sorties d'on ne savait où, volèrent au ras du sol, plus nombreuses.



/ Traduit de l'espagnol par René L. F. Durand
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Office des ténèbres
   … / …
                         V
  
  
  
  
   Le 19 août, après le chapelet et une collation de viandes froides, il régna une grande animation sous les arcades du théâtre. Le poète et le musicien, cravates à rayures, redingotes boutonnées jusqu'aux revers, recevaient sur leur propre domaine. Des jeunes filles arrivaient en robes de dentelles, parfumées ; elles étaient accompagnées de leur mère, qui, à peine descendue du marche-pied, renvoyait la voiture sur les quais de l'autre côté. Dans un grand tumulte de coups de fouet, d'attelages impatients, de fers à chevaux bleutés par les étincelles qui jaillissaient des galets, la société de Santiago devait assister à la générale. Les actrices d'un jour avaient copié leurs répliques sur des cahiers de collégiennes, de cette écriture caractéristique des élèves des bonnes sœurs. La jeune fille qui devait interpréter le rôle principal de L'entrée dans le grand monde s'empara de la loge où s'étaient déshabillées tant de chanteuses célèbres de tondillas émules d'Isabel Gamborino, maîtresses de grands propriétaires terriens et épouses d'acteurs. Il y avait encore des traces de rouge vif sur un plat de porcelaine blanche et une coulée de pâte au fond d'une tasse. Sur le mur s'étalait une salace interjection de muletier, tracée avec du rouge à lèvres. Le canapé de soie canari était si enfoncé, qu'il n'avait pu se creuser ainsi sous le poids d'un seul corps.
   Le souffleur se glissa dans son trou. alors commença la répétition de L'entrée dans le grand monde, qui devait être jouée le lendemain au bénéfice des Hôpitaux. On était au mois d'août, et cependant il faisait froid. Personne ne put remarquer, à cause de l'obscurité dans laquelle le parterre était plongé, que les araignées se balançaient d'étrange façon, dans un va-et-vient de pendule déréglé.



/ Traduit de l'espagnol par René L. F. Durand
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Les mondes nouveaux doivent être vécus, avant d'être expliqués. Ceux qui vivent ici ne le font pas par conviction intellectuelle; ils croient tout simplement que la vie supportable est celle-ci et non une autre. Ils préfèrent ce présent à celui des faiseurs d'Apocalypse. L'homme qui s'efforce de trop comprendre, souffre les angoisses d'une conversion, peut nourrir une idée de renoncement en embrassant les moeurs de ceux qui forgent leur destinée sur ce limon primitif, dans une lutte engagée contre les montagnes et les arbres, est un homme vulnérable, car certaines puissances du monde qu'il a laissé derrière lui continuent d'agir sur son être.
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La forêt vierge était le domaine du mensonge, du piège, du faux-semblant ; tout y était travesti, stratagème, jeu d’apparences, métamorphose. Lorsqu’on passait près des berges, la pénombre qui tombait de certaines voûtes végétales envoyait vers les pirogues des bouffées de fraîcheur. Mais il suffisait de s’arrêter quelques secondes pour que le soulagement que l’on ressentait se transformât en une insupportable démangeaison causée, eût-on dit, par des insectes.
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