Kimhi Alona -
Victor et Macha .
A l'occasion de l'Escale du Livre de Bordeaux 2015,
Kimhi Alona vous présente son ouvrage "
Victor et Macha" aux éditions Gallimard. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/kimhi-alona-victor-macha-9782070141432.html Note de Musique : © Mollat Découvrez notre site : www.mollat.com & suivez-nous sur les réseaux sociaux : https://www.facebook.com/Librairie.mo... https://twitter.com/LibrairieMollat http://www.dailymotion.com/user/Libra... https://vimeo.com/mollat https://instagram.com/librairie_mollat/ https://www.pinterest.com/librairiemo... http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ https://soundcloud.com/librairie-mollat http://blogs.mollat.com/
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Certes, ils étaient tous – à présent et par définition – des Israéliens mais rien ne paraissait plus théorique que ce statut. Encore une manière de se voiler la face. Personne ne considérait la population de son quartier comme « israélienne », pas même les intéressés. Ils restaient cette masse humaine, plus ou moins appréciée, que l’on appelait les « nouveaux-immigrants ». Chaque groupe portait le nom de son pays d’origine les Russes, les Marocains, les Caucasiens, les Roumains et tous se définissaient justement par leur différence. Les Israéliens, eux, formaient un autre peuple, à part, ils habitaient plus loin, de l’autre côté de la ligne de démarcation qui suivait le trajet du 57 et ils étaient, eux, les citoyens légitimes de ce pays.
Victor se saisit du rituel de prières ....et commença à lire...Alors elle pût elle aussi s'abandonner à ce récitatif impénétrable,à ces mots hypnotisants dont la force allait bien au-delà d'une quelconque signification littérale.p.70
J'ôte le bouchon du flacon de cristal et en verse le contenu dans la baignoire qui se remplit lentement. Dans la transparence de l'eau, le violet foncé des cristaux de sel vire au lilas clair. Des particules élémentaires se détachent puis s'accolent. Transparence et couleur. Ecoulement et stase.
Maintenant, l'odeur. Le secret de la perfection du Tout réside dans un dosage pointilleux des composants. Je verse les petites bouteilles d'huiles essentielles les unes après les autres. Surtout ne pas les agiter, se contenter d'observer les lourdes gouttes qui tombent d'elles-mêmes, telles des larmes de bonheur, et compter - trente de chaque: gling, gling, gling, bergamote et fleur d'orange réveilleront les terminaisons nerveuses et, afin de calmer l'excitation, j'ajoute dix gouttes d'huile de roses qui enveloppera ce poison picotant d'une fine pellicule de douceur femelle.
Personne n'arrivera à me convaincre que la mousse n'est qu'un produit de cosmétique. C'est un accessoire rituel, païen, fait pour rappeler à toute femme que prendre un bain, c'est retourner à l'écume originelle des vagues d'où a éclos la Vénus qui existe en elle. C'est pourquoi j'ajoute aussi de ce gel onéreux de Guerlain, ne quitte pas des yeux le flux qui le frappe jusqu'à ce que, sur toute la surface, se dessine un ciel d'aube printanière - de doux nuages qui laissent apparaître, dans leurs déchirures, des morceaux de violet.
Je me déshabille avec plaisir. Chaque partie de mon corps a subi aujourd'hui un traitement qui lui donne droit à ce bain. J'ai passé de longues heures entre les mains miraculeuses de Marlène qui a enlevé, arraché et rasé chaque poil mal placé, en commençant par quelques rebelles plantés sur mes orteils et en finissant par la manifestation de notre nature animale au niveau des aisselles et du maillot. Des masques et des crèmes à la formule magique ont été appliqués sur mon visage - algues marines, poudre de perle, cellules de placenta de rhésus. De joyeuses microparticules se sont frayé un chemin jusqu'aux cellules de mon épiderme où elles ont engendré de véritables métamorphoses. Pendant ce temps, l'aide sourde-muette de Marlène s'est occupée de mes pieds et de mes mains, m'a limé les ongles qui se sont retrouvés sous un vernis couleur cerise mûre, tandis que le dernier de mes muscles évacuait toute crispation.
Je fais durer le dernier instant, avant d'entrer en contact avec l'eau. De la haute fenêtre, un vent de fin de journée me caresse la nuque. Du salon s'élève l'opus 100 de Schubert et recouvre les bruits de la rue de sa mélancolie nordique. Un verre de Porto dans lequel se suicident lentement des glaçons est posé sur le rebord de la baignoire. C'est le moment, la seconde, j'inspire avec la plus grande des précisions et je me plonge tout entière.
112 kilogrammes de femme.
Quand un homme cesse de vous aimer, ses yeux se couvrent d'une couche opaque de poussière. Ça peut arriver pour des tas de raisons. Ennui, usure, une autre femme. Mais ça peut arriver aussi parce que sa vie est dans un tel état de désordre qu'il n'y a pas de place pour vous, que votre présence lui renvoie une image encore plus cruelle de son chaos personnel.
Combien de couleurs ont les angoisses. Combien de manières d'éclore, les bourgeons de la folie. Combien de nuances, l'obscurité qui tombe. La littérature a réussi à jouer avec des définitions relativement vastes, la psychologie un peu moins. Dépression est le terme officiel. Personnellement je souffre de diverses sensations de douleur, de vide, d'inquiétude, de peur. Chacune revêt mille visages.
Quand un homme cesse de vous aimer, ses yeux se couvrent d'une couche opaque de poussière. Ca peut arriver pour des tas de raisons. Ennui, usure, une autre femme. Mais ça peut arriver aussi parce que sa vie est dans un tel état de désordre qu'il n'y a pas de place pour vous, que votre présence lui renvoie une image encore plus cruelle de son chaos personnel. C'est ce que je crois. Peut-être y-a-t-il d'autres raisons dont je n'ai pas encore pu identifier la nature. Ou que je ne veux pas identifier. Ou peut-être n'est-ce même pas la peine d'identifier la nature de telle chose ou telle autre. Je suis vide. p.96
Quand j'étais à l'extérieur, je ne sais plus quand c'était, j'ai compris que je n'avais même plus la force de respirer. C'était une telle fatigue que je me demandais comment je faisais pour être encore vivante. Et je ne parvenais pas à me calmer. La tête travaillait sans cesse. J'étais prête à tout pour me reposer, avec de telles blessures on a le droit de se reposer. Mais c'était pire, et on disait que j'étais folle. Sans cesse j'essayais d'être ce que je souhaitais jusqu'au jour où je n'ai plus eu de désir.
Parfois, quand je pense à ce que je deviendrai, je me sens oppressée. Le plus effrayant est l'idée que rien ne se passe. Que la vie soit comme ça.
"La dépression ? Qui est déprimé ? Je ne suis pas déprimée, je suis à Berlin." (p. 135)
Tout se dissout. Seul Berlin existe. Et la maladie. Qui somnole à l'intérieur. Elle est toujours avec toi, se rappelle à toi dès que tu ouvres les yeux le matin. Elle bruit en toi comme un serpent qui fait son chemin dans les profondeurs des feuilles sèches, se repose dans tes nuits de sommeil et guette la lucidité de tes jours. p.53